Revenir à 5% de chômage en France, c'est possible et voilà comment<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Hollande a opté pour une politique de l'offre permettant d'augmenter la richesse avant de la partager.
Hollande a opté pour une politique de l'offre permettant d'augmenter la richesse avant de la partager.
©Reuters

Stop au renoncement

Michel Godet vient de publier "Libérez l'emploi pour sauver les retraites" (éd. Odile Jacob). Pour lui, la France peut à nouveau atteindre un taux de chômage de 5%, en agissant en même temps sur les trois leviers classiques de l’emploi : la croissance par l’innovation compétitive, le coût du travail, l’incitation au travail et à l’insertion des plus démunis.

Michel Godet

Michel Godet

Michel Godet est économiste, professeur et membre de l'Académie des technologies.

Il est l'auteur de Le Courage du bon sens (Odile Jacob, 2009), Bonnes nouvelles des conspirateurs du futur (Odile Jacob, mars 2011), de La France des bonnes nouvelles (Odile Jacob, septembre 2012) et de Libérez l'emploi pour sauver les retraites (Odile Jacob, janvier 2014) Il anime également le site laprospective.fr.

Voir la bio »

Atlantico : Dans votre ouvrage Libérez l'emploi pour sauver les retraites, vous donnez plusieurs clés pour permettre au chômage d'atteindre le niveau structurel de 5% de la population active. Quelles sont ces clés ?

Michel Godet : J'établis un recensement des pays qui avaient le taux de chômage le plus faible. La France se situe dans le bas du classement, juste avant les pays du sud qui sont malades. On est le plus fort des faibles, ça nous rassure. Le mieux classé est la Norvège avec 3% de chômeurs mais son cas est particulier car c'est un pays pétrolier ; c'est un peu l'Arabie Saoudite de l'Europe. En deuxième vient la Suisse (4%). Avec un taux de chômage de 6%, l'Allemagne n'est pas si éloignée. En France, cela se situe autour de 11% mais mieux placé que la Grèce et l'Espagne avec 24 et 25%. Dans les champions du chômage faible, le taux de chômage est d'autant plus faible que l'insertion des jeunes est précoce et que l'emploi des seniors est tardif : plus y a de gens qui travaillent, plus ils travaillent tôt et longtemps, moins il y a de chômage. C'est contraire à toute la vision malthusienne du travail selon laquelle il faut partager le travail. Il faut travailler plus pour travailler tous. Par exemple, en Suisse, 50% des jeunes entre 15 et 19 ans ont un emploi contre moins de 10% chez nous.

Les trois clés suivantes ne sont pas moins surprenantes : le salaire élevé n’est pas l’ennemi de l’emploi ; le chômage est d’autant plus faible que les étrangers actifs sont plus nombreux ; la réduction des inégalités par les transferts sociaux est un atout pour la performance économique. Au passage nous relevons qu’il n’y a pas de lien évident entre dépenses publiques et compétitivité. Si les déficits publics engendraient de la croissance, on n'en serait pas où on en est aujourd'hui puisqu'on a les records de déficits mais également les records de faible croissance. En France, le PIB par habitant baisse : -0,2% par habitant par an depuis 5 ans. C'est une rupture par rapport aux 40 années précédentes. Quand on dit que l'on fait aussi bien que l'Allemagne en croissance de PIB, c'est vrai au global mais faux par habitant puisque la population de l'Allemagne diminue donc sa croissance par habitant est toujours plus élevée, alors que nous, notre population augmente. Plus globalement, selon ce critère, le seul qui compte, la France recule depuis 1980 et a été dépassé par la Grande-Bretagne et surtout par l'Allemagne où le niveau de vie est à 15% supérieur. La preuve est faite que ce n'est pas en ramant moins qu'on avance plus vite.

Est-ce que le chômage d'abondance présente un intérêt pour quelqu'un et si oui, qui ?

On a sextuplé le chômage depuis 1975 et on a doublé les richesses à se partager. A qui profite le crime ? A ceux qui gèrent mal l'abondance, qui profitent du système, bref aux acteurs dominants du jeu social, les politiques et les partenaires sociaux. Le maillon faible des rapports de force, ce sont toujours les chômeurs, qui se contentent des miettes du banquet. Les taxis bloquent la circulation à Paris. On n'a jamais vu 5 millions de chômeurs prendre d'assaut le périphérique. Leur silence est assourdissant comparé au bruit que font les nantis du système dès qu’on veut toucher à leur os à moelle. Les quatre France sont toujours là : celle qui rame, celle qui brame, celle qui se pâme et celle du drame. La réponse n'a pas changé depuis 20 ans. Même constat de permanence du côté des barrières à l’emploi, que ce soit le coût du travail ou les illusions sur le partage du travail.

A chaque fois que l'on prend des mesures, on protège d'abord ceux qui sont en place. On a des syndicats sans syndiqués dont la plupart sont dans des secteurs protégés. Leur combat contre le temps partiel en est l'illustration ou la lutte contre les rémunérations trop faibles. Ma conviction est qu'il vaut toujours mieux avoir un travailleur pauvre que l'on doit aider qu'un chômeur pauvre que l'on assiste. Le travailleur pauvre a un emploi et peut donc valoriser et développer ses compétences par le travail ; il se sent également digne dans la société. Autre conseil pour les travailleurs : le meilleur moyen de trouver un emploi c'est d'en avoir un. En effet, les employeurs trient d'abord les candidats qui ne sont pas au chômage et évitent au maximum les personnes qui sont tombées dans la trappe du chômage de longue durée. C'est ainsi que beaucoup de pays se sont rendus compte que les systèmes d'indemnisations et courts et peu élevés étaient plus propice au retour à l'emploi.

Dans cette perspective, il faudrait également différencier salaire minimum et revenu minimum mais arriver à un SMIC territorialisé et un revenu minimum d'activité qui pourrait être plus élevé que le SMIC actuel. Vivre avec le SMIC dans le Cantal ou le Loir-et-Cher, c'est possible, mais pas en Île-de-France par exemple à cause du coût actuel de la vie. Selon la même idée, il faut augmenter le revenu minimum dans les secteurs où on a du mal à embaucher.

Rien n’a changé non plus du côté de la maladie du diplôme avec la surabondance de diplômés et la pénurie de professionnels. La massification de l‘enseignement supérieur a produit ses effets : le diplôme protège de moins en moins et exclut de plus en plus. Mais il y a du nouveau, on découvre que le chômage des jeunes est d’abord un problème d’échec scolaire et d’insertion trop tardive dans le monde du travail. Ainsi s’affirment le rôle clé du savoir être et de l’apprentissage à l’école primaire, l’alternance comme une voie d’avenir.

Quel regard portez-vous sur les annonces de François Hollande en matière d'emploi, mardi, lors de sa conférence de presse ? La fin plus ou moins programmée du CICE est-elle une bonne chose ?

Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) était une usine à gaz, pensé par des bureaucrates pour renforcer leur pouvoir de contrôle, de paperasserie, etc. Le problème qui se posait pour le pouvoir, c'était comment revenir en arrière.

D'une manière générale, je suis séduit par la nouvelle ligne donnée par François Hollande, cette ligne social-démocrate. Il reconnait que l'on n'a pas gagné la bataille de l'emploi. Il a sous-estimé l'ampleur de la crise, encore plus qu'il ne le dit. On ne reviendra pas à des croissances comme on en a connu. La perspective est claire : c'est chemin de croix et croissance molle en commençant par dire la vérité aux Français.

Hollande a opté pour une politique de l'offre permettant d'augmenter la richesse avant de la partager. C'est un tournant plus fort et plus clair que 1983. Les mesures annoncées sont plutôt bonnes. Ce qui m'inquiète, c'est la méthode : ça reste une méthode jacobine. Au lieu d'imaginer en haut des choses qui ne marchent pas, on ferait mieux de laisser les territoires et les régions expérimenter et organiser la contagion des initiatives qui marchent déjà.

Vous avez publié, il y a 20 ans, Emploi : le grand mensonge. Diriez-vous que la situation aujourd'hui est la même ?

La situation est à peu près au même niveau. La différence est que le niveau d'endettement était beaucoup plus faible. On avait encore des lignes de crédit devant nous ; ce n'est plus le cas. On croyait encore que la croissance pouvait revenir. Ce serpent de la croissance est toujours dans les esprits mais les marges de manœuvre ne sont plus là. On était également plus confiant en l'Europe, en l'avenir.  

Mais il y a une prise de conscience qui commence à se faire, y compris auprès des partenaires sociaux, que l'on va dans le mur et qu'il faut changer les choses. Le discours formulé par Hollande hier n'aura pas pu être tenu par la gauche il y a 20 ans. Rocard aurait pu le tenir mais Rocard ne passait pas chez les militants. Il était minoritaire au PS. L'histoire dira si Hollande sera vu comme étant un nouveau Blair ou le Rocard qui nous a manqué. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !