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Révélateur : Zidane, cet objet de notre obscur désir de post-modernité
©PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

Zizou président

L'annonce du départ de Zinedine Zidane du Real Madrid a provoqué un séisme dépassant le cadre du sport. Cela tient au personnage, dont les responsables politiques devraient s'inspirer.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Le sphinx Zidane a pris tout le monde à contre-pied, hier, en annonçant son départ du Real de Madrid, après de nombreux trophées décrochés en un temps record. L’icône de l’équipe de France qui avait remporté le Mondial en 1998 a encore frappé! Impossible d’échapper à cette information somme toute annexe à un moment où Trump fait voler le libre-échange et le Traité de l’Atlantique Nord en éclats, et à un moment où l’Europe plie le genou sous l’effet des différentes forces centrifuges qui la secouent. Qu’importe! L’information footballistique était plus importante…

Le charisme mythique de Zidane, essentiellement fondé sur le silence, n’y est pas pour rien…

Zidane, ou la communication par le silence

Jamais sans doute une vedette hyper-médiatisée n’avait autant pratiqué le silence comme instrument de communication. Zidane n’est pas seulement discret dans ses apparitions… il est aussi peu loquace lorsqu’il apparaît, et cette espèce de recours au silence pour dire les choses participe fortement du mythe qui l’entoure. Face à des micros, Zidane ne dit pratiquement rien. En tout cas, il est extrêmement avare de mots. 

Loin de le disqualifier, cette faible appétence pour l’art oratoire a beaucoup porté sa popularité. D’une certaine façon, Zidane est beaucoup plus écouté parce qu’il ne dit rien, et ses silences font beaucoup plus sens que ses paroles ne pourraient le faire s’il se décidait à parler. 

Au fond, Zidane ne parle vraiment que lorsqu’il a quelque chose à dire. C’est un puissant signe distinctif dans une époque où la parole est maintenue en éveil constant, comme s’il était impérieux de parler sans arrêt, de « communiquer », même quand on a absolument rien à ajouter au cours des choses. 

En ce sens, Zidane est bien l’opposé de ce qui est présenté comme notre époque. Face à l’injonction de « communiquer », de marquer de l’empathie, de la bienveillance, face au devoir de s’exprimer, Zidane pratique la règle inverse: il se sent obligé de ne rien dire, ou d’en dire très peu. C’est pour ça qu’il est si populaire. 

Zidane exprime-t-il le désir le plus obscène de notre époque?

Que le silence soit devenu une valeur irremplaçable dans notre monde (et si prisée parce que si rare) dans notre société n’est pas surprenant. Depuis quelques décennies, une sorte de dictature de la parole s’est installée, où nous sommes mis en demeure de couvrir le vacarme d’une société marchande par d’interminables explications sur le sens des choses. 

N’en déplaise à mes amis de BFM, mais ils en sont un peu la meilleure illustration en France… On est obligé d’informer non seulement en temps réel, mais aussi en temps irréel, c’est-à-dire en permanence et sans discontinuer, même quand aucune infirmation ne se justifie. Il faut occuper le crachoir à longueur de journée, et maintenir nos cerveaux dans un état qui oscille entre l’urgence sans fin face à des choses parfois infimes et une forme d’hypnose moderne face au monde, où tout ce qui s’y passe est reformaté pour entrer dans les mêmes cases, quelle que soit leur importance.

Encore est-il injuste de limiter à l’information le champ de la parole incontinente. Progressivement, l’ensemble de la société occidentale a banni le silence, et tout spécialement le silence de la solitude. Il n’est plus d’espace où il soit sanctuarisé: partout, il faut du bruit, de la musique, du « son », comme on dit. Le son est devenu tyrannique, jusqu’à nous assourdir. 

Quel bonheur, lorsque nous croisons un Zidane! Il nous ramène d’un coup à ce que nous désirons peut-être le plus instinctivement, mais que nous avons oublié, ou que nous n’osons demander par crainte d’être obscène: le silence. Zidane est un anti-héros de la modernité.

Et si le silence était la loi profonde de notre temps?

Pourquoi notre époque adore le bruit, le son, la logorrhée, nous le savons tous. Cette aspiration est tout sauf innocente ou incidente. Les esprits les plus brillants de notre époque ont grandi dans un univers frappé du sceau de l’histoire et du progrès. Dans leur cerveau, l’histoire avait un sens qu’il fallait expliquer à l’infini, celui d’un combat du bien contre le mal (du capitalisme contre le communisme, de la liberté contre le totalitarisme, de l’aliénation ouvrière contre toutes les dominations, etc.)

Depuis la fin du communisme et l’instauration d’un monde monopolaire dominé par le consumérisme américain, cette conviction a volé en éclat. De nos jours, tout s’impose, sauf la certitude que le monde ait un sens. Et au fond, tout laisse à penser qu’il n’en a probablement pas. De l’urgence de parler, nous sommes passés au bon sens de se taire. 

Sauf ceux qui, bien entendu, sont encore animés de la nostalgie tendre pour l’ancien monde. Celui où il fallait expliquer les choses pour en orienter le cours. 

En ce sens, Zidane est probablement le premier gourou de la post-modernité ou, en tout cas, le meilleur d’entre eux. Il ne se sent plus obligé d’expliquer quoique ce soit. Son discours, ce sont ses actes et sa volonté. 

Faire part aux autres de sa volonté (en l’espèce quitter le Real de Madrid) est une explication suffisante. Elle se passe de tout autre commentaire. Tout simplement parce qu’elle n’a pas de sens collectif. Elle ne nous renseigne pas sur l’histoire du football. Elle nous renseigne simplement sur la puissance d’un homme qui ne perd pas son temps en explications superfétatoires. 

À comparer avec un discours d’Emmanuel Macron.

Article publié initialement sur Entreprise.news

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