Retraites : une réforme plus intéressante que prévue mais qui ne résout pas tout<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement a présenté sa réforme des retraites hier après-midi.
Le gouvernement a présenté sa réforme des retraites hier après-midi.
©Bertrand GUAY / POOL / AFP

Réforme

L'option d'un report de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans en 2030 a finalement été choisie.

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Atlantico : Le gouvernement a présenté ce mardi son projet de réforme des retraites. Que pensez-vous des annonces faites par l'exécutif ?

Marc de Basquiat : Honnêtement, je craignais de découvrir – comme lors du quinquennat précédent – un projet ambitieux dans les déclarations gouvernementales et technocratiques et dans les modalités de mise en œuvre. Ce n’est pas le cas. Je crois qu’on peut attribuer ce progrès à la rigueur de notre première ministre, qui se garde d’annoncer des réformes flatteuses qui se heurteraient rapidement à des difficultés insolubles de mise en œuvre opérationnelle. Je reconnais là une approche d’ingénieur. J’apprécie cette modestie pragmatique.

L’âge normal de départ à la retraite sera donc porté à 64 ans, avec des règles claires sur les nécessaires exceptions : pour ceux qui ont commencé très tôt (par exemple les apprentis boulangers à 16 ans), certains métiers dangereux (armée, pompiers…) ou pour raisons de santé. La France restera le pays d’Europe dont l’âge de départ à la retraite est parmi les plus bas, les autres pays continuant à le relever (le Danemark vise 69 ans). Compte tenu de l’évolution démographique, passer de 62 à 64 ans n’est pas particulièrement ambitieux.

La prise en compte de la pénibilité était un autre thème sur lequel le gouvernement était attendu. Le choix de traiter d’abord la cause du problème plutôt que ses conséquences est responsable. Les ministres qui se sont succédé à la tribune pour expliquer la réforme ont insisté sur les mesures à mettre en œuvre pour anticiper et éviter la dégradation de l’état physique des personnes concernées. Le ministre du Travail Olivier Dussopt a expliqué de façon convaincante que le suivi réalisé de longue date par les entreprises des accidents du travail et maladies professionnelles (ATMP) permettrait à chaque branche professionnelle d’identifier les métiers à réformer. Les partenaires sociaux auront un rôle important à jouer dans ce sens.

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Le troisième thème piège était l’instauration d’un plancher de pension pour ceux dont les cotisations ont été faibles pendant la vie professionnelle. Le choix de poser la règle de 85% du SMIC net comme minimum (soit environ 1.200 euros par mois) pour ceux qui ont perçu le SMIC toute leur vie donne une tonalité assez sociale à la réforme.

Le quatrième et dernier pilier de la réforme est la fin programmée de plusieurs régimes spéciaux de retraite : RATP, énergies électriques et gazières (dont EDF), Banque de France, clercs de notaires… Cette décision saine s’installe modestement dans le temps long, ne s’appliquant qu’aux nouveaux embauchés des entreprises concernées.

Choisissant la transparence, le gouvernement a expliqué que certains aspects de la réforme devraient encore être affinés, par des études techniques et dans la concertation. C’est le cas de l’épineuse question des droits familiaux, pour laquelle le gouvernement a demandé au Conseil d’orientation des retraites (COR) de préparer une proposition. Celle-ci pourrait décliner certains principes identifiés dans l’excellent rapport « Retraite et droits conjugaux : panorama et perspectives » (COR, 2019).

Quitte à s’attaquer au sujet explosif des retraites, est-ce vraiment ce projet de réforme qu’il fallait mettre en action ? N’y a-t-il pas des projets plus justes ? Ou plus efficaces ?

Tel qu’il nous est présenté aujourd’hui, ce projet va un peu plus loin qu’un ajustement de quelques paramètres. Il n’est pas révolutionnaire. C’est un acte de gestionnaire responsable et soucieux de ne pas réveiller la contestation dans un pays déjà passablement éreinté par les épisodes précédents. Dans le contexte politique actuel, c’est déjà pas mal !

C’est aux frontières des dispositifs évoqués par le gouvernement que se posent les questions.

Par exemple, le minimum de 1 200 euros s’applique aux retraités qui ont atteint l’âge minimal et cumulé tous leurs trimestres de cotisation. Qu’en est-il de ceux qui ne les ont pas ? On reste dans l’ambivalence d’un « minimum contributif » (pour ceux qui ont cotisé 120 trimestres) et d’une Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) pour les autres.

Ainsi on voit émerger une troisième forme de minimum de ressources pour les retraités aux revenus faibles ou modestes, avec des règles d’éligibilité et de calcul décorrélées entre les dispositifs. En choisissant de renforcer significativement la générosité envers ceux qui totalisent leurs trimestres de cotisation, le gouvernement accroit l’écart avec les pensions de ceux qui n’ont pas eu cette chance au cours de leurs carrières. A plus ou moins brève échéance, le gouvernement sera porté à regonfler les deux autres dispositifs, alourdissant alors le coût de la réforme.

Peut-être serait-il plus simple, lisible et efficace de garantir à tous les retraités un socle de revenu identique dès 64 ans (ou plus tôt dans les cas prévus) et y ajouter une pension calculée en fonction de la réalité des cotisations cumulées pendant sa vie professionnelle ?

De même, le gouvernement annonce la création obligatoire pour les entreprises d’une certaine taille d’un index sur la place des salariés en fin de carrière, afin de les inciter à conserver leurs séniors au lieu de négocier des départs anticipés dont le coût pèse sur l’assurance chômage et les dispositifs de solidarité. Cette nouvelle contrainte administrative semble légitime. Mais ne pourrait-on pas en faire l’économie si les entreprises comme les salariés concernés avaient un véritable intérêt économique et humain à prolonger leur collaboration plus longtemps ?

A l’image de ce que le gouvernement annonce pour réduire les causes de la pénibilité, l’ensemble de notre société aurait sans doute intérêt à mieux comprendre les raisons de cette envie partagée de quitter son travail plus tôt. La France est le mauvais élève de l’Europe en matière de taux d’emploi des séniors (même avec un âge de départ plus bas que les autres pays). Il y a là un enjeu majeur : comprendre et résoudre ce mal français plutôt qu’y ajouter une nouvelle couche de contrôle technocratique. Pourquoi avons-nous – collectivement – perdu à ce point le sens du travail, espace de collaboration, de création et de reconnaissance individuelle ?

Ne faudrait-il pas, plutôt qu’une réforme des retraites budgétaire, une véritable remise à plat du système fiscal et social français et, par là, une vraie réforme des retraites ?

Lorsqu’on analyse les méandres des dispositifs sociaux et fiscaux des pays européens où l’Etat providence s’est développé depuis bientôt un siècle, on est rapidement submergé en découvrant une infinité d’incohérences et d’inefficacités. Une conclusion limpide s’impose : si c’était à refaire, nous ferions tout autrement !

Quelques dispositifs universels, connus et compris par tous, permettraient de libérer le potentiel de citoyens se sentant pleinement acteurs de leurs vies.

Réformer un système de retraite a ceci de particulier qu’on s’inscrit nécessairement dans le temps long, avec des transitions s’écoulant pendant des décennies de cotisation et à peu près la moitié autant à la retraite. Le gouvernement en a pris acte en décidant de fermer en octobre 2023 l’accès aux régimes spéciaux de retraite pour les nouveaux embauchés, dirigés obligatoirement vers le régime général. Ainsi, les régimes de retraites EDF, de la RATP ou de la Banque de France qui coûtent quelques milliards d’euros chaque année aux contribuables s’éteindront définitivement dans une cinquantaine d’années.

Dans une ou deux décennies, quelqu’un aura peut-être une idée pertinente pour accélérer ces transitions afin de parvenir enfin à un régime de retraite unifié à l’échelle du pays.

D’ici là, rêvons à un système vertueux !

A l’évidence, il serait compréhensible et équitable, chaque citoyen comprenant qu’il est traité à l’identique de tous les autres. La Nouvelle-Zélande présente un bel exemple a cet égard avec un système NZS qui verse la même somme chaque mois à tous les retraités dès 65 ans. Ce socle de solidarité universel financé par l’impôt est complété par un système de retraite KiwiSaver optionnel, où chacun cotise à son rythme pour améliorer ses perspectives de revenus à la retraite. Bien entendu, chacun peut également souscrire s’il le souhaite à des fonds privés.

La France est bien incapable de basculer dans un tel système, mais il serait utile de réfléchir aux réponses à apporter à quelques questions aujourd’hui mal traitées :

·      Peut-on imaginer des formules permettant à chacun de partir à la retraite quand il le souhaite, en sachant pertinemment ce que son choix induira sur le montant de ses pensions futures ?

·      Est-il envisageable que les retraités puissent aisément continuer à travailler ou reprendre une activité des années après avoir liquidé leurs droits ?

·      Peut-on éviter que les actifs soient de plus en plus écrasés par la nécessaire solidarité envers les retraités en fragilité économique, qui pourraient être plus légitimement secourus par leurs contemporains retraités en positions plus favorables ?

·      Pourrait-on remplacer le dispositif vicié de la réversion par un principe de partage à parité des cotisations retraites entre les époux durant leurs années de vie commune ?

Est-ce une occasion manquée de la part du gouvernement ?

La réforme présentée par le gouvernement ce 10 janvier présente d’indéniables qualités. Cependant, on peut s’inquiéter de n’y voir qu’une avancée limitée, tactique, permettant d’amortir la tension budgétaire induite par une évolution démographique défavorable et une économie en berne. Réjouissons-nous de ne pas connaître une déflagration démographique telle que l’Italie, l’Allemagne ou encore la Corée du Sud qui affiche un taux de natalité de 0,84 enfant par femme !

Au-delà des ajustements nécessaires pour assurer l’équilibre budgétaire de nos systèmes de retraite, il serait important de travailler sur d’autres dimensions de l’équation. Si les citoyens avaient confiance dans le système, qu’ils étaient motivés pour travailler de longues années dans des entreprises dynamiques et généreuses dans la reconnaissance des efforts de chacun, l’équation serait tout autre.

Une approche uniquement comptable de la question n’apportera pas les réponses que le pays attend. Espérons néanmoins que nous dépasserons rapidement les obstacles que ne manqueront pas de dresser sur le chemin de cette modeste réforme ceux qui semblent ne plus croire au potentiel de notre pays. Espérons qu’un accord pragmatique sera mis en œuvre à l’Assemblée nationale pour la voter rapidement. Ensuite avançons plus loin.

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