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Retraites : Emmanuel Macron s’essaie à l’argument de la justice sociale
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Réforme

Alors que la politique économique du Président est majoritairement perçue comme injuste par les Français, le chef de l’Etat a martelé sur BFM ce vendredi que la suppression des régimes spéciaux était une question de justice. Sera-t-il entendu ?

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Emmanuel Macron est venu plaider sur le plateau de Ruth Elkrief, sur BFM TV, les bienfaits de sa réforme des retraites. Manifestant au passage une forme de surdité en réduisant les critiques contre son projet à une défense simpliste des régimes spéciaux, il a expliqué que cette réforme procédait de la justice sociale. Après le rapport du COR sur le déséquilibre du régime à l’horizon 2025, l’argument est de plus en plus difficile à défendre. Mais que vaut-il au juste?

Selon Emmanuel Macron, la réforme des retraites, l’introduction d’un système par points, serait socialement juste. C’était l’argument utilisé durant la campagne électorale : quelle que soit la profession, chaque euro cotisé ouvrirait les mêmes droits pour tous. Au-delà des polémiques qui entourent le sujet, il n’est pas inutile d’examiner le dossier sur le fond.

Socialement juste ? Mais la justice sociale, c’est quoi ?

La notion de justice sociale est l’Arlésienne de la société française. Il paraît que les Français sont épris de justice, d’égalité, et de toutes ces sortes de choses qui rendent la réforme de ce pays si difficile.

Soit, mais en matière de retraite, de quelle justice sociale parle-t-on ? Le principe d’un grand système universel prélevant des ressources jusqu’à 10.000 euros mensuels sur les revenus de tous les Français exprime-t-il réellement ce souci de justice sociale ?

Sur ce point, et contrairement aux apparences, les Français semblent, depuis toujours, très divisés. Depuis l’invention de la retraite par répartition (en 1941), et depuis son ambition universelle (dévoilée en 1944), la société française ne cesse de lui résister et d’en dénoncer les méfaits. Dès 1945, les bénéficiaires des régimes spéciaux, notamment les cheminots, les traminots, les gaziers et les électriciens, ont obtenu d’y échapper et de conserver leurs régimes créés dans les années 30.

Depuis 1945, toutes les professions qui l’ont pu ont échappé à l’absorption par le régime général de la sécurité sociale, jugé trop cher et trop peu « rentable » pour les salariés.

Est-il juste de forcer aujourd’hui un mouvement auquel tant de gens ont résisté pendant des décennies ? On est pris d’un doute.

Une promesse de baisse pour les pensions

Si les Français résistent à leur absorption par le régime général, ils ont de bonnes raisons de le faire.

Dans l’hypothèse de la retraite par points, l’affaire est cousue de fil blanc. Les pensions seront calculées sur la totalité de la carrière et non sur les 25 meilleures années. Rappelons qu’avant la réforme Balladur de 1993, le calcul reposait sur les 10 meilleures années. Autant dire que, depuis cette époque, les retraites ne cessent de baisser et la promesse de Macron consiste à prolonger ce mouvement. La retraite par points constituera une espèce d’aboutissement de l’opération entreprise il y a près de trente ans.

La justice sociale dont parle Macron consiste donc à promettre à tous une baisse des retraites. On peut comprendre pourquoi ce choix est mis en œuvre. De là à le présenter comme un choix de justice, il y a une erreur de communication dommageable. Le Président présente en effet l’abaissement général des retraites comme une mesure positive.

On lui souhaite bon courage pour convaincre.

La société française a changé

Ces quelques détails, comme la baisse généralisée des pensions, pouvait peut-être passer à une certaine époque. Mais le monde, et singulièrement la France, ont changé depuis lors. Désormais, on parle de Vivre Ensemble, de diversité, de droit à la différence et de respect de celle-ci.

Ce changement sociétal crée un sacré problème. Se référer désormais à une égalité de traitement, à une uniformisation, à une centralisation, à un gommage des aspérités, suscite beaucoup moins d’empathie et d’appétence qu’auparavant.

La défense des régimes spéciaux le prouve : les Français sont plus girondins que jacobins. Ils aiment les différences, les particularités locales, les régionalismes. Près de 50 régimes spéciaux de retraite différents leur conviennent très bien et, ce qu’Emmanuel Macron appelle la justice sociale passe, pour eux, bien après. Le problème des élites parisiennes est bien là : elles n’ont pas compris que l’ère du grand système égalitaire, unique, univoque, était passée.

Désormais, il faut porter un projet empli de particularismes et de respect des originalités issues de l’histoire.

Compte tenu de cette évolution sociale profonde, tout laisse à penser qu’Emmanuel Macron et sa justice sociale sont à contre-courant de ce que les Français veulent pour eux-mêmes. On attendra la semaine prochaine pour savoir jusqu’où l’opposition à l’uniformité s’exprimera dans la société française. Mais tout laisse présager que cette opposition sera frontale.

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