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Retraites : ces réformes au coût supérieur à celui des économies qu’elles permettent
©Reuters

Régimes très spéciaux

La Cour des comptes a dévoilé lundi 15 juillet un rapport sur la réforme des régimes spéciaux de retraite. Elle pointe notamment du doigt les contreparties accordées aux salariés pour faire passer les réformes.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : La Cour des comptes pointe du doigt les "accompagnements généreux pour garantir [l'] acceptabilité sociale" des réformes. Quels sont ces dispositifs et en quoi leur coût constitue-t-il un problème ? 

Eric Verhaeghe : On oublie en effet de dire que la réforme des régimes spéciaux dont Nicolas Sarkozy s'était proclamé le chantre a coûté cher aux contribuables. On le savait déjà à l'époque, et la réforme de 2014 n'a rien arrangé. Dans la pratique, pour limiter au maximum les grèves, les gouvernements successifs ont accordé des contreparties aux salariés bien plus chères que les économies apportées par la réforme. Par exemple, chez EDF, on estime que les mesures d'accompagnement comme les augmentations salariales ou de prime de départ à la retraite coûteront 250 millions de 2009 à 2035, pour une économie sur les retraites de moins de 120 millions. Autrement dit, pour tout euro épargné sur la réforme du régime EDF, le client doit débourser 2 euros sur sa facture! A la RATP, des mesures similaires (augmentations de salaires, avantages divers) auraient coûté 300 millions d'euros pour une économie sur le régime d'environ 270 millions. A la SNCF, le surcoût serait d'environ 600 millions d'euros, soit près de 5 milliards de dépenses supplémentaires pour justifier un peu plus de 4 milliards d'économies. 

Autrement dit, pour éviter de perturber le pays par un conflit social dur, on a échangé des économies sur les salaires de remplacement que sont les retraites (ou salaires différés) contre des avantages immédiats. C'était évidemment absurde, puisque tout cela repose sur une incompréhension de ce qu'est une retraite. Insistons sur ce point: une retraite est un salaire différé. Cela n'a évidemment pas de sens de diminuer le volume des salaires versés plus tard en augmentant le volume des salaires versés tout de suite. Au final, ces choix ne dégagent aucune économie. Ils permettent sans doute un affichage politique (Sarkozy ayant abondamment joué la carte du briseurs de grèves et du grand réformateur des régimes spéciaux irréformables avant lui). Mais sur le fond, cette stratégie a dégradé les finances publiques au lieu de les améliorer, et elle a plus rapporté aux bénéficiaires des régimes spéciaux qu'elle ne le leur a coûté. 

Comment expliquer la difficulté de faire de véritables réformes, où aucun dispositif ne vient compenser les avantages budgétaires ? Est-ce de la faiblesse politique ou y a-t-il un vrai risque social ? Comment dès lors mettre en place cette réforme selon vous ?

En fait, s'agissant des régimes de la RATP, de la SNCF ou d'EDF, je suis convaincu qu'il faut les replacer bien au-delà du problème circonstanciel des réformes récentes, et placer le sujet dans son sens profond. En l'espèce, ces régimes sont en quelque sorte des espèces préhistoriques menacées. Ils ont été créés dans les années 30, à une époque où la sécurité sociale n'existait pas. Ils ont survécu à la création de celle-ci, c'est-à-dire aux différentes étapes qui ont donné du sens à notre protection sociale.

En 1941, Vichy a nationalisé les régimes en créant la CNAV, et en adoptant le principe de la répartition au lieu de la capitalisation. Vichy a aussi décidé que la retraite générale serait à 65 ans et non à 60 ans comme le prévoyaient les lois de 1928 et 1930. En 1945, après les ordonnances du gouvernement provisoire préservant ces créations de Vichy, personne n'a osé touché des régimes spéciaux qui étaient politiquement sensibles pour un pays en ruine ou en grève. Entre 1939 et 1945, et même après, il n'était pas imaginable de se couper des cheminots, des conducteurs de métro ou des électriciens d'EDF. Donc, on a sursis à l'intégration de tout ce petit monde dans le régime général dont les gens de gauche continuent à dire le plus grand bien, et on leur a laissé leur propre régime de retraite. 

Or, il faut comprendre ce que signifie ce choix. Depuis 1941, il existe en France une résistance à la mise en place d'une sécurité sociale imposée par les élites de la technostructure. Un même régime solidaire pour tout le monde (sauf pour les fonctionnaires) est un urticant pour l'opinion publique, même si un discours officiel parfaitement rôdé soutient le contraire. Dans la pratique, c'est surtout parmi les bénéficiaires des régimes spéciaux qu'on trouve aujourd'hui les défenseurs les plus virulents d'un régime universel de solidarité. J'ai toujours été convaincu que les cégétistes de la SNCF achetaient la passivité des gouvernements successifs en faisant la promotion du régime général auxquels ils ne voulaient surtout pas être intégrés. En disant du bien de la CNAV (mais en refusant d'en devenir les ressortissants), ils faisaient le travail de soumission des salariés que le gouvernement attendait d'eux. En contrepartie, ils conservaient le droit d'avoir un régime à part, leur régime, avec des avantages importants. 

Et c'est bien ici le sujet de la résistance à la sécurité sociale: sa mise en place a dégradé la protection sociale qui existait durant l'entre-deux-guerres. Quand les technocrates qui l'ont promue (malgré les réticences du PCF et de la CGT de l'époque, contrairement à la propagande actuelle de la France Insoumise) dès 1944, ceux qui bénéficiaient de régimes plus favorables ont tous lutté pied à pied pour les garder. Dans la pratique, les professions liées à des entreprises publiques de l'époque ont eu gain de cause et, comme d'habitude, le tout venant des salariés du privé ont dû, pour leur part, subir un système défavorable, mais qui leur était imposé. 

Quelles conclusions tirer de cela? Qu'au lieu de vouloir mettre en place au forceps un système unique, le sens profond de l'histoire de France est de laisser chaque profession s'organiser, comme dans les années 30. Le bon sens n'est pas de réformer les régimes spéciaux, mais de supprimer le régime général. 

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