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Rétablissement de l’ISF : une mauvaise solution à un problème que le gouvernement n’aurait pas dû se créer
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Capital politique en flamme

L'idée fait son chemin au sein de la majorité.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Dans le contexte actuel d'un pouvoir fragilisé par le mouvement des gilets jaunes, des députés de la majorité réfléchiraient à l'opportunité de rétablir l'ISF supprimé l'année passée. Pourtant, ne serait-il pas plus efficace, au contraire, de supprimer l'IFI, au regard de l'attachement des Français à l'investissement immobilier ? 

Jacques Bichot : Comme presque toutes les manifestations, celles des gilets jaunes donnent lieu à des violences et à des actes de vandalisme et de pillage. C’est très regrettable, mais à l’exception de rares actions pacifiques bien organisées, comme « la manif pour tous » il y a quelques années, il est rare que les personnes désireuses de manifester leur opposition à un projet qu’elles jugent néfaste et injuste parviennent à éviter que leurs actions soient parasitées par des individus qui « ont la haine » et profitent de l’occasion pour casser, cogner et piller.

Quand il est clair qu’une partie très importante de la population est d’accord avec la ou les principales revendications des manifestants autres que les voyous, et lorsque de plus ce qui est demandé n’est pas de décrocher la lune, un pouvoir démocratique se doit d’obtempérer. Actuellement, les sondages donnent 4 citoyens sur 5 désireux que soient abrogées les augmentations de taxes soi-disant destinées à protéger la planète contre le réchauffement climatique. Si nos gouvernants estiment ce chiffre sujet à caution, qu’ils organisent un référendum ou, s’ils veulent minimiser la dépense et le dérangement, ce que tout le monde comprendrait aisément, un mini-référendum.

En quoi pourrait consister une telle consultation ? Plusieurs formules sont envisageables ; indiquons-en seulement une : sous contrôle du Conseil constitutionnel, un tirage au sort désignerait 10 % de nos 36 000 communes, et le référendum se déroulerait de manière classique, avec simplement le choix entre maintien ou renoncement au surplus de taxes envisagé, mais seulement dans 3 600 communes. L’Elysée et Matignon sortiraient ainsi de l’impasse dans laquelle ils se sont fourvoyés.

Resterait ensuite à résoudre le problème budgétaire et celui des émissions de CO2. Concernant ces deux problèmes, la solution est simple : renoncer à l’absurde accélération du démantèlement de centrales nucléaires qui, selon l’avis de personnes compétentes, peuvent encore produire durant de nombreuses années, dans de bonnes conditions de sécurité, une électricité abondante et peu couteuse sans émission de gaz carbonique. Cette prolongation contribuera significativement à l’amélioration, non seulement de la qualité de l’air, mais aussi des finances publiques, car les liens entre EDF et l’Etat sont tels que le coût et le coup infligés à notre principal producteur de courant provoqueront évidemment une augmentation du déficit de l’Etat français.

Ceci fait, il n’y aurait plus besoin de rétablir l’ISF. Il faut sortir de cette manie française consistant à modifier sans arrêt la fiscalité et à ne jamais terminer les réformes commencées. L’ISF a été en grande partie supprimée, allons jusqu’au bout du processus en abolissant ce qui en subsiste, c’est-à-dire l’IFI. Il est inique de n’imposer que la partie immobilière de la fortune des ménages, donc la question est : revenir sur la suppression de l’impôt sur la fortune mobilière, ou abolir l’impôt sur la fortune immobilière ; je conseille la seconde solution, qui évitera aux pouvoirs publics de se déjuger. 

En revanche, il est impératif qu’ils fassent amende honorable en ce qui concerne la taxe d’habitation. Les collectivités territoriales doivent en effet absolument disposer de ressources propres, dont elles déterminent le volume et sont responsables devant les habitants. La taxe d’habitation correspond au financement d’une partie des services que les communes, les départements et les régions rendent à la population ; nous devons, si nous aimons la démocratie, préférer ce financement local des dépenses locales à une concentration à Bercy de la totalité du pouvoir fiscal. L’Union européenne reconnait le principe de subsidiarité ; il serait bon que nos dirigeants se rappellent leur attachement à cette Union, et donc à ce principe, en laissant les problèmes locaux se régler au niveau local. 

Philippe Crevel : Avec la transformation de l’ISF en IFI, la France venait juste de revenir dans la moyenne de la taxation du capital. Il faut le dire et le répéter, la suppression de la taxation du patrimoine financier n’est pas un cadeau aux riches, c’est un retour à la normale. Le Gouvernement n’a pas su vendre cette mesure car il n’a pas voulu aller jusqu’au bout. Il fallait évidemment prendre une mesure générale. Il a opté pour une demie mesure, maintenir l’imposition sur l’immobilier et exonérer le patrimoine financier. Conséquence, ce sont les redevables à l’ISF les plus aisés qui ont été avantagés. Par ailleurs, le Gouvernement a changé son calendrier pour les exonérations de charges sociales, contreparties de la hausse de la CSG afin de gagner quelques millions quand il a laissé inchangé celui de l’ISF.

La réforme de l’ISF aurait du s’inscrire dans une réforme plus globale de la fiscalité du patrimoine afin de la rendre moins anti-économique et moins lourde. Il faudrait se poser la question d’une refonte du barème des droits de mutation. Une diminution de la taxation des plus-values et surtout sa simplification auraient été également de bon aloi.

Compte tenu de l’attachement des Français à feu l’ISF, l’option de sa généralisation aurait pu être envisagé avec en contrepartie un allègement sur les droits de donation. Tous les contribuables français auraient été soumis à l’impôt sur le capital à un taux très faible. Ainsi, tout le monde se serait senti concerné par l’imposition du patrimoine. En effet, aujourd’hui, quand moins 1 % des ménages est concerné par un impôt, il n’est pas étonnant que les 99 % exemptés soient pour son maintien. En changeant la donne, l’état d’esprit risque de changer.

Alors que les députés concernés cherchent aujourd’hui à comprendre "où est passé l'argent de l'ISF" quels seraient les moyens à mettre en place pour permettre une réelle traduction de la baisse de fiscalité vers l'investissement dit "productif" ? 

Jacques Bichot : Ce n’est pas l’investissement qui est taxé, mais le profit. Cette taxation pose un énorme problème du fait de la concurrence internationale. En soi, la taxation des bénéfices est saine, et l’intérêt des entreprises serait que son taux soit très supérieur au taux actuel, par exemple en étant fixé à 50 %. En effet, comme je l’ai démontré dans divers articles, si tous les pays adoptaient ce taux, les entreprises pratiqueraient des marges avant impôt nettement plus importantes, ce qui les rendrait beaucoup moins vulnérables aux variations de la conjoncture.

Hélas, nous ne sommes pas, même au sein de l’Union européenne, dans un cadre coopératif où les Etats se mettraient d’accord pour adopter des règles profitables à l’humanité dans son ensemble. Pour attirer les sociétés, chaque Etat essaye de les imposer le moins possible, ce qui a comme conséquence inévitable la situation où nous sommes : une multinationale fait produire ses filiales quasiment sans bénéfices dans les pays où le taux de l’IS est élevé, pour revendre avec un maximum de marge dans ceux où l’IS est modéré. La recherche d’une localisation optimale pour les bénéfices est une des plaies de la mondialisation qui n’est pas organisée, pour les entreprises, en unifiant les taux de l’IS.

Ceci signifie qu’en baissant ces taux nous attirerons en France des sièges sociaux actuellement localisés au Luxembourg, en Irlande ou dans un paradis fiscal hors UE, mais pas spécialement les unités de production. Si bien que, dans l’état actuel des choses, pour attirer l’investissement productif, mieux vaut miser sur l’amélioration du « climat » dans lequel évoluent les entreprises : amélioration des services publics dont elles bénéficient, formation professionnelle mieux adaptée à leurs besoins, législation de l’emploi moins défavorable aux employeurs, comportement des agents de l’administration et des tribunaux plus sympathique pour les organismes et les personnes qui investissent et créent des emplois, SMIC diversifié selon les bassins d’emploi, etc. 

Manager les inspecteurs (du travail, des impôts, de l’hygiène, etc.) de façon que très rares soient ceux qui agissent avec un a priori défavorable aux « patrons » est plus difficile que de faire des cadeaux fiscaux, mais c’est cela qui amènerait les entreprises à produire et à embaucher davantage. L’amélioration de la qualité et de l’aménité de l’environnement administratif auquel sont confrontées les entreprises pourrait sauver notre économie, à la différence de nouveaux traficotages fiscaux qui finissent inévitablement en reprenant de la main gauche au moins l’équivalent de ce que l’on a donné de la main droite. 

Nous voulons que les entreprises se sentent mieux en France, y investissent plus et y créent davantage d’emplois ? Mettons au rancart les cadeaux fiscaux, et améliorons l’efficacité de nos administrations au service de la population en général et des entreprises en particulier.  

Philippe Crevel :Je ne suis pas pour le fléchage de la fiscalité. Un bon système fiscal se doit d’être le plus neutre possible. Les Français n’ont pas à être pénalisés s’ils investissent leur argent dans de l’immobilier tout comme ils n’ont pas à l’être s’ils privilégient les actions, les obligations, l’or, les tableaux ou les petits pois. Les impôts ont pour objectifs le financement des dépenses publiques. Le raffinage fiscal qui aboutit à la multiplication des niches est contreproductif. D’’autre part, je ne sais pas trop ce qu’est un investissement productif. Acquérir des actions n’est pas en soi un geste productif surtout si elles sont rachetées sur le marché. C’est un épargnant qui vend à un autre épargnant. Et même, en cas d’augmentation du capital d’une entreprise, il n’y a aucune garantie, en amont, que l’argent collecté sera productif. C’est un pari. Il y a des bons et des mauvais entrepreneurs. Une obligation publique ou privée peut être tout aussi productive qu’une action. Un Etat peut investir dans des infrastructures, dans la recherche…. Investir dans la pierre peut faire travailler de nombreuses personnes ou nourrir la spéculation. De ce fait, pourquoi orienter vers tel ou tel type de placements…

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