Pourquoi traiter son employeur de "chef de merde" sur Facebook peut conduire à un licenciement<!-- --> | Atlantico.fr
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Les propos jugés injurieux avaient été publiés sur le profil Facebook "CGT FAPT Webhelp" ...
Les propos jugés injurieux avaient été publiés sur le profil Facebook "CGT FAPT Webhelp" ...
©Reuters

Affaire Webhelp Caen

Le Tribunal correctionnel de Paris a condamné mardi un élu CGT pour avoir publié des propos injurieux envers son employeur sur Facebook. Atteinte à la liberté d'expression ou comportement déloyal à l'égard de l'entreprise qui le salarie ?

Etienne  Drouard

Etienne Drouard

Etienne Drouard est avocat spécialisé en droit de l’informatique et des réseaux de communication électronique.

Ancien membre de la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), ses activités portent sur l’ensemble des débats de régulation des réseaux et contenus numériques menés devant les institutions européennes, françaises et américaines.

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Une fois de plus, les réseaux sociaux donnent aux tribunaux français l'occasion de préciser les limites de la liberté d'expression, et de tracer la ligne de partage entre la communication publique et la correspondance privée.

Mardi, le Tribunal correctionnel de Paris a condamné un élu CGT pour avoir publié des propos injurieux sur le profil Facebook "CGT FAPT Webhelp" : "boulot de merde, boîte de merde, chefs de merde" et "j’aime pas les petits chefaillons qui jouent aux grands". Le Tribunal a jugé que "les expressions utilisées excédaient les limites de la critique admissible, y compris lorsqu’elle s’exerce dans un cadre syndical".

Durant l'audience, le gestionnaire de ce profil Facebook, Eric Blanchemain, élu CGT et secrétaire du CHSCT (Comité d'hygiène, de sécurité, et des conditions de travail) de la société Webhelp Caen, a reconnu être l'auteur de ces propos alors qu'il s'en était jusqu'alors défendu en indiquant que d'autres personnes pouvaient publier sur ce profil.

Le Tribunal l'a condamné à une amende de 500 euros avec sursis, et à verser un euro symbolique de dommages et intérêts à chacune des parties civiles : sa supérieure hiérarchique, son employeur (Webhelp Caen) et la société mère du groupe Webhelp. Le tribunal a également ordonné la publication du jugement sur le panneau syndical de la société. Eric Blanchemain dispose de 15 jours pour faire appel. Il n’a pas encore fait connaître son intention.

Pourquoi un tribunal correctionnel parisien pour un litige social normand ?

Webhelp Caen (centre d'appels de 870 salariés) avait mis à pied Monsieur Blanchemain durant 5 jours en décembre 2011. La société a préféré agir au pénal sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 réprimant l'injure publique, avant de décider ou non d'engager à Caen une procédure de licenciement de ce salarié protégé, employé depuis 2005 dans l'entreprise.

Les litiges mettant en jeu la liberté d'expression relèvent de la compétence exclusive de la 17ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris, qui peut statuer sous une forme civile ou correctionnelle.

Stratégiquement, il est plus confortable pour un employeur de justifier un licenciement pour des propos qui ont fait l'objet d'une condamnation pénale, même symbolique, plutôt que de risquer devant l'inspection du travail puis devant un Conseil de prud'homme à Caen, la contestation du licenciement d'un salarié protégé, fondé sur la déloyauté de ce dernier à l'égard de son employeur.

Les limites de la liberté d'expression syndicale

Les propos jugés injurieux avaient été publiés sur le profil Facebook "CGT FAPT Webhelp" après le suicide à son domicile d'une salariée de Webhelp Caen, pour lequel le CHSCT reprochait à la direction de ne pas vouloir lui confier la conduite d'une enquête sur d'éventuelles causes professionnelles. Devant le Tribunal, le secrétaire du CHSCT de Webhelp Caen a expliqué ses propos par ces circonstances particulières.

Malgré ces circonstances, le Tribunal n'avait absolument aucune autre solution que de juger les propos incriminés d'injures publiques. On peut néanmoins relever que le tribunal a été approximatif en acceptant d'inclure dans l'expression injurieuse les mots "journée de merde, temps de merde", qui n'était "que" grossière - ce qui n'est pas un délit. Cette décision reste cependant classique, même si le tribunal a pris le soin de préciser que l'expression syndicale n'est pas une excuse à l'injure.

Enfin, on peut relever la faiblesse de la condamnation : 500 € d'amende avec sursis (qui ne serait appliquée qu'en cas de récidive) et un euro symbolique de dommages et intérêts alloué à chaque plaignant. Sans cette condamnation, même faible - c'est-à-dire sans la stratégie pénale utilisée par l'employeur -, nul ne peut dire quelle serait la décision d'un Conseil de prud'homme pour statuer sur le licenciement de ce salarié protégé à raison de ces propos, dans ces circonstances.

Cette affaire s'ajoute à plus de cinquante décisions liées à l'utilisation des réseaux sociaux par des salariés dénigrant leur employeur. En substance, l'état de la jurisprudence à ce jour est le suivant : lorsqu'un salarié - même protégé - publie sur un réseau social des propos négatifs à l'encontre de son employeur, il doit veiller à ce que seuls ses "amis" - et de vrais amis ! - y aient accès, afin d'échapper à la sanction de sa déloyauté à l'égard de son employeur, et il doit s'abstenir d'injurier ou de diffamer quiconque.

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