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Républicain ou pas ? Les propositions du FN 2013 passées au crible de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’Homme
©Reuters

Analyse

Marine Le Pen a indiqué ce mercredi qu'elle contesterait, y compris en justice, l'étiquette d'extrême droite apposée au Front National dans le but, assure-t-elle, de l'affubler d'une image "bien crade". Selon elle, le FN n'est "ni de droite ni de gauche". Mais de quoi relève alors le programme frontiste ?

Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu est un professeur et juriste français, spécialiste de droit constitutionnel. Il est notamment professeur de droit à Paris-I, membre du Conseil de la magistrature et Président de l'Association française de droit constitutionnel. C'est un ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature. Il est Vice président de l’Association internationale de droit constitutionnel. Son dernier ouvrage paru s'intitule "Justice et politique: la déchirure?"  Lextenso 2015.

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Atlantico : Marine Le Pen promet des poursuites contre quiconque qualifierait son parti d'extrême droite. Qu'est-ce qui dans le programme ou les déclarations de Marine Le Pen pourrait réellement tomber sous le coup d'une censure du Conseil constitutionnel ou se heurter au droit européen ?

Bertrand Mathieu : La question nécessite deux niveaux de réponse. D'une part, il me semble difficile que les poursuites de Marine Le Pen puissent aboutir, indépendamment du fait de savoir si ce qualificatif est, ou non, justifié. Il conviendrait, en effet de considérer que cette qualification est injurieuse ou diffamatoire et ensuite, seulement qu'elle est infondée. Seules les juridictions de droit commun (juges judiciaires) seraient compétentes. Interdire toute déclaration visant à situer un parti sur l'échiquier politique mettrait en cause tant la liberté d'expression, et singulièrement celle des journalistes, que la liberté de la recherche, qui sont l'une et l'autre des principes constitutionnels. On ne voit pas pourquoi les partis qualifiés d'extrême gauche ne pourraient pas, eux aussi, contester cette appellation, à la différence près que seule le qualificatif d’extrême droite semble avoir une connotation négative, alors que tel ne serait pas le cas, pour des raisons purement idéologiques, de celui visant la gauche de la gauche. Mais une contestation en justice d'une affirmation invoquant le caractère fasciste, raciste ou totalitaire du Front national présenterait plus de chance de succès.

D'autre part, le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme ne pourraient, la cas échéant, intervenir qu'en cas de dissolution du Front national, ce qui, heureusement pour la démocratie, ne semble pas être à l'ordre du jour. La seule contrainte pesant sur les partis politiques est celle de respecter le principe de souveraineté nationale et la démocratie (art. 4 de la Constitution). Il ne semble pas que le Front national puisse être mis, juridiquement, en cause sur l'un ou l'autre de ces terrains. Par ailleurs vouloir modifier des dispositions inscrites dans la Constitution (sauf, directement, la forme républicaine du gouvernement) est une faculté ouverte aux partis politiques.

Le rétablissement de la peine de mort ou la mise en place de la préférence nationale poseraient-elles des problèmes juridiques insolubles ?

Cela poserait incontestablement des problèmes juridiques. En effet l'abolition de la peine de mort résulte tant de la Constitution que des traités auxquels la France a adhéré. Il conviendrait alors pour aboutir a ce résultat de réviser la Constitution et de remettre en cause l'engagement de la France dans la Convention européenne des droits de l'homme. En outre, la préférence nationale, pourrait mettre en cause des contraintes résultant du droit de l'Union européenne. Rien n'est, au sens strict du terme, impossible, mais ces deux réformes exigeraient des bouleversements juridiques, abstraction faite des problèmes politiques, qui les rendent très improbables. On relèvera que les Etats ont aujourd'hui perdu l'exercice de certaines compétences dites de souveraineté, et tel est, dans une large mesure, le cas sur ces sujets. Le retrouver pleinement exigerait de rompre avec nos engagements européens, ou d'obtenir, à l'unanimité, de nos partenaires, une modification des traités, ce qui semble encore une fois assez difficile.

La sortie unilatérale de l'Euro est-elle envisageable sans une révision des traités ?

La encore, la participation a l'Europe monétaire résulte d'engagements internationaux auxquels la France a adhéré, une sortie serait possible, indépendamment du fait que l'on imagine mal une sortie non négociée avec nos partenaires, il conviendrait que la France modifie sa position au regard des traités pertinents.

S'il ne pose pas de problèmes juridiques majeurs, le programme du FN est-il pour autant sans danger ?

Les problèmes juridiques seraient majeurs, même s'ils ne sont pas insurmontables. Dire que le programme du FN est ou non dangereux relève d'une appréciation politique subjective que je ne souhaite pas exprimer en tant que juriste. Mais de manière plus objective, il me semble que ce projet présente l'inconvénient majeur de faire croire possibles des solutions très difficiles à mettre en œuvre et qu'il est probablement dangereux par ses silences et sa faiblesse en ce qui concerne notamment les questions économiques.
Sur un autre plan, nous sommes dans une situation où l'oligarchie, des sages, des experts, des instituions européennes, des autorités monétaires... s'est coupée du Peuple, nourrissant ainsi, en retour, un populisme dont le Front national est l'un des instruments. Il profite incontestablement des faiblesses de la démocratie représentative, de la crise des valeurs et de l'absence de réponses des partis dits traditionnels, de gauche ou de droite aux défis de notre pays.

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