Reprise : pourquoi la Grande-Bretagne s'en sort mieux que nous<!-- --> | Atlantico.fr
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La production de la Grande-Bretagne dans le secteur industriel a grimpé à 0.9 % en un mois.
La production de la Grande-Bretagne dans le secteur industriel a grimpé à 0.9 % en un mois.
©Reuters

God save the sterling !

Avec une hausse de la production dans le secteur industriel et un sterling fort, l'embellie économique britannique s'affirme. De quoi inspirer.

Atlantico: D’après l’Office national des Statistiques anglais, la production dans le secteur industriel (qui représente 1/6e de l’économie de la Grande-Bretagne) a grimpé à 0.9 % en un mois. Par ailleurs, la livre Sterling a dépassé la valeur du dollar mercredi dernier. Comment expliquer que l'économie britannique s'en tire bien mieux que la nôtre ?

Pierre-François Gouiffès: Les dernières données macroéconomiques britanniques sont effectivement bonnes : une croissance de 0,8% au 3ème trimestre 2013 après 0,4% au 1er et 0,7% au second. S’il y a une rupture par rapport à la stagnation de 2012, il n’en demeure pas moins que l’économie britannique reste encore 2,5% en dessous de son pic d’avant la crise de 2008.

La question est de savoir le rôle de la politique économique britannique (compétitivité réglementaire et fiscale, austérité budgétaire et activisme monétaire) dans ce redressement. On peut notamment mettre en avant les décisions du gouvernement favorables aux investissements immobiliers et le caractère accommodant de la politique monétaire.

Quel rôle l'usage que le Royaume-Uni a fait de son outil monétaire a-t-il joué dans l'amélioration de la situation britannique ? La nomination de Marc Carney à la tête de la banque d'Angleterre a-t-elle marqué un tournant décisif ?

Pierre-François Gouiffès : Le Royaume-Uni déploie depuis plus le premier trimestre 2009 une politique monétaire « activiste » incluant notamment le maintien du taux directeur de la Banque d’Angleterre à 0,5% et un programme d'acquisitions d'actifs financées au moyen des réserves à la banque centrale portant ses avoirs en titres à long terme, essentiellement constitués de fonds d'État à près de 25 % du PIB.

Cette politique a été complétée depuis le gouvernement Cameron par un programme de soutien du Trésor à la construction d’infrastructures et de logements et le programme « Funding for Lending » de soutien des prêts hypothécaires garantis par l'Etat.

Nicolas Goetzmann: La politique monétaire britannique peut être analysée en séparant deux périodes. Jusqu’au mois de juin 2013, Mervyn King dirigeait la Bank Of England puis a été remplacé par Mark Carney en juillet de cette année. Mervyn King a suivi une voie de relance monétaire en procédant par le biais de rachats d’actifs, avec des résultats plutôt satisfaisants sur le front du chômage. En effet le taux britannique est passé sous la barre des 8%. Concernant la nomination de son successeur, il faut comprendre le contexte. Le Canadien Mark Carney a été nommé à la suite de son action en tant que gouverneur de la Banque du Canada, où il était parvenu à tempérer les effets de la crise. Mais également parce qu’il était partisan d’une nouvelle méthode de gestion de la politique monétaire, dite de l’objectif de PIB nominal, et bien plus agressive que celle menée par King. Ce sont les perspectives engendrées par cette nouvelle théorie qui ont poussé David Cameron et George Osborne à aller chercher Carney, passant outre le fait qu’il ne soit pas un citoyen Britannique. Depuis son arrivée, son travail consiste essentiellement à convaincre le reste du “board” de la Bank of England de mettre en pratique cette nouvelle théorie. Et bien entendu il existe des résistances au sein de l’institution, mais nous pouvons être optimistes. Donc oui, son arrivée est décisive en théorie mais elle ne l’est pas encore en pratique, c’est à dire que s’il parvient à son but, nous devons nous attendre à une relance monétaire de grande ampleur au Royaume Uni.

La reprise économique et les bons résultats statistiques donnent-ils raison à la politique d’austérité britannique en temps de crise (et tort aux choix de politique économique de la France) ?

Pierre-François Gouiffès : Il semble important de préciser que le déficit public britannique reste très important et supérieur au déficit français (6,8% contre 4,1% prévus pour 2013). Cela étant dit, il y a une politique assumée de baisse des dépenses publiques qui avaient considérablement augmenté entre 2000 et 2009, passant de 37% à 51% du fait des politiques des gouvernements Blair & Brown et de la violence de la récession de 2009.

Le gouvernement Cameron installé en 2010 a décidé de renverser cette tendance en jouant notamment sur trois postes : masse salariale et effectifs publics (plusieurs centaines de milliers d’emplois publics supprimés, gel salarial), dépenses sociales (mise en place d’un plafond de prestations par ménage), transferts aux collectivités locales. Les dépenses publiques sont passées de 51% à 48% entre 2009 et 2012 sans qu’il y ait une augmentation du taux de chômage positionné aujourd’hui à 8%.

Nicolas Goetzmann: Il ne s‘agit pas d’une politique d’austérité... puisque cette rigueur ne provient que du coté budgétaire et est contrebalancée par une relance monétaire.Elle permet en effet au gouvernement de procéder à des ajustements sur son budget, de réformer, et ce, sans impacter la croissance et l’emploi. C’est exactement ce que ne semble pas comprendre l’Europe aujourd’hui. Une politique d’austérité n’aura de sens que lorsque la BCE sera à même d’en absorber les conséquences. La Suède avait procédé de la même façon dans les années 90 : baisser le budget d’une main tout en relançant l’activité de l’autre. Un tel “policy mix" permet de sortir d’une crise, de faire baisser le chômage, tout en se donnant des marges de manœuvre budgétaires.

Malgré la hausse des prix de l’immobilier, la demande de logement continue d’augmenter et ce grâce aux efforts du gouvernement pour accorder et financer des programmes de prêts. Comment les Britanniques réussissent-ils à endiguer les hausses de prix immobiliers ? Quelles politiques sont mises en œuvre pour assurer l’accès à la propriété ? Sont-elles efficaces ? 

Pierre-François Gouiffès : Le Royaume-Uni avait connu une forte crise immobilière en 2008 après une considérable envolée (quasi triplement des prix en dix ans). Il y a donc un très fort ajustement des prix après 2008.

Le gouvernement britannique, un peu à l’instar de son homologue américain, fait preuve d’une grande créativité pour promouvoir l’investissement immobilier et en infrastructures : programme « UK Guarantees » permettant de financer jusqu’à 40Md£ de travaux d’infrastructures et 10Md£ de logements (juillet 2012), plan de soutien « Help to buy » au secteur immobilier prévu dans le budget 2013, (5,4 Mds£), programme de « Funding for Lending Scheme », qui permet de soutenir la demande de crédits hypothécaires, sans oublier la politique monétaire accommodante.

De fait les prix de l’immobilier sont revenus aux niveaux d’avant-crise, et la question que se posent différents commentateurs concerne l’éventualité de régénération d’une bulle immobilière couplée à une trop forte hausse de l’endettement des ménages.

Quels sont les secteurs économiques qui tirent la croissance britannique vers le haut ? Dans quel état ces secteurs se trouvent-ils aujourd'hui en France ?

Pierre-François Gouiffès : Nous avons évoqué la place particulière de l’immobilier dans la reprise. Sur les chiffres de croissance du 3ème trimestre (0,8%), Cette croissance semble assez bien répartie sur l’ensemble de l’économie : +0,7% pour les services (78% de l’économie, revenus à leur niveau d’avant-crise), +0,9% pour le secteur manufacturier et +2,5% pour la construction.

La reprise économique britannique sera-t-elle durable ?

Nicolas Goetzmann: Cette reprise sera durable aussi longtemps que la politique monétaire décidera qu’il en soit ainsi. David Cameron peut compter sur Mark Carney pour la conjoncture économique, il ne lui reste qu’à procéder aux ajustements budgétaires pour que la relance monétaire se transforme en plus de croissance et moins d’inflation. En effet, si vous relancez la monnaie sans améliorer la politique de l'offre, vous risquez d'obtenir plus d’inflation que de croissance. Inversement, si Cameron opte pour des réformes du droit du travail et de baisses d’impôts, par exemple, il parviendra à obtenir plus de croissance réelle et moins d’inflation. Lorsque vous avez votre banque centrale avec vous, vous pouvez vraiment agir sur la réalité économique du pays, il reste au gouvernement de prendre les bonnes décisions. Voilà exactement ce dont nous aurions  besoin en Europe, car en l’absence de soutien de la BCE, les gouvernements vont s’épuiser. La politique menée actuellement par la BCE est un obstacle à la réussite des réformes entreprises par certains États, Espagne et Grèce en tête.

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