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Reporter l’âge de départ en retraite sans gérer la grande crise du sens dans les entreprises : la recette d’une explosion politique
©Joël SAGET / AFP

64 ans

L’élection présidentielle approchant à grands pas et la crise du Covid bientôt derrière nous, Emmanuel Macron tente de reprendre ses réformes. Suite au report de la réforme de l’assurance chômage, le Président fait planer le doute sur un éventuel retour de la réforme des retraites en repoussant l’âge limite à 64 ans sans pour autant gérer la crise du sens dans les entreprises.

Bruno Palier

Bruno Palier

Bruno Palier est directeur de recherche du CNRS à Sciences Po (CEE).

Il est docteur en sciences politiques, agrégé de sciences sociales et ancien élève de l’école normale supérieure de Fontenay Saint Cloud.

Il travaille notamment sur les réformes des systèmes de protection sociale en France et en Europe.

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Atlantico : L’élection présidentielle approchant à grands pas et la crise du Covid bientôt derrière nous, Emmanuel Macron fait face à ses engagements. Suite au report de la réforme de lassurance chômage, le président fait alors planer le doute sur un éventuel retour de la réforme des retraites en repoussant l’âge limite à 64 ans. Cette mesure serait dailleurs inscrite dans le budget de la Sécurité sociale pour 2022. Alors que lallongement de l’âge limite risque de mettre sur le marché de lemploi un nombre plus important de séniors, ny-a-t-il pas un risque daccroissement des inégalités  ? 

Bruno Palier : Si l’âge de départ à la retraite est relevé rapidement, il est très probable que plus de personnes se retrouveront sans emploi avant le départ à la retraite. Lorsque l’on regarde le taux d’emplois de 55-64 ans en France, il est faible et inférieur aux niveaux européens soit à peine plus de 50%. Si l’on passe rapidement l’âge de la retraite de 62 à 64 ans, ces personnes déjà sans emploi avant l’âge de 62 ans vont tomber en fin de droits de chômage avec le RSA comme seule aide. 

Certains disent que le marché du travail s’ajuste à l’âge de départ à la retraite, mais en faisant une réforme rapidement on oublie ceux qui sont déjà sortis de l’emploi. On éloigne alors une perspective du départ à la retraite. Il y a alors un risque de manque de revenus.

En outre, pour avoir une retraite complète, il faudra bientôt cotiser 43 ans. Plus on allonge le nombre d’années de travail nécessaire pour avoir le droit à une retraite complète, plus ceux qui ont une carrière incomplète seront sanctionnés. Souvent, il s’agit de la population féminine. Elles ont des carrières moins linéaire que les hommes et pour compléter leurs trimestres elles partent plus tard à la retraite. 

Dans la mesure où linsatisfaction au travail tend à augmenter, les entreprises et le management en règle générale sont-ils prêt à gérer un allongement des départs à la retraites ? 

En France, de nombreux managers restent persuadés que le stress est générateur de productivité et que la pression sur les salariés marche. Cette gestion par le stress fatigue et cette productivité use. La désaffection du travail est donc la traduction de ce management par la pression. 

Il y a d’autres pays où la productivité a été obtenue par un changement de mode de gestion. Ils ont mis en place une learning economy avec une meilleure horizontalité en entreprise (on parle d’entreprises apprenantes), les salariés remontent plus facilement leurs idées, leurs retours d’expériences et les stratégies sont co-construites. L’investissement des salariés est alors plus fort. Ces formes d’organisations ne sont pas très développées en France car nous sommes plutôt dans le lean management. 

Les salariés français de plus de 45 ans ont beaucoup de mal à obtenir des formations dans l’entreprise. Or à 45 ans, nous sommes censés faire encore 19 ans de travail si l’âge de départ est repoussé à 64 ans … Pourtant il y a un réel besoin en la matière car si l’on veut que les salariés travaillent plus longtemps il faut qu’ils soient formés toute leur vie. 

Le stress psychologique n’est pas le seul souci des conditions de travail, il y a aussi le troubles musculo-squelettiques qui se multiplient. Pour les éviter, il faudrait investir dans l’amélioration des conditions de travail.

On ne travaille pas assez sur ces questions de formation tout au long de la vie et d’amélioration des conditions de travail.  Il faut alors savoir si nous sommes prêt à faire ces investissements dans une réorganisation du travail pour travailler jusqu’à l’âge de la retraite. Le débat sur l’allongement du travail est fait sans que l’on réalise que ceux qui travaillent ont un taux de productivité/horaire parmi les plus élevés d’Europe. 

Comment réagissent les salariés face à ces réformes ? 

Aujourd’hui, les Français souhaitent partir à la retraite avant la prochaine réforme. En passant l’âge de la retraite de 62 à 64 ans, un grand nombre de personnes voudront partir avant de subir la réforme. C’est l’effet paradoxal d’une réforme.

Si l’on n’accompagne pas les réformes, allons-nous vers une explosion politique et sociale ? 

La réforme de 1993 qui a le plus changé les règles de calcul s’est faite sans mobilisation. Elle a été négociée avec les syndicats, elle ne concernait que le privé avec une mise en place longue. Il y a eu des explosions en 2018-2019, de très fortes en 2003, en 2007 et en 2010. Tout dépend de la posture politique. 

En Italie, les réformes Fornéro de 2011 qui ont repoussé l’âge de départ à la retraite alors même que beaucoup de séniors étaient sans emplois ont abouti sur un vote anti-système. Ils ont voté pour le mouvement 5 étoiles et la ligue qui ont ensuite remis en cause ces réformes des retraites dès leur arrivée au pouvoir. Nous n’en sommes pas là en France, mais les réformes des retraites qui laissent beaucoup de séniors dans l’impasse risquent de participer au rejet des élites de droite comme de gauche. 

Bruno Palier publie « Réformer les retraites » aux éditions Les Presses de Sciences Po. 

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