Report de la présidentielle 2020 : l’inquiétant Monsieur Trump<!-- --> | Atlantico.fr
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Donald Trump Etats-Unis
Donald Trump Etats-Unis
©JIM WATSON / AFP

Calendrier électoral

Donald Trump a évoqué pour la première fois, dans un message publié sur Twitter, l'hypothèse d'un report de l'élection présidentielle. Le dirigeant américain a notamment évoqué des risques de fraude. A-t-il la possibilité de reporter la date du scrutin ? Donald Trump se sent-il en danger face à Joe Biden ?

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico.fr : Donald Trump a tweeté ce jeudi 30 juillet : "Avec le vote par correspondance (…) 2020 sera l'élection la plus inexacte et la plus frauduleuse de l’histoire (...) Ce serait très embarrassant pour les États-Unis. Reporter l'élection jusqu’à ce que les gens puissent voter normalement, en toute sécurité ?". Il évoque notamment les divers risques liés à l'épidémie de coronavirus. A-t-il la possibilité de reporter la date des élections ? 

Jean-Eric Branaa : Beaucoup évoquent le fait qu’un tel report serait anticonstitutionnel, alors précisons-le sans détour : il n’y a absolument rien dans la Constitution qui interdirait le report d’une élection présidentielle. La seule disposition qui compte est que la Constitution fixe une date limite aux mandats du président et du vice-président : ils se terminent tous les deux le 20 janvier 2021, à midi pile.

On apprend dans les cours de droit constitutionnel ou de science politique américaine que l’élection du président a lieu « le 1er mardi après le premier lundi de novembre ». La phrase est complexe et peut laisser croire qu’elle est tirée de la Constitution, mais il n’en est rien. C’est le code des élections qui définit ainsi cette journée, en vertu d’une loi votée en 1845.

Si une loi définit quelque chose, cela signifie que seule une autre loi (ou un amendement ou une décision de la Cour suprême) peut y mettre fin ou la modifier. Mais, en aucun cas, le président des États-Unis, qui n’a pas le moindre pouvoir dans ce processus. 

Il reste bien entendu à Donald Trump son pouvoir politique, puisqu’il est le chef de la majorité et qu’il peut inciter les républicains à voter une telle disposition. Mais, depuis les élections de mi-mandat de novembre 2018, il a perdu la majorité à la chambre des représentants : il est donc dans l’incapacité de faire passer la moindre loi sans l’aval des démocrates, ce qui n’arrivera évidemment pas en période électorale, et surtout aussi près du scrutin, alors que les tensions se font si fortes.

Les démocrates ont proposé une solution alternative : le vote par correspondance. Contrairement à Donald Trump, ils sont en position de le mettre en place car, si la date du vote est fixée par le pouvoir fédéral, l’organisation pratique de ce vote échoit aux États. Plusieurs d’entre eux ont déjà adopté ce vote par correspondance de manière généralisée, à cause de la situation sanitaire : dans le Colorado, à Hawaii, en Oregon, en Utah, et dans l’État de Washington, les électeurs n’auront pas à se déplacer pour voter. C’est bien ce que pointe Donald Trump, qui estime que cela favorise les fraudes, mais n’en n’apporte pas la preuve.

En résumé, tous les critiques ont compris que cette phrase tweetée par Donald Trump avait une seule fonction : détourner l’attention. Ce qu’on ne sait pas avec certitude c’est de si le détournement d’attention devait permettre d’atténuer l’impact du discours de Barack Obama, qui a prononcé l’éloge funèbre de John Lewis, le héro des droits civiques, ou pour cacher les résultats économiques qui venaient de tomber… 5 minutes plus tôt à peine. 

À moins de 100 jours des élections présidentielles, pensez-vous que le président actuel des États-Unis se sent en danger ? 

On remarque en effet une vraie fébrilité chez Donald Trump, qui se manifeste par une absence de cohérence dans les décisions et des changements de braquet très rapides et très brutaux. Le plus spectaculaire a été son changement de position sur la pandémie, après qu’il ait fait preuve d’un déni incroyable pendant trois mois et qu’il ait incité ses supporters à en faire autant. Son changement de position n’a pas ménagé ces troupes qui se montraient très actives pour relayer ses messages et démontrer, notamment sur les réseaux sociaux, qu’il n’y avait aucune crise sanitaire aux États-Unis. Les plus cyniques ont changé leur discours aussi rapidement que lui, mais d’autres sont restés troublés, étant moqués à leur tour par celles et ceux avec qui « ils croisaient le fer ». Pas simple d’être militant avec un chef qui n’a pas un cap clair.

Donald Trump n’est pas le seul responsable de cette situation : c’est au Parti républicain qu’il doit d’avoir été enfermé dans cette campagne sans aucun programme. Car ce sont eux qui ont voté voici deux mois pour ne pas en proposer de nouveau, alors que le locataire de la Maison-Blanche pensait qu’il fallait le faire. Cette absence de programme est également très déroutante, car ses militants ne savent plus comment défendre leur champion. L’argument principal, qui était celui de l’économie a fini par leur échapper. Ils s’étaient précipités un peu trop vite sur les premières annonces de reprise de l’activité et de la baisse du chômage après le pic du mois de mars-avril. Mais comment pouvait-ils créditer Donald Trump pour cette reprise quand il ne s’agissait que d’un début de retour au travail, sans réelle création de quoi que ce soit ? Le chômage s’est bloqué à plus de 11% et cela pourrait empirer, au grand dam du camp républicain qui espérait une reprise rapide. Les chiffres économiques de juillet sont catastrophiques alors que l’économie américaine s’est contractée à un rythme record de 32,9% au deuxième trimestre, son plus fort ralentissement depuis au moins les années 1940. C’est cela qui met particulièrement Donald Trump en danger, alors qu’il avait bâti sa communication sur les excellents chiffres du chômage qui se succédaient depuis trois ans, pour atteindre 3,5% en janvier, le plus bas chiffre depuis 50 ans. Le retournement de situation est spectaculaire et ses opposants vont faire le lien avec son déni de la pandémie et la réouverture beaucoup trop rapide et imprudente de l’économie dès le mois de mai, alors que rien ne s’était calmé sur le front sanitaire et que tout le monde l’avertissait de ne pas le faire.

Les derniers sondages parus donnent une nette avance à l'adversaire de Donald Trump, Joe Biden. Quelle peut-être l'ambiance à la Maison Blanche en ce moment ? 

On peut imaginer beaucoup de choses, qui seraient des spéculations et amèneraient sur le terrain de l’attaque personnelle ou du dénigrement, en portant sur des remarques sur le caractère du président, son tempérament ou autre artifice un peu trop facile.

On peut aussi penser que l’atmosphère doit être très studieuse car les conseillers doivent échafauder de nombreuses stratégies pour tenter de retourner les choses. C’est vrai qu’il reste moins de 100 jours jusqu’au 3 novembre et que personne n’a réussi à remonter un tel retard dans la période moderne. Mais en politique tout est possible et rien n’est vraiment joué avant la proclamation du résultat : c’est très certainement le message qui est sans cesse répété en ce moment derrière les imposantes portes de la Maison-Blanche.

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