Remboursement des dettes publiques : faut-il vraiment infliger aux peuples une pénitence réparatrice des erreurs des hommes politiques ? <!-- --> | Atlantico.fr
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"Jamais la Banque centrale européenne ne permettra à l’inflation d’éroder les dettes publiques."
"Jamais la Banque centrale européenne ne permettra à l’inflation d’éroder les dettes publiques."
©Flickr commons

Pots cassés

Pour ne pas faire payer aux générations futures la volonté des hommes politiques de vouloir venir à bout de la crise par davantage de dette publique, une solution : l'annuler.

Gérard Thoris

Gérard Thoris

Gérard Thoris est maître de conférence à Sciences Po. il a notamment rédigé une Analyse économique des systèmes (Paris, Armand Colin, 1997), contribue au Rapport Antheios et publie régulièrement des articles en matière de politique économique et sociale (Sociétal, Revue française des finances publiques…).

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Dans une Union européenne sans stratège et sans pilote, on ne voit plus que le court terme des déficits budgétaires. Quant au stock de dettes, on en laisse l’appréciation aux agences de notation, pour autant qu’elles osent encore s’exprimer. Or, la manière dont la France n’a pas réussi à réduire son taux de déficit budgétaire de 4,5% à 3%, comme il était initialement prévu pour 2013, laisse augurer de la manière dont elle ne réussira pas à faire passer son stock de dettes de 90 à 60%, comme le Traité de stabilité et de gouvernance européenne l’y oblige, au rythme d’un vingtième par an !

A juste titre, jamais la Banque centrale européenne ne permettra à l’inflation d’éroder les dettes publiques. En même temps, on ne voit pas comment la croissance du secteur privé pourrait générer assez de revenus pour que les contribuables puissent payer 30 % du PIB en impôts supplémentaires sur une période de 20 ans à seule fin de rembourser les créanciers de l’Etat. En gros, la croissance potentielle d’une génération est préemptée. Cette génération paiera pour la présomption des gouvernements occidentaux à venir à bout d’une crise de la dette (privée) par davantage de dette (publique).

En conséquence, il n’y a pas d’autre solution que de remettre les dettes publiques.

L’argument est imparable et c’est pourquoi il fait l’objet de peu de discussions. Quand on évoque le sujet, c’est pour le ramener à un territoire connu : "remettre les dettes" consiste à les annuler. Dans ce cas, que faites-vous des créanciers ? C’est, en substance, le raisonnement de Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, lors des rencontres économiques d’Aix-en-Provence. Le raisonnement est évidemment simple : les créanciers directs ("titulaires d’assurance-vie, SICAV ou obligations") sont ruinés et  "à supposer que ceux qui ont prêté survivent, ils ne sont pas prêts de re-prêter ou alors à des taux extraordinairement supérieurs"[i]. On pourrait même y ajouter qu’il s’agit manifestement d’une violation du droit des contrats, soit l’un des principes fondateurs des sociétés modernes et des économies de marché.

Mais ce n’a évidemment rien à voir avoir l’idée d’une remise des dettes publiques. Celle-ci comporte trois étapes liées entre elles[ii].

Premièrement, la Banque centrale achète les obligations des Etats de la zone euro à leurs détenteurs jusqu’à ce qu’il ne reste sur le marché que 50% de dettes publiques. Christian Noyer parle, à ce sujet, de "fausse monnaie". Mais c’est pour racheter de "fausses créances"[iii] , c’est-à-dire des titres qui ne pourront pas être remboursés. Bref, le système financier est assaini par un coup de baguette magique que seule une institution hors marché peut accomplir dans l’intérêt général. Ce n’est pas parce qu’il faut le faire avec prudence que la stratégie n’est pas bonne.

Deuxièmement, une fois en possession de ces titres, la Banque centrale cesse d’en exiger un intérêt. L’effet boule de neige de la dette s’arrête partout où il s’est mis en place. C’est désormais le cas de la France qui doit débourser chaque année 2,6% de son PIB en intérêts sur la dette publique ! La rigueur peut s’atténuer partout et l’économie réelle reprendre le pas sur l’économie financière.

Troisièmement, à l’échéance de ces titres, sous réserve que le pays concerné ait atteint l’équilibre budgétaire structurel et conjoncturel, la Banque centrale les annule. Elle le fait par une procédure purement comptable en créant une ligne de bilan intitulée, par exemple, "contribution à la résolution de la grande dépression du XXI° siècle" ! D’autres formules plus sophistiquées sont possibles, mais certainement pas l’imputation des pertes sur le capital social de la Banque.

Tout cela aurait dû être mis en place depuis longtemps. Le chômage n’aurait pas eu le temps de se transformer en équilibre de sous-emploi. Les peuples auraient rapidement compris que, après les politiques monétaires "non conventionnelles", il y avait un apurement tout aussi peu conventionnel. La pédagogie à mettre en œuvre aujourd’hui serait certainement beaucoup plus délicate.

Au lieu de cela, sans le dire, la zone euro se pare des vertus d’une rigueur morale sans faille : les dettes constituées, il faut les payer jusqu’au dernier euro, même si l’économie doit être détruite pour une génération sur la moitié de son territoire. Elle vit une contrition sans pardon, une pénitence sans rémission des fautes passées. On retrouve bien l’opposition entre le protestantisme et le catholicisme.

Peut-être néanmoins qu’un banquier central d’origine italienne pourrait changer la donne ! C’est sous forme négative que Le Monde titrait le 28 juin dernier : "La BCE dément vouloir racheter de la dette souveraine"[iv]. On sait bien que la BCE a déjà acheté des dettes souveraines de la Grèce, de l’Irlande ou du Portugal. Où se trouve la nouveauté qu’il fallait démentir ? Dans le fait qu’il s’agissait "de racheter des obligations des 17 pays de la zone euro, dans une proportion liée à la part respective de leurs produits intérieurs bruts dans l’économie de l’union européenne". Serait-il possible qu’on avance un peu ? Rêvons que la nouvelle monétaire de l’été 2013 sera la mise en œuvre de cette politique. La rentrée pourrait se consacrer aux vrais sujets : reconstruction économique et refondation de notre modèle social.



[i] Par exemple,Le Figaro.fr, Flash Eco du 6 juillet 2013
[ii] Par exemple, notre "Pour une remise des dettes publiques" (2010), Rapport moral sur l’agent dans le monde, Paris, Association d’économie financière, 225-244
[iii] cf. notre "Faux droits contre fausses créances", 22 novembre 2011
[iv]Lemonde.fr du 28 juin 2013, (accès abonnés)

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