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Régimes autoritaires à la chinoise contre démocraties, le match de l’efficacité. Avantage puissance à...
©STR / AFP

Économique ou géopolitique

L'épidémie de coronavirus a remis en lumière la capacité de la Chine à imposer des mesures restrictives à ses citoyens ou à mener des projets (comme la construction d'hôpitaux) très rapidement.

Jacques Crémer

Jacques Crémer

Jacques Crémer est économiste, spécialiste des questions d'économie industrielle, de régulation et de politique de la concurrence.

Membre de l'Ecole d'économie de Toulouse (TSE), il est également directeur de recherche au CNRS et à l'Université de Toulouse 1.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : La crise actuelle liée à l'épidémie de coronavirus a remis en lumière l'étrange fascination de certains dirigeants occidentaux pour la capacité de la Chine à imposer des mesures restrictives à ses citoyens, à construire des hôpitaux à toute vitesse et, de manière générale, à imposer des plans pour son industrie, son économie, sa puissance militaire ... Comment l'expliquer?

Edouard Husson : C’est une vieille fascination occidentale pour les régimes autoritaires. Rappelez-vous comment Diderot était fascinée par Catherine de Russie et Voltaire avait fait de Frédéric II de Prusse son héros. Nous avons même au coeur de notre histoire la preuve que, derrière les mots de l’émancipation, il peut y avoir des réalités moins ragoûtantes. Les révolutionnaires français ont préféré se soumettre à la trique de Napoléon qu’à la proposition d’émancipation de Louis XVI. Au XXè siècle, on ne compte plus les voyages dans les pays totalitaires, communistes ou fascistes, par des intellectuels et des personnalités politiques revenant pleins d’admiration pour ce qu’ils avaient vu. Rappelons-nous la fascination pour les grands rassemblements nazis de Nuremberg, les larmes à la mort de Staline, les éloges du maoïsme, les espoirs mis dans les Khmers Rouges etc...Alors que l’Europe centrale et orientale se libérait du communisme et que l’Union Soviétique s’effondrait, la Chine communiste, confrontée à la même poussée de liberté, a choisi la répression. Nous disons « Tian An Men » mais il y a eu, au-delà de Pékin, 400 villes chinoises où des révoltes ont été écrasées. Et l’Occident a intensifié ses relations économiques avec la Chine. 

Il faut faire la part de la fascination pour la force, sadique ou masochiste, qui est dans notre nature humaine; et de la recherche d’efficacité du capitaliste qui pense pouvoir profiter à court terme d’une main d’oeuvre docile et de procédures expéditives. 

Cette efficacité chinoise n'est-elle pas illusoire? Ne peut-elle pas être atteinte par un système institutionnel, politique ou économique différent?

Edouard Husson : Il y a deux éléments différents. Indéniablement, Deng Xiaoping, en bon héritier de Lénine, a lancé une NEP, une « nouvelle politique économique » de grande ampleur. Il arrive toujours un moment où le communisme, pour survivre, doit faire un compromis avec le réel. La Chine a poussé ce compromis plus loin que l’Union Soviétique n’a jamais pu le faire. Pourvu que le monopole politique du Parti Communiste ne fût pas mis en cause, toutes les libertés économiques étaient possibles. Surtout, nous avons vu à l’oeuvre le vieux principe léniniste du compromis maximal avec l’étranger, selon la vieille formule « les capitalistes nous vendront la corde pour les pendre ». La croissance chinoise est impressionnante pour tous les visiteurs qui ne font que visiter les grandes villes du littoral. Mais que savons-nous de l’intérieur du pays, des campagnes? Les chiffres de croissance sont-ils aussi élevés que nous le disent les statistiques officielles? La Chine a-t-elle été autre chose qu’une énorme machine à absorber le danger inflationniste occidental, l’un des débouchés possibles et durables pour l’énorme fabrication monétaire américaine, à côté des marchés boursiers ou de l’immobilier? La Chine a d’ailleurs été un énorme chantier de construction. Des villes entières ont été construites sans autre cohérence que le gigantisme, des autoroutes emmènent dans des campagnes encore sous-développées. 

Le bilan pour l’environnement est absolument désastreux. Et l’on entend pas souvent les Verts ou les collapsologistes se tourner vers la Chine. Emmanuel Macron a fait une vidéo anti-Trump quand les USA se sont retirés des accords de Paris sur le climat mais il aurait dû en faire, pour respecter l’échelle des responsabilités, un millier pour dénoncer le peu de respect de l’environnement du gouvernement de la RPC. 

Le raidissement du régime, sous Xi Jiping, est venu d’une part de la crise de 2008-2009 en Occident, qui a obligé nos pays à mieux penser à leurs intérêts et donc les a rendus moins sinophiles; mais aussi  du fait que l’augmentation des effectifs de la classe moyenne porte inévitablement une revendication de liberté politique, d’émancipation, de démocratie. 

La Chine est arrivée à un moment de son histoire où, pour continuer à croître, elle peut moins compter sur l’afflux de capitaux étrangers, l’imitation pure et simple de ce qui se fait ailleurs, le pillage des brevets, la contrefaçon et l’intelligence économique. L’inefficacité de son gigantisme risque de devenir de plus en plus visible. L’innovation dans la IIIè Révolution industrielle vient le plus souvent de petites structures à grande intensité capitalistique. 

Jacques Cremer : Une comparaison intéressante est ce qu’il s’est passé aux États-Unis pendant la Seconde guerre mondiale. Il y avait une économie de marché, et au moment où ils ont eu besoin de réagir pour construire des avions et autres matériels très rapidement, le gouvernement a pris beaucoup de pouvoir sur l’économie et l’a abandonné après. On a tendance à penser que les gouvernements et les systèmes centralisés sont plutôt plus efficaces pour organiser les choses d’une façon coordonnée. Ce qui est difficile c’est de maintenir un flot de communication. Quand on centralise, on tue l’initiative. On ne peut pas à la fois garder la centralisation et laisser trop de liberté. Ainsi, un certain nombre d’informations ne passent pas dans les canaux préétablis. Lorsqu’on centralise, on rigidifie. Il devient alors difficile de réagir à l’imprévu. On peut réagir rapidement lorsque l’on a des moyens de contrôles qui permettent de dire quoi faire aux gens, mais parfois, l’information ne remonte pas et c’est ce qu’il s’est passé en Chine avec le coronavirus. Quand ils ont su que le virus existait, il y a eu des moyens de réactions très important car la chaîne de commande marche très bien. Mais le système a été très mauvais face à une nouvelle problématique. Le souci du système centralisé, c’est qu’il a beaucoup de mal à réagir à des nouvelles choses car il est organisé suivant des lignes rigides et lorsqu’une nouvelle problématique apparait il faut le réorganiser. Quelque chose pour laquelle on n’a pas de procédure en place pour le traiter. Le système centralisé est très bon pour traiter les choses que l’on sait faire, c’est pour ça que l’armée fonctionne comme cela, en revanche dans l’économie il faut être capable de voir venir de nouvelles choses. La Chine l’a d’ailleurs très bien compris. Elle laisse des start-up et des nouvelles choses se passer mais dans les domaines sensibles comme la santé, c’est encore trop centralisé pour répondre de façon souple aux nouvelles menaces. Ils ont à la fois un système très centralisé - les firmes d’Etat pour la grosse industrie - et puis une partie technologique très décentralisée. Un autre bon exemple me semble être l’histoire de la France après la Seconde guerre mondiale. Le système très centralisé qu’on avait à très bien fonctionné lorsqu’il a fallu reconstruire les chemins de fer, les villes etc., mais une fois sorti de la construction des infrastructures il est venu à ses limites puisqu’il fallait avoir plus d’innovation. La tendance naturelle pour un gouvernement centralisé, quand il voit ce genre de choses se passer, c’est de centraliser encore plus ce qui ne fonctionne pas ou peu.

Ce fantasme d'autoritarisme dans les démocraties occidentales risque-t-il de devenir une réalité?

Edouard Husson : C’est le volet de la politique du président Trump qui devrait faire l’unanimité: le rééquilibrage vis-à-vis de la Chine. Mais l’Europe met du temps à s’adapter. D’abord par intérêt: les Britanniques ont eu en plein Brexit le marché de l’internationalisation du Yuan; pourquoi refuseraient-ils la 5G de Huawei? Ensuite, on y revient, par fascination pour l’autoritarisme chinois. Le « bolchevisme consultatif » du gouvernement chinois n’est-il pas ce à quoi aspirent, finalement, beaucoup de nos dirigeants progressistes? N’y a-t-il pas des ressemblances troublantes entre la répression des manifestants de Hong Kong, appuyée par la Chine et celle des Gilets Jaunes? La gestion désastreuse de la réforme des retraites ne relève-t-elle pas d’un amateurisme ressemblant assez à celui de la gestion socialiste des dossiers? Au fond, Emmanuel Macron ne rêve-t-il pas d’une limitation de la liberté d'expression et d’un Ministère de l’Information? Dans les années 1970, on rêvait de la convergence entre l’Est et l’Ouest, entre social-démocratie et « socialisme à visage humain ». Un demi-siècle plus tard, le saint-simonisme de la Commission Européenne se trouve finalement plus à l’aise avec la Chine de Xi qu’avec les Etats-Unis de Trump. 

Ce qui rend espoir, c’est que la gestion calamiteuse par la Chine du « coronavirus », la résistance de Hong Kong, le vote des « déplorables » et des « anywheres » dans différents pays, le Brexit, le groupe de Visegrad, la possibilité d’une réélection de Trump nous permettent d’envisager un autre monde, où l’on sorte du despotisme éclairé pour entrer dans un monde où les nations puissent jouer à nouveau leur rôle de creuset de la démocratie. La crise du Coronavirus va accélérer la prise de conscience d’une nécessité de rapatrier les emplois sur le territoire national. Hyundai pourra-t-elle accepter longtemps de devoir arrêter ses chaînes de production du fait de l’arrêt des usines chinoises? Pourrons-nous continuer longtemps à prétendre agir pour environnement et faire fabriquer à des milliers de km de chez nous? Pourrons-nous nous mettre indéfiniment à la merci de pandémies aggravées par l’opacité d’un régime néo-totalitaire? Pourrons-nous continuer indéfiniment à prétendre que l’immigration incontrôlée est une bonne chose ? 

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