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Réformes de l’assurance chômage et du code du travail : état des lieux des forces syndicales en présence et panorama de ce à quoi on peut s’attendre
©Reuters

Un avis, Mme Irma ?

Depuis le début de la crise, la dette de l'assurance chômage a été multipliée par 5. L'Unedic est aujourd'hui au bord de la faillite. Les principaux partenaires sociaux se sont réunis ce lundi 22 février au siège du Medef pour sans doute l'une des négociations les plus cruciales de cette fin de quinquennat de Hollande. Et le moins que l'on puisse dire c'est que les forces en présence sont arrivées en ordre dispersé.

Bruno  Coquet

Bruno Coquet

Bruno Coquet est docteur en Economie, Président de UNO - Etudes & Conseil.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Syndicats et Patronats négocient depuis plusieurs semaines déjà pour régler la question de la dette de l'Unedic. Peut-on parler de blocage et si oui sur quels sujets ? Quelles sont les positions des uns et des autres ? Assiste-t-on à des divergences au sein même du patronat ou des syndicats ?

Bruno Coquet : On arrive dans une période de négociation où chacun propose son point de vue, donc la situation est assez classique. Le contexte financier est compliqué et les propositions nombreuses comme lors des négociations précédentes. Ce qui est différent, c'est que la dette de l'Unedic a explosé. Par conséquent, on a tendance à proposer un peu partout, des mesures extrêmement fortes de réduction des droits très importantes ou d'augmentation des cotisations. Mais ce qui est différent aussi c’est le chômage à la fois élevé et persistant, qui peut justifier d’accroître les droits. Le dilemme est donc fort, et il y a une pression en faveur de changements de grande envergure.

Éric Verhaeghe :Des divergences existent, mais plus pour des raisons circonstancielles que pour des raisons de fond. Sur le banc patronal, les tensions sont liées à la question de la représentativité patronale. L'UPA est fâchée par l'accord secret entre le MEDEF et la CGPME, sur ce sujet, négocié dans son dos. Les syndicats de salariés entament, pour trois d'entre eux, des phases de préparation de congrès. Le climat est donc globalement favorable à la surenchère de chacun. Dans ce contexte, un problème simple se pose: faut-il ou non diminuer la dépense de chômage alors que celui-ci ne cesse de monter. C'est un problème classique: quand la crise frappe, le régime chômage est déséquilibré. C'est justement à ce moment-là que les garanties qu'il apporte sont les plus importantes, et que son équilibre financier est le plus compromis. Est-ce le moment qu'il faut choisir pour lancer des économies ? Le problème est classique, et il est probable que le MEDEF lui-même ait bien compris la difficulté d'en sortir.

Quelles divergences a-t-on sur le fond ? Dépassent-elles le clivage classique Syndicats/Patronat ? Sur quel sujet s'oppose-t-on majoritairement ?

Bruno Coquet : Il y a tout d'abord des divergences sur le diagnostic. Les comptes de l'Unedic sont déficitaires. La dette est très importante. Donc il faut agir. Le problème est de comprendre d'où vient ce fort déficit et cette dette. Et sur cette question, c'est très flou. L'Unedic ne tient pas de comptabilité analytique. La liste des problèmes n’est pas partagée, à savoir ce que cette dette veut dire sur le plan comptable et financier, sur les solutions possibles et pourquoi elles peuvent fonctionner. Par conséquent, de nombreuses propositions sont fondées sur des a priori théoriques ou de fausses évidences.

Le syllogisme habituel est le suivant : d’une part il existe un déficit, d’autre part les paramètres extrêmes de la réglementation française sont plus généreux qu'ailleurs (l’indemnisation peut durer jusqu'à 24 mois, et par conséquent la réduction de la générosité est la solutions pour juguler les déficits et la dette..

Mais ce raisonnement est faux. On ne peut pas juger de la générosité d'un système à la seule lumière de ses paramètres extrêmes. Il faut analyser les situations réelles, en moyenne : le système français n'apparaît alors pas plus généreux que ceux de nos voisins. En revanche, ce qu'il a comme caractéristique, c'est que l'assurance chômage en France représente l'essentiel des ressources des chômeurs, soit un peu plus de 80% contre 50% en Allemagne ou 20% au Royaume-Uni. Donc si on compare ce bout « assurance-chômage », on oublie tous les autres transferts publics dont bénéficient les chômeurs et on a l'impression que la France est généreuse. Mais si l'on regarde ce que perçoivent effectivement les chômeurs (assurance chômage + autres transferts), là on constate que la somme est la même qu'ailleurs, voire même légèrement moins qu'en Allemagne et exactement identique à la moyenne de l'OCDE. Donc cette histoire de générosité est une caricature erronée.

Taux de remplacement effectif : part de l’assurance chômage et des autres transferts

Etant donné le rapport de force en présence, et l'urgence (la convention actuelle expire le 30 juin) vers quelle solution s'orientons-nous ?

Éric Verhaeghe :Il semble très probable que l'accent soit mis sur la formation. Une solution vraisemblable consiste à limiter la durée d'indemnisation sauf pour les chômeurs qui se forment. Le bon sens consistera probablement à ne pas entrer dans une logique trop rigide et à favoriser les mécanismes d'incitation. Sur ce point, les idées peuvent être nombreuses et même sans limite. Instaurer une dégressivité pour les chômeurs qui refusent une formation peut aussi avoir du sens. C'est la meilleure façon de concilier les contradictoires: d'un côté, l'appel à la formation lancée par François Hollande (comme par Nicolas Sarkozy avant lui), de l'autre le besoin de mieux maîtriser la dépense sans être socialement trop dur. Se former pour éviter la dégressivité est une solution qui peut tout à fait avoir du sens dans ce contexte.

La dette de l'Unedic a été multipliée par 5 depuis le début de la crise. Comment l'explique-t-on si ce n'est par ce caractère perçu par certains comme généreux ?

Bruno Coquet : Il faut faire les comptes. La première chose à regarder c'est le rapport entre le montant des cotisations et celui des prestations. Les deux sont équivalents, environ 34 milliards d'euros chacun, le régime d’assurance est globalement équilibré. Mais ce qui alourdit les dépenses c'est la contribution versée à Pôle Emploi, soit 3,3 milliards d'euros par an. Il faut être très clair, la solution n'est en aucun cas de diminuer les moyens de Pôle Emploi, le problème est seulement de savoir si c'est à l'Unedic de payer cette somme. Pôle emploi est un service public ouvert à tout le monde. Il devrait donc être financé par l'impôt. Or aujourd'hui, les 2/3 de son financement provient des contributions de l'Unedic, à savoir en moyenne 1400 euros par chômeur indemnisé par an. Si l’on compare avec le Fonds de solidarité (qui verse l'ASS), celui-ci paie seulement 10 euros par chômeur et par an pour que ses bénéficiaires chômeurs soient indemnisés et suivis. Cet écart gigantesque montre que ce sujet mérite d’être discuté.

Pour combler ses déficits, l'Unedic se finance aussi auprès des marchés…

Bruno Coquet : Oui, mais avec la garantie de l'Etat. C’est d’ailleurs le point central des commentaires des agences de notations : la dette de l’Unedic bénéficie d’une une garantie souveraine, avec une rémunération supérieure à celle de la dette de l’Etat. Les investisseurs sont rassurés… et leur calme contraste terriblement avec le catastrophisme qui règne à l’endroit de la situation financière d l’Unedic.

Le deuxième point qui déséquilibre les comptes, ce sont les droits qui excèdent le droit commun, des « régimes spéciaux » en quelque sorte. Il s'agit notamment des intermittents du spectacle, les intérimaires et plus généralement le secteur de l'intérim (les entreprises d'intérim bénéficient d'exonérations de charges sur les contrats courts, ce qui équivaut à 500 millions d'euros d'économie par an, ce qui est colossal). Or s’il n’est absolument pas discutable que ces actifs bénéficient des règles de droit commun, tout ce qui va au-delà du droit commun n'a pas à être à la charge de la solidarité interprofessionnelle. Ces sont des politiques publiques, comme par exemple la politique culturelle, et l’instrument idoine pour les financer est l’impôt, pas le coût du travail marchand. Les règles spécifiques à des secteurs tels que l'intérim ou les entreprises électriques et gazières sont dans le même cas de figure. L'Unedic doit financer le droit commun pas plus ni moins : la solidarité interprofessionnelle justifie d’appliquer les mêmes règles à tous, employeurs, salariés et chômeurs.

Avec cette crise en toile de fond, ne pensez-vous pas qu'une position de rigueur extrême risque d'émerger ?

Éric Verhaeghe :Il y a un vrai obstacle à cela. Aucun syndicat ne sera prêt à signer une position rigide, et ce d'autant moins que la loi El-Khomri est présentée en même temps et qu'elle est vécue comme un recul social par les mêmes syndicats qui négocient la convention chômage. On voit mal les confédérations représentatives valider d'un coup deux textes qui sont autant de couleuvres à avaler. D'ailleurs, les mouvements patronaux ne le demandent pas. La CGPME a plaidé en faveur de la dégressivité des allocations, mais sans y croire vraiment, et le MEDEF y a renoncé. Ni sur le banc salarial, ni sur le banc patronal, on ne devrait donc trouver une majorité pour plaider dans le sens contraire. Seul le gouvernement semble partisan d'une ligne conforme aux demandes de la Commission, mais le gouvernement n'est pas partie prenante à la négociation.

On parle beaucoup, notamment au sein du gouvernement, de la question de la dégressivité de l'assurance chômage. Est-une une vraie ou une fausse solution ?

Bruno Coquet : Ce n'est pas une solution. La théorie économique est très majoritairement en faveur de droits constants ou progressifs. Il n'existe pas d'évaluation d'un mécanisme en fonctionnement qui aurait montré que la dégressivité des droits dans le temps apportait les résultats qu'on attendait, c'est-à-dire une accélération du retour à l'emploi. Il y a à l'inverse une évaluation française qui a montré le contraire, à savoir que cela avait ralenti le retour à l'emploi. De plus, lorsque vous analysez les études qui préconisent la dégressivité, il y a 3 ou 4 études théoriques américaines, qui indiquent qu'aux Etats-Unis, des droits dégressifs seraient souhaitables, mais s’ils étaient accompagnés d’une hausse du taux de remplacement (donc des allocations) avec une durée des droits multipliée par deux.

Donc si vous faites la somme de ces 4 arguments, la théorie dit non, les évaluations ne disent pas « oui » et disent même « non ». Face à une telle accumulation de faits, il faut être climato-sceptique dans l’âme pour prendre le risque de remettre en place de la dégressivité. Même si elle est frappée au coin du bon sens, ce n’est qu’une illusion car l’assurance est un produit complexe dont les effets sont très diversifiés sur les comportements. Cette formule n’apparaît pas comme une solution aux problèmes actuels.

Éric Verhaeghe : Personne ne sait vraiment. Il est probable que la vérité soit entre les deux. Les adversaires de la dégressivité considèrent que la première cause du chômage est l'absence d'emploi et non l'excès d'indemnisation. Selon eux, la suppression des allocations ne permettrait pas à chacun, même avec la meilleure volonté du monde, de reprendre un emploi. Le déséquilibre du marché explique cette situation, en même temps que le "chômage frictionnel", qui s'explique par l'inadéquation de la formation des chômeurs avec les besoins. D'un autre côté, il est très probable qu'une indemnisation trop généreuse allonge partiellement la durée du chômage. Mais cet effet joue à la marge et ne suffit pas à expliquer le chômage lui-même.

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