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Réforme Taubira : quand la volonté de désengorger les tribunaux se prend les pieds dans le tapis d’une idéologie dépassée
©Reuters

Militantisme aggravé

Jeudi, Christiane Taubira annonçait son intention de supprimer le délit de défaut de permis, ce qui permettrait d'éviter un passage devant le juge. Suite à la levée de boucliers, la garde de Sceaux n'exclut pas de faire marche arrière sur ce projet. Ce n'est pas la première fois que sa vision de la justice provoque des indignations.

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris est délégué-général de l’Institut pour la Justice.

 

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Atlantico : Que révèle la volonté de Christiane Taubira de désengorger les tribunaux ?

Alexandre Giuglaris : L’idée de désengorger les tribunaux et de déjudiciariser certains contentieux est une bonne idée mais qui est un peu devenue un lieu commun dont tout le monde se revendique. Car en effet, dès que l’on entre dans les détails, on se rend compte que ce n’est pas si simple et surtout pas toujours opportun.

C’est le cas dans cette affaire. Annoncer que l’on va dépénaliser la conduite sans permis ou sans assurance est une proposition dangereuse car elle envoie un message de laxisme dans la société, en particulier auprès de ceux qui ne respectent pas les règles. Je sais bien que la sévérité sur les routes est impopulaire mais les résultats sont là. Depuis l’instauration des radars, la multiplication des contrôles, le renforcement des peines et l’attention médiatique sur la fermeté, ce sont plusieurs milliers de vie qui ont été sauvées sur nos routes. Aujourd’hui, les chiffres stagnent, voire on assiste plutôt à une recrudescence des morts sur la route. C’est en cela que le message de permissivité et de moindre sanction de la garde des Sceaux est dangereux.

Nous avons étudié à l’Institut pour la Justice, les conséquences et l’importance de la communication pénale. Le discours idéologique de la garde des Sceaux est bien souvent plus dommageable que ses mesures (heureusement moins nombreuses). Elle assume une idéologie très marquée, qui n’est absolument pas partagée dans l’opinion publique et dont la ligne directrice est celle de la déresponsabilisation des personnes condamnées. En clair, les délinquants ne sont pas vraiment responsables de leurs actes, c’est la faute d’une société considérée comme injuste, c’est la faute de la société de consommation ou dans certains cas, c’est la faute de la prison. Comme si on était condamné à de la prison sans n’avoir rien fait… Le problème, c’est qu’il s’agit d’une vision purement idéologique qui méconnaît la réalité des profils délinquants.

Quels sont les risques causés par une telle approche ?

Les risques sont clairs : l’accroissement du sentiment d’impunité et avec lui, l’augmentation de la délinquance et de la criminalité, comme cela risque d’être le cas en matière de délinquance routière si le gouvernement ne renonce pas à son projet.

La logique est assez compréhensible. Bien souvent, les délinquants sont bien mieux informés que l’on ne le pense, en particulier les réseaux mafieux qui exploitent les failles judiciaires. Ainsi, depuis que Mme Taubira est garde des Sceaux, les discours et les lois votées sont quasiment tous allés dans le sens d’un plus grand laxisme avec deux priorités : éviter la prison et faire sortir plus vite les détenus. Mais faut-il rappeler que l’autorité judiciaire n’est pas là pour appliquer une politique sociale ou éducative mais avant tout pour sanctionner les délinquants ? Les magistrats ne sont pas des assistantes sociales ou des médecins chargés de guérir la société. Ils sont là pour faire respecter l’autorité de la loi et pour protéger les citoyens.

En faisant savoir que l’on punit moins, on freine l’effet dissuasif de la peine. C’est illogique et dangereux. Pousser à son paroxysme, cette logique conduit, comme cela a été envisagé par la chancellerie, à appliquer la justice des mineurs à des majeurs âgés de 21 ans. C’est irresponsable.

Comment l'ensemble des juristes travaillant dans les tribunaux perçoivent la politique de Christiane Taubira ?

Tout dépend de qui est votre interlocuteur. Christiane Taubira continue d’être soutenue par certains magistrats, notamment ceux du Syndicat de la Magistrature. Mais dans l’ensemble, Christiane Taubira a déçu. Ses belles paroles n’ont servi qu’à mettre en lumière son talent oratoire mais ne masquent pas la faiblesse ou la nocivité de son bilan, en particulier la réforme pénale.

Face à l'engorgement désastreux des tribunaux, quels moyens peut-on mettre en œuvre pour résoudre ce problème français ? Est-ce que cela passe seulement par une augmentation du budget de la justice ?

Oui, l’autorité judiciaire manque de moyens et si l’on veut que notre justice soit plus efficace, plus rapide et plus ferme, des moyens nouveaux devront être dégagés. Nous avons 40 années de sous-dotations budgétaires à rattraper. Cela explique l’état parfois insatisfaisant de nos tribunaux et le manque de places de prison.

Mais ce constat ne doit pas servir à bloquer toute réforme structurelle. Il y a des économies à faire dans de nombreux domaines. Ainsi, la réforme de la carte judiciaire doit être menée à termes avec la suppression de certaines cours d’Appel et l’externalisation de certaines missions doit être menée. Certes, il faut des moyens supplémentaires mais en contrepartie des efforts de meilleure gestion doivent être imposés au ministère de la justice. 

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