Réforme du lycée professionnel et de l’apprentissage : un petit pas sur un très long chemin <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron prononce un discours lors d'une visite du lycée Bernard Palissy, un lycée professionnel français à Saintes, le 4 mai 2023.
Emmanuel Macron prononce un discours lors d'une visite du lycée Bernard Palissy, un lycée professionnel français à Saintes, le 4 mai 2023.
©Thibaud MORITZ / POOL / AFP

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Emmanuel Macron a compris qu’il fallait tirer la France de l’ornière, au risque de brusquer certains dans le monde de l’éducation, mais la tâche s’avère rude.

Nelly Guet

Nelly Guet

Nelly Guet est consultante indépendante pour Alerteducation Consulting (Paris).

Germaniste et scandinaviste de formation, elle a exercé des responsabilités dans des associations professionnelles internationales d’enseignants et de chefs d’établissements.

Nelly Guet a une expérience de conseil aux cabinets ministériels et a dirigé pendant 22 ans lycées, collèges, écoles en France et à l’étranger.

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Atlantico : Ce jeudi lors d’un déplacement au lycée professionnel de Saintes, Emmanuel Macron a fait plusieurs annonces concernant la réforme du lycée professionnel, que faut-il en retenir ?

Nelly Guet : Une fois de plus, des effets d’annonces. Le lycée professionnel deviendrait une voie d’avenir, d’excellence, de réussite… grâce à une lutte contre le décrochage et un accompagnement personnalisé,...Une fois de plus, l’on s’attaque aux effets et non aux causes.

Le diagnostic est pourtant juste, l’ambition tout à fait louable ; en effet il est urgent de s’attaquer à une situation intolérable qui laisse sur le bord de la route une grande partie de nos élèves.

Mais une fois de plus, l’on semble oublier que d’autres ont déjà tenté cette mission impossible. Une fois de plus, l’analyse préalable des blocages liés à la situation française n’a pas été sérieusement menée. Ni les parents, ni les enseignants, ni les entreprises, ne sont préparés à modifier leur conception de la formation. Si l’on souhaite transformer le lycée professionnel en une voie d’excellence, il faut d’abord introduire l’entreprise dans la formation au collège et à l’école primaire. C’est ainsi que l’on pourra modifier le recrutement des élèves qui doit reposer sur un choix délibéré de leur part, effectué au collège, et ne plus être le résultat de procédures d’orientation totalement obsolètes, qui leur donnent une impression d’échec et le sentiment d’être « mal orientés ».

Il a donc annoncé que l’État allait investir « un milliard d'euros par an » supplémentaires pour les lycées professionnels, est-ce suffisant pour rattraper le retard français en la matière ? Le plan, sur le fond comme sur la forme, est-il suffisamment ambitieux ? Va-t-il dans le bon sens ?

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Quand vous parlez de « retard français » je me souviens d’une intervention que j’ai faite à Barcelone en 2005 sur l’impact de Pisa en France (!). Nous nous trouvions dans un lycée professionnel en centre-ville où les élèves avaient la chance de disposer des derniers modèles de l’industrie automobile et des plus récents ordinateurs.

La réponse pourrait donc être dans les dépenses, mais le choix annoncé à Saintes n’est pas bon. Motiverles enseignants grâce à une prime de 7 500 € bruts annuels, c’est « mettre la charrue avant les bœufs », car il faut commencer par former les enseignants au contact des entreprises et former dans les entreprises des personnels capables de rendre leurs compétences transférables en milieu scolaire.

Supprimer certaines formations, en créer d’autres. Cela va de soi et aurait dû être entrepris depuis longtemps.

La présence d’un « bureau des entreprises » soulève deux types de questions : une fois de plus l’entreprise doit-elle être considérée à la marge de l’enseignement proprement dit, seulement conçue comme une source d’information pour l’orientation ? S’Il s'agit de convaincre parents et élèves, pourquoi la réserver aux seuls lycées professionnels ? 

Rien de tout cela ne peut remédier à l'échec social et économique engendré par le système éducatif tel qu'il est actuellement.

Lorsque l’on compare le modèle français au système « dual » allemand qui est plus que fonctionnel, ne faudrait-il pas s’en inspirer pour revaloriser les filières professionnelles en France ? Quelles sont ses caractéristiques ? Et ses limites ?

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J’ai organisé en 1994 à Berlin un stage d’une semaine pour le Recteur de l’Académie de Toulouse et une cinquantaine de chefs d’établissement. Nous avons pu découvrir la spécificité des relations entre les entreprises et les enseignants. Le système dual allemand a inspiré, en France, la réforme de l'apprentissage. C’est très bien ainsi, mais la capacité des entreprises sera vite atteinte. Pour le lycée professionnel, la situation est différente. 

Du reste le système dual, en Allemagne, ne cherche pas à  répondre à toutes les situations. C'est une tradition ancrée dans un système donné. 

Peut-on aussi s'inspirer d'autres stratégies européennes pour réfléchir à la manière de s'attaquer au problème en France ?

L’Allemagne, comme les autres pays européens, a choisi de promouvoir les STEM - Sciences – Technologie – Ingénierie - Mathématiques - tout au long de la scolarité, en structurant des partenariats - Etablissements - Gouvernement régional – Entreprises -, avec le soutien des Ministères. De plus, une organisation fédérale, dont le but est, comme en France, la réindustrialisation du pays, a rejoint depuis peu la EU STEM Coalition. 

L’objectif de nos voisins européens, regroupés dans la EU STEM Coalition, dont je suis membre depuis sa création en 2015, est de déclencher, grâce aux relations Ecole-Entreprise, une transformation structurelle ascendante des programmes formels d’enseignement, qui impliquent les entreprises dans les programmes scientifiques officiels : autrement dit, un pilotage « BOTTOM UP » et non « TOP DOWN ». Certains pays – les Pays Bas, par exemple, ont atteint cet objectif depuis plus de 15 ans.

Emmanuel Macron, lorsqu’il était Ministre de l’Économie, avait du reste donné mission à trois hauts fonctionnaires – E.N., Economie, Recherche - de faire un état des lieux de la situation en Europe et en France. À son départ de Bercy, en 2016, les deux autres ministres ( E.N. et Enseignement supérieur) n’ont pas souhaité donner suite à cet ordre de mission. Encore quelques années perdues, qui auraient permis à nos élèves de choisir leurs études, qu’elles soient professionnelles, technologiques ou générales, en tout état de cause  et d’accéder aux carrières et aux métiers d’avenir que décrit à Saintes, celui qui est maintenant devenu le Chef de l’État. Souhaitons qu’il décide au plus vite de passer à l’action en déléguant aux Régions ce qu’un Etat centralisé à l’extrême, ne peut réaliser. 

Le programme Jet-Net, par exemple, que j’ai déjà présenté à de multiples reprises - en 2010 par exemple au Forum du Medef - a pour règle absolue : « 80% doing, 20% listening ». Nos élèves français, dans presque toutes les formes que prennent les si séduisantes actions de nos associations et de nos organisations Ecole-Entreprise, financées par des fonds publics et sponsorisées par des entreprises, passent leur temps à « écouter » comme à l’école, pendant la plupart des rencontres.

L’accès des entreprises à la « boite noire », via les STEM, l’éducation à l’entrepreneuriat, l’éducation financière (le passeport EDUCFI ne suffira pas), remettra en cause, lors de la mise en place d’un curriculum adapté, le statut de l’Inspection Générale, encore dominé par la toute-puissance des disciplines et provoquera bien d’autres transformations, nécessitant du courage politique de la part d’un Président et de plusieurs Ministres.

C’est à ce prix que le lycée professionnel deviendra une voie d’excellence.

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