Atlantico Business
Réforme des retraites : les syndicats vont payer très cher s’ils tentent un bras de fer avec l’État
En cas d’échec du plan de réforme des retraites, la victoire des syndicats sera amère. Ils risquent fort de perdre ce qui leur reste de pouvoir et de légitimité. Le président de la République a sans doute les moyens de s’en remettre.
A l’issue de la prochaine journée de manifestations, l’ampleur du mouvement à Paris et en province nous donnera une idée des perspectives d’évolution de ce conflit. A priori, rien ne permet de penser que le jeu social va se calmer et qu’on pourrait revenir à une phase de débat politique. Rien parce qu’a priori les positions sont assez braquées.
Du côté du pouvoir, le gouvernement a fait à peu près toutes les avancées possibles pour donner au corps social les garanties qu’il semblait réclamer. Il peut difficilement aller plus loin sans vider complètement de son contenu le projet de réforme. Au départ, le projet avait pour but de rééquilibrer financièrement le fonctionnement du régime par répartition. De discussion en compromis, le gouvernement a accepté des aménagements qui réduisent beaucoup le potentiel d’économies possible. Encore un effort, monsieur le bourreau et la réforme finirait par coûter plus cher que le système initial. Donc la réforme serait inutile et dans ce cas, le gouvernement a deux solutions.
Ou bien, il passe en force via le 49.3 mais le projet aura fait tellement de mécontents qu’il aura du mal à s’appliquer. Politiquement ce sera invivable.
Ou bien, il abandonne le projet en rase-campagne et la situation politique devient également insupportable.
Le président Macron se retrouve alors avec des moyens politiques qu’il peut très bien actionner. Ces moyens constitutionnels vont de la dissolution au remaniement du gouvernement. Fort de sa légitimité présidentielle, il peut se replier sur la fonction régalienne qui lui appartient et se consacrer principalement à la géopolitique. En espérant que la situation économique et financière n’entraîne pas le pays dans les bras de la Banque mondiale pour cause d’endettement et surtout d’incapacité à redresser le bateau, ce qui était l’objectif de la réforme des retraites : montrer au monde entier qu’on est capable d’éviter la faillite.
À Lire Aussi
Dans tous les cas de figures, le président peut passer les presque 3 années restantes à préparer son avenir, à défaut d’avoir pu sécuriser celui du pays.
Du côté de l’opinion et des syndicats, les choses risquent d’être beaucoup plus rock’n roll. En imaginant que la poursuite des manifestations débouche sur la violence de rue et entraine l’abandon du projet, il n’est pas certain que l’opinion fasse porter la responsabilité de l’échec sur le gouvernement qui a débattu plusieurs années, alors que les syndicats qui sont parties prenantes dans le système d’assurance vieillesse, n’ont pas proposé d’alternatives fortes et cohérentes.
L’Etat, le président et le gouvernement ont certainement fait beaucoup d’erreurs dans le processus de concession et de communication, mais les syndicats, eux, ont failli dans leur responsabilité de proposer des alternatives au projet gouvernemental.
Une majorité de l’opinion (75% nous disent les sondages) sont opposés à un recul de l’âge légal de départ à la retraite avec un taux plein, mais une même proportion est consciente que le régime de retraite est fragilisé et qu’il aurait besoin d’une réforme. D’où le blocage de ce débat. Les vraies questions que pose un tel blocage sont très simples.
La première reviendra à se demander pourquoi tant de haine. La réponse se situe dans l’absence coupable de culture économique dans la société française. Ce débat s’est permis de balayer tous les arguments les plus fallacieux ou incohérents qui soient. On a appris que les régimes de retraite n’était pas en difficulté, qu’avec un déficit de 3% l’Etat pouvait payer et à la limite faire payer les riches milliardaires capitalistes. Cette méconnaissance des mécanismes économiques les plus élémentaires a transformé un débat qui devait porter sur des ajustements techniques pour tenir compte de contraintes démographiques qui s’imposent à tout le monde en un débat de société (ce qui n’est pas aberrant) et le débat de société se retrouve dominé par des déferlements de haine. Haine dans la rue et haine au parlement, ce qui est terrifiant et qui montre à quel niveau de médiocrité intellectuelle et morale est tombée une grande partie de la classe politique.
À Lire Aussi
La deuxième question revient à se demander en quoi la rue et les syndicats seraient plus légitime qu’une majorité (très étroite, c’est vrai) au parlement, ou le chef de l’État. Sous la toise des valeurs de la démocratie, on peut dire que les manifestations regroupent en moyenne et à chaque fois plus d’un million de personnes qui défilent contre la retraite à 64 ans. C’est à peu près le nombre d’adhérents aux principaux syndicats français. Mais se souvient-on que le nombre d’électeurs à la présidentielle et aux législatives qui ont voté pour des candidats qui prônaient un âge de retraire à 65 ans a été aux environs de 30 % du corps électoral.
Donc on pourrait dire, en simplifiant, que les opposants déclarés aux 64 ans, qui le disent et le montrent en défilant dans la rue sont 2 millions. Alors que ceux qui seraient prêt à pratiquer une retraite à 65 ans sont plus de 20 millions. La légitimité n’appartient pas à la rue.
Si les syndicats qui ont retrouvé un contrôle de la rue qui leur avait été pris par les gilets jaunes et le covid, veulent conserver leur influence et leur rôle de contre-pouvoir, leur responsabilité est de proposer des solutions compatibles avec les contraintes de la société. Si les syndicats n’assument pas cette responsabilité, la rue reprendra un pouvoir qu’elle cédera à la violence des casseurs.
La troisième question revient à savoir si une réforme des retraites est absolument indispensable.Si on veut préserver la retraite par répartition qui est le cœur du modèle social français, elle est indispensable. Le régime doit donc être équilibrer comme tous les systèmes assuranciels. Les actifs paient pour les inactifs et l’Etat n’a rien à faire là-dedans. L’Etat est intervenu pour sauver le système en difficulté, en puisant l’argent public à condition qu’il se réforme, sinon l’Etat ne trouvera plus de financement sauf à ruiner les pauvres, abimer les entreprises ou racketter les très riches.
À Lire Aussi
Mais effectivement la réforme n’est pas nécessaire, si on estime que le régime par répartition ne fonctionne pas, les assurés sociaux trouveront d’autres solutions dans les plans d’épargne et de capitalisation sous gestion privée afin d’assurer leur avenir.
Si la rue l’emporte sur le débat parlementaire, si la réforme n’est pas indispensable, les syndicats auront perdu la partie en perdant le contrôle des caisses de retraite par répartition. Ils auront perdu la partie, leur rôle, leur fonction et leur légitimité. Les syndicats sont co-gérants du système. S’ils renoncent à cogérer, ils ne servent plus à rien.
La victoire sera donc bien amère.
En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.
Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !