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Réforme de la maternelle : jusqu’où peut-on raisonnablement attendre de l’école qu’elle combatte les inégalités ?
©FRANK PERRY / AFP

Curseur

Emmanuel Macron a annoncé que l'école sera désormais obligatoire dès 3 ans, à partir de 2019.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

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Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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A l'occasion de l'ouverture des Assises de la maternelle, ce mardi 27 mars, Emmanuel Macron a pu annoncer que dès la rentrée 2019, l'instruction sera obligatoire dès 3 ans, contre 6 aujourd'hui. ​Quels sont les avantages apportés par une telle réforme ?

Pierre Duriot : En l'état, la réforme n'apporte rien de plus, la scolarisation des enfants de trois à six ans, sous forme de trois à quatre années de maternelle est déjà effective à 97 %. Au chapitre des arguments, il est dit que certains élèves fréquentent de manière inégale. Il faut savoir qu'en petite section, les élèves dorment la plus grande partie des après-midis et en conséquence, ne venir à l'école que le matin en petite section ne se révèle pas handicapant.

Après, il faut savoir ce que vise la loi, au-delà de l'effet d'annonce. C'est sans doute l'enseignement qui sera obligatoire et pas la mise à l'école et dans la collectivité, cela irait à l'encontre des « libertés individuelles » et se relèverait d'un pur stalinisme. Sachant que le contrôle de ceux qui choisissent la scolarité à la maison, dans le plus strict respect de la loi, n'est déjà pas à la hauteur de ce qu'il faudrait, faute de temps et de moyens, on voit mal comment un enseignement de niveau maternelle sera contrôlé et aussi, quelles seraient les sanctions en cas de non instruction dans la famille d'un enfant si jeune ? La suppression des allocations familiales ? La venue à l'école d'un enfant de quatre ans entre deux gendarmes ? Ce n'est pas sérieux, sachant que des lois, autrement plus importantes, sont déjà inapplicables dans certains territoires pourtant républicains. Comme l'a dit le président, il y a avant tout une portée symbolique.

Qui sont donc, en pratique, les enfants de trois à six ans qui ne viennent pas à l'école ? Le rapport Obin en dressait le portrait, voici quelques années. Gens du voyage, enfants de milieux sectaires, enfants d'extrémistes religieux, tout cela ne va pas chercher bien loin, moins de 20 000 enfants, mais, pour d'autres qui fréquentent, beaucoup de nos collègues le vivent au jour le jour, la présence dans les locaux ne signifie pas forcément une adhésion à l'école et à ce qui s'y passe.

Jean-Paul Brighelli : À vrai dire, ça ne change pas grand-chose : 97% des enfants sont déjà scolarisés dès 3 ans (sauf cas d'incontinence prolongée). L'avantage le plus net — encore faudrait-il que les professeurs des écoles le ressentent ainsi, loin des options idéologiques ou partisanes de certains — c'est, dans le cas en particulier des enfants issus de milieux peu favorisés, de se substituer aux parents dans l'acquisition du langage le plus correct et des formes syntaxiques adéquates. Enrichir leur vocabulaire, leur apprendre les structures. L'école ne peut se substituer complètement aux parents : elle doit les compléter, et combler les carences éducatives. Elle doit apprendre le français — et le meilleur français.

Leur apprendre aussi l'école : leur enseigner que désormais ils ne sont plus les petits rois du royaume enfantin, mais un élève parmi les autres. Unus inter pares, disaient les Latins. Un parmi d'autres. Il n'y a pas à l'école de Blanc ou de Noir, de Juif ou de Musulman, de "fils de bourgeois ou de fils d'apôtre" (Brel) — juste des écoliers français.
Leur enseigner aussi le respect des règles, en les amenant à respecter le silence, à se déplacer selon des contraintes précises, à se calmer à divers moments de la journée — voire à continuer à faire une sieste… Ce dit être une seconde maison — et même la première, si la leur est défaillante. Leur apprendre enfin à manger de tout — afin de pallier les insuffisances alimentaires.

Quels sont les autres éléments qui structurent les inégalités et l'échec scolaire aujourd'hui ? De la responsabilité des familles, des problèmes d'intégration, une culture de l'échec qui prend parfois place dans certains quartiers, à l'influence des écrans, aux temps de trajet des parents, quels sont ces éléments qui démontrent que l'école ne peut pas tout pour traiter les inégalités et l'échec scolaire ? Jusqu’où peut on attendre que l'école gère les inégalités ?

Pierre Duriot : Exact, l'école ne peut pas tout traiter, ni redresser à elle seule de nombreux facteurs actifs dans tout ce qui peut prédisposer un enfant à la réussite scolaire et sociale, sachant que l'on peut aussi réussir socialement sans avoir réussi scolairement. On sait depuis longtemps que la maternelle fait un travail énorme en matière de préparation aux enseignements des fondamentaux, mais on sait aussi que la majeure partie de la personnalité de l'enfant, sa structure, sa solidité, ses capacités, se forment majoritairement entre la naissance et trois ans, c'est à dire, avant l'entrée à l'école. Dans cette optique et fort de constats largement connus, un double effort, également en direction des crèches et de la parentalité auprès des jeunes enfants, reste à faire. Il est plutôt du ressort des communes, ou d'associations, d'entreprises également, qui proposent des crèches à vocation développementale, avec des sollicitations physiques et cognitives, de la découverte et des initiations, qui ont vocation à bien forger de futures personnalités.

Hors cet aspect de la prise en compte des 0/3 ans, le principal moteur de l'apprentissage est l'envie de l'élève et l'adhésion de ses parents au projet scolaire et aux contenus dispensés à l'école. Ce n'est pas toujours le cas dans cette école soumise de plus en plus aux influences communautaristes, on l'a vu avec des interdictions liées à la religion, en particulier musulmane, notamment, des poussées revendicatrices sur le cloisonnement des sexes ou la présence de voiles islamiques dans les locaux scolaires, ou les accompagnements de sorties qui sont nombreuses en maternelle. On l'a vécu, par exemple, en Haute-Savoie, en 2016, avec une demande de dortoirs séparés entre garçons et filles, un repas halal à la cantine, une liste de lecture de contes “autorisés” à la bibliothèque, le refus de participer à certaines sorties scolaires, à la maternelle des Pottières, de la part de quatre familles musulmanes qui avaient mis un temps l'école sous pression. Mais pas qu'aux Pottières... tout cela évoque cette idée que l'école républicaine n'est pas toujours celle attendue dans sa forme et ses contenus. Dans ce contexte, effectivement la spirale de l'échec guette, il est difficile de demander à un enfant jeune d'investir une école que ses parents réfutent.

Également, bien sûr, les aspects liés à l'éducation, avec des enfants supportant peu les frustrations, avec plus ou moins de limites, installés dans des rapports aux autres et à l'adulte conflictuels, donnent à l'école plus de fil à retordre dans le sens où il faut travailler le volet éducatif, sachant que les parents ne vont pas toujours dans le sens de l'école, quand ils ne le contrarient pas en s'interposant entre la discipline de l'école et leur enfant.

L'omniprésence des écrans, les heures de coucher tardives, le manque de sollicitations langagières et physiques, la présence d'une langue maternelle différente de celle de l'école, la qualité de l'alimentation, la salubrité des logements, la qualité de la vie familiale et de très nombreux autres paramètres influencent énormément l'enfant et plus loin, l'élève, comme autant d'aspects sur lesquels l'école à peu prise, mais qui sont de nature à conditionner le parcours scolaire de l'enfant.

Viennent ensuite, les handicaps, qui sont largement répertoriés maintenant, largement traités aussi, même si ce n'est pas encore optimal, loin s'en faut : autisme, psychose, dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, trisomie, handicaps physiques, mentaux, troubles divers et plus simplement, difficultés scolaires ordinaires sont pris en compte par l'institution, peut-être pas autant et aussi bien qu'il le faudrait mais les choses avancent.

Jean-Paul Brighelli : Il va de soi qu'être à l'école, ce n'est pas grand-chose si cette présence ne s'accompagne pas d'un programme précis — celui des apprentissages fondamentaux — graphiques par exmple. On doit sortir de la Maternelle en sachant lire et passablement écrire — contrairement à ce que persiste à affirmer le syndicat majoritaire.

Et ces apprentissages se font, ô merveille, avec un papier et un crayon (en fait, des crayons…). avec des livres. Avec un premier apprentissage des lettres et des chiffres; avec des ambitions : sans chercher à forcer la mains aux enfants, il faut dès le départ chercher à les amener au plus haut d e leurs capacités. Savoir déceler précocement leurs talents tout en cherchant à élever le groupe. Ce qui se fait à la Maternelle — le dernier rempart non encore entièrement massacré par les pédagogistes — devrait servir de modèle à tout le système scolaire.

Alors que la IIIe République était caractérisée par une société française se retrouvant dans une volonté commune d'instruction générale, à quel point cette volonté a -t-elle pu participer à cette réussite, au-delà de l'école elle même ou des méthodes d'apprentissage ? En quoi la fracturation de la société actuelle pourrait-elle affaiblir une même démarche aujourd'hui ?

Pierre Duriot : L'école de la IIIème République n'était pas exempte de tiraillements, régionaux ou religieux, mais à l'époque, avec d'autres acteurs. Ceci dit, l'école d'aujourd'hui bute sur d'autres problèmes internes qui étaient sans doute moins prégnants à l'époque. Elle pratique la contorsion multiple devant les particularismes exprimés, culturels, religieux, ethniques, cherche à avancer sans froisser les susceptibilités : elle manque de rigueur face aux revendications. Et quand elle est trop rigoureuse, parfois, elle brûle, ou les enseignants sont pris à partie, le terrain est souvent difficile. Également, l'école est trop politisé, à gauche. En son sein s'expriment des idéologies, qui teintent les enseignements. S'invitent des matières qui n'ont rien à faire entre les murs d'une école, comme la lutte contre l'homophobie ou le racisme, le respect de la culture de l'autre, les opérations pièces jaunes et autres barnums « solidaires », ou de « vivre ensemble », que l'on imagine plus portées par les parents eux-mêmes ou des structures associatives et culturelles. 

Avant de rassembler le pays sur un projet éducatif, il faut déjà rassembler les composantes de l'école devenues très dispersées. On ne fait plus classe dans le Cantal comme dans la Seine-Saint-Denis, les modalités de la vie scolaire n'y sont pas les mêmes, les attendus en terme de résultats non plus. Tout cela varie même d'un quartier à l'autre d'une même ville et un enfant étiqueté comme « en difficulté » ici se retrouvera dans la moyenne, voire dans les bons, ailleurs, pas très loin. Au-delà de la nécessité d'un certain ménage, il faudra aussi une sérieuse remise en forme des structures pour retrouver une qualité d'enseignement que l'on a mis trente ans à perdre et qui ne se retrouvera pas en l'espace d'un mandat présidentiel, surtout avec l'annonce d'une « réforme » qui correspond à une réalité déjà effective. Mais ne boudons pas notre plaisir, l'obligation statutaire d'apprendre à trois ans est un symbole fort...

Jean-Paul Brighelli : Pauline Kergomard (1838-1925) fut la grande dame de l'école maternelle, et la complémentaire de Ferdinand Buisson (), qui bien plus que Ferry fonda véritablement l'école républicaine. Elle a été Inspectrice générale des écoles maternelles de 1888 à 1917 — elle avait alors 79 ans… Le système sait d'ailleurs ce qu'il lui doit — 113 écoles portent aujourd'hui son nom en France. Elle a œuvré à la fois pour que les tout petits entrent déjà en activité dès leur arrivée à l'école (5 ans, à l'époque), mais surtout pour qu'ils reçoivent partout la même instruction, afin de façonner de vrais petits Français : combien d'élèves de Pauline Kergomard sont morts pour la France en 1914-1918… C'est vers cet objectif de communauté nationale et dambitions pédagogiques de haut niveau que nous devons aujourd'hui œuvrer. Déterminer un âge minimum c'est bien ; écrire un programme à suivre absolument, et éventuellement former des instituteurs à cette tâche, ce serait mieux.

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