Référendum sur la « nationalisation » des logements : voilà pourquoi les Berlinois se sont tirés une balle dans le pied <!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue de la ville de Berlin et de la cathédrale de la ville prise le 3 mars 2020 à Berlin.
Une vue de la ville de Berlin et de la cathédrale de la ville prise le 3 mars 2020 à Berlin.
©JOHN MACDOUGALL / AFP

Expropriations

Ce referendum tenu en même temps que les législatives n’a pas de valeur juridique contraignante mais l'expropriation des sociétés immobilières détenant plus de 3.000 appartements au profit de la municipalité aboutirait très vraisemblablement à un résultat inverse à celui recherché sur le montant des loyers.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : Les Berlinois ont voté ce dimanche en faveur d’un référendum proposant l'expropriation des sociétés immobilières détenant plus de 3 000 appartements au profit de la municipalité. Franziska Giffey, la nouvelle maire (SPD) de Berlin a estimé que "Les expropriations ne contribuent pas à créer ne serait-ce qu'un seul nouvel appartement ou à résoudre la grande question du logement abordable". A-t-elle raison dans son diagnostic ? Cette mesure serait-elle une erreur ?

Charles Reviens : Il faut d’abord rappeler les particularités des contextes allemands et berlinois en matière de logement et d’immobilier. L’Allemagne a été capable de maîtriser bien davantage que la France ou le Royaume-Uni ses prix immobiliers, ce qu’on peut par exemple mesurer au niveau du prix du mètres carré rapporté au PIB par habitant : 17 % en Allemagne contre 41 % pour la France. L’écosystème résidentiel allemand inclut en outre des très grandes foncières de logement cotées, comme Vonovia et Deutsche Wohnen qui disposent d’ailleurs chacune d’un très important parc de logements à Berlin et qui sont en outre actuellement en discussion pour fusionner.

Les Allemands qui sont massivement locataires sont donc habitués à des loyers modérés et les hausses très fortes de loyers qu’a connu Berlin du fait de l’attractivité de cette métropole (hausse estimée à 85 % entre 2007 et 2019) a entrainé d’intenses protestations et manifestations dans une ville traditionnellement à gauche.

L’équipe municipale précédente (coalition SPD-Grünen-Die LInke) avait face à cette situation en instaurant un dispositif d’encadrement des loyers gelant jusqu’en 2025 les loyers de 1,5 millions de logements. Le dispositif avait été déféré devant la Cour constitutionnelle qui l’avait annulé au printemps 2021, provoquant d’ailleurs de ce fait un recalage des loyers dont l’impact a sans doute été important dans le résultat de référendum du 26 septembre 2021.

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Un référendum consultatif local d’initiative populaire a donc eu lieu à cette date en même temps que les élections nationales et les élections du Land de Berlin. La population de Berlin devait se prononcer sur l'expropriation des compagnies immobilières privées possédant plus de 3 000 logements dans la capitale allemande (soit 240 000 logements appartenant notamment à Deutsche Wohnen et Vonovia) via leur rachat par le gouvernement régional berlinois. La proposition a été approuvée à une large majorité de près de 60 % des suffrages exprimés et a également franchi le quorum exigé de 25 % des inscrits (42 % des inscrits favorables à l'expropriation).

Ce référendum n’a pas de portée obligatoire comme le serait une votation suisse, mais son succès tant dans son résultat que dans sa participation impose une réaction politique. La nouvelle maire SPD de Berlin a exprimé ses réticences pour sa mise en œuvre. En effet le cout d’une telle mesure (indemnisation des bailleurs évaluée entre 29 et 39 milliards d’euros) aurait un impact majeur sur les finances publique (du Land ou de la fédération) sans créer d’offre nouvelle. On peut imaginer au vu de l’initiative passée une préférence de la  nouvelle équipe du Land berlinois pour des dispositions de refroidissement des loyers.

Faut-il craindre les mêmes effets contre productifs qu’avec l’encadrement des loyers?

La municipalisation (ou la nationalisation) d’un parc résidentiel appartient au même cadre idéologique (gauche ou extrême gauche) que l’encadrement des loyers mais n’a pas les mêmes effets économiques.

Concernant les dispositifs d’encadrement des loyers, on peut constater qu’il exerce dans le temps une attraction quasiment universelle puisque de nombreux exécutifs nationaux ou locaux y ont recours dans de nombreux pays (plusieurs comtés aux États-Unis, Land de Berlin, Argentine, plusieurs municipalités en France). Ce dispositif a l’immense avantage d’offrir une solution et un narratif politiques face aux situation (d’origine diverse) de flambée des loyers. En plus ce dispositif octroie en économie politique un bénéfice immédiat aux locataires en place, au détriment des bailleurs, investisseurs et candidats à la location. Un article de Bloomberg porte d’ailleurs un jugement sévère sur le dispositif berlinois : gain pour les locataires en place, segmentation du marché entre logements régulés par l’encadrement et logements libres, effondrement de l’offre sur le secteur régulé au détriment des candidat à la location.

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Si l’on analyse les choses dans la durée, on peut s’appuyer sur l’expérience de blocage des loyers en France, le dispositif mis en place au début de la première guerre mondiale et plus ou moins maintenu jusqu’en 1948 : ce dispositif a massivement contribué entre les deux guerres mondiales à un effondrement de la production de logements en France et est un élément majeur de la situation catastrophique de l’offre de logement au sortir de la guerre. D’où la phrase boutade de l'économiste Assar Lindbeck selon lequel « outre un bombardement, la meilleure façon de détruire une ville est par une politique de contrôle des loyers ». Donc à long terme le risque est celui d’une baisse de l’investissement et des effets d’éviction et de réduction de l’offre conduisant soit à la hausse de certains prix soit à la baisse de la qualité de l’offre. Il y a au final un cycle d’économie politique entre mise en place puis abandon des dispositifs d’encadrement des loyers.

La municipalisation du parc résidentiel telle qu’exigée par le référendum berlinois a d’autres effets économiques. Il y a d’abord un énorme impact finances publiques puisqu’il faudra bien dans le cadre constitutionnel allemand indemniser les foncières propriétaires, pour un montant de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Mais l’effet majeur tient, et c’est l’objectif recherché, à transformer radicalement la gouvernance du logement : le parc municipalisé sera directement ou indirectement sous le contrôle des élus municipaux (à l’instar des offices HLM en France), des électeurs, des associations de locataires ou tous autres groupes de pression. On espère ainsi une modération des loyers mais par des moyens ici indirects.

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Quelles pourraient être les solutions pour réellement régler le problème du logement à Berlin ? Et dans les grandes métropoles en général ?

L’évolution des loyers, prix du service logement, ne peut s’appuyer que sur une analyse multifactorielle prenant en compte les particularités de l’écosystème logement du territoire en question. De nombreux facteurs contribuent aux prix : attractivité du territoire, équilibre offre-demande, niveau de la réglementation, évolution du prix d’achat des logements, avec un lien très fort avec le niveau des taux d’intérêt et les couts de foncier ou de construction.

Dans le cas de Berlin, on peut imaginer l’impact sur l’attractivité sur les prix dans un cadre de métropolisation, tendance apparue il y a plusieurs décennies aux Etats-Unis et notamment en Californie et donc Pierre Vermeren vient de faire dans un ouvrage récent une critique acerbe.  Favoriser la décongestion des métropoles, imaginer un nouvel aménagement du territoire peut également être imaginé pour refroidir les prix sans passer ni par l’encadrement des loyers ni par la propriété publique des logements.

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