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Redoublement : pourquoi il est urgent de cesser de confondre les causes et les conséquences de l’échec scolaire
©AFP

Education

Le redoublement alors qu'il avait été supprimé devrait être rétabli par le ministre de l'Education nationale, ce qui n'est pas sans inquiéter parents et élèves.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

Voir la bio »

Atlantico : Le redoublement en cas d'échec en fin d'année scolaire a été quasiment supprimé en 2014 (sauf volonté des parents ou cas exceptionnels), car la Ministre de l'Education de l'époque, Najat Vallaud-Belkacem, le trouvait majoritairement inefficace. Aujourd'hui, Jean-Michel Blanquer préparerait un décret pour rétablir le redoublement. Reste cependant la question des "redoublements secs" ou "inefficaces", qui sont non seulement une réalité mais surtout une majorité. Pour s'en prémunir, le Ministre actuel souhaiterait que les redoublements restent "exceptionnels", mais surtout il compte rendre aux professeurs la responsabilité des décisions. Avec cet assouplissement, ne risque-t-on pas d'avoir un enseignement à deux vitesses, l'un pratiquant un redoublement sélectif et élitiste, et l'autre suivant la ligne pédagogiste de Najat Vallaud Belkacem ? 

Jean-Paul Brighelli : Mais nous avons déjà un enseignement à deux vitesses — selon que les enseignants suivent (de près, de plus loin ou de très loin) les consignes prodiguées dans les ESPE, conformément aux vœux du Conseil Supérieur des Programmes (le départ de Michel Lusseau n'a rien changé pour le moment) et des pédagogistes qui occupent tous les échelons de l'Education nationale, tant ils se sont cooptés les uns les autres ! Nous avons un enseignement à deux vitesses selon que vous dépendez (ou non) d'une carte scolaire qui vous envoie dans un ghetto scolaire, ou dans un établissement pédagogiquement éclairé ! La répartition se fait strictement sur des critères financiers — en fonction des loyers de votre lieu d'habitation. Sidérant, non ? On n'enseigne pas de la même manière à Saint-Denis et à Paris Vème arrondissement. Et l'on redouble moins à Henri-IV qu'au collège Jean-Claude Izzo dans les Quartiers Nord de Marseille — ou on passe en meilleur état.

Dans ce contexte, redoubler n'a plus la moindre importance. J'ai fait des centaines de conseils de classe, j'ai voté pour des dizaines de redoublements — quand, en mon âme et conscience, je pensais qu'il pouvait être profitable à l'élève. Mais si l'enseignement ne s'améliore pas, si l'on persiste à faire garderie, à évaluer des "compétences" au lieu de transmettre des savoirs, quelle importance désormais ?

Ce n'est plus même pour des raisons pédagogiques (ou idéologiques) que l'on en est arrivé à supprimer l'hypothèse même des reodublements. C'est pour des raisons comptables. Selon les filières et le niveau de classe, un élève coûte de 6000 à 12 000 euros par an. Pourquoi croyez-vous que le niveau de réussite au Bac est si élevé ? Parce que 11% de redoublants, en Terminale, cela coûte déjà près d'un milliard d'euros. Alors, davantage…

À l'autre bout de l'échelle, que signifie redoubler le CP, sinon que la méthode d'apprentissage du Lire et de l'Ecrire était déficiente ? La méthode, et très rarement l'élève ! Quand le ministre, qui au fond est favorable à une méthode alpha-syllabique, va-t-il se résigner à l'imposer à des instituteurs formés idéologiquement dans les défunts IUFM ou les actuels ESPE par des maniaques du départ global et de l'idéo-visuel ? Virons-les — ça, ça nous fera des économies !

La question de l'échec scolaire ne passe évidemment pas que par le reboublement. Quels sont les modèles pédagogiques  envisageables qui permettraient , tout en maintenant une possibilité raisonnable d'encourager un redoublement, sans pour autant tomber dans l'égalitarisme qui conduit à tant d'échecs finaux ?

J'ai proposé depuis longtemps, et je ne suis pas le seul, des modules de remise à niveau intensif sur quelques semaines ou quelques mois. Un redoublement prononcé en juin ne concerne plus forcément l'élève tel qu'il est en septembre : souvent il faudrait (et il suffirait de) procéder à une remédiation ciblée. En pratiquant de façon intensive la matière la plus déficitaire. Cela reviendrait bien moins cher qu'un redoublement sec — et surtout, ce serait bien plus efficace en ombre portée dans les années à venir. Parce que ce ne serait pas pour l'élève un échec, mais une béquille temporaire. Reste à voir si le ministère veut investir de l'énergie dans ce genre de projet, qui romprait avec l'agenda strictement annualisé des programmes scolaires.

90% des difficultés des élèves viennent d'insuffisances dans la maîtrise de la langue, parlée et écrite. C'est prioritairement l'enseignement du français qu'il faut redynamiser, parce que la langue seule permet de comprendre un problème de maths, la langue seule permet de rédiger un devoir d'Histoire. Mais on a choisi d'appauvrir l'enseignement du français : commençons donc par redonner aux collégiens les 600 heures de français, entre la sixième et la troisième, que vingt ans de petites économies leur ont volées. Et ils redoubleront moins. C'est un investissement ponctuel, générateur d'économies d'envergure à terme — mais quel énarque est capable, à Bercy, de calculer au-delà d'un an ?

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