Redistribution, taxes comportementales, gaspillages et cie : comment on a tué le consentement à l’impôt (et la démocratie ?) à force d’en faire un couteau suisse<!-- --> | Atlantico.fr
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On a tué le consentement à l’impôt (et la démocratie ?) à force d’en faire un couteau suisse.
On a tué le consentement à l’impôt (et la démocratie ?) à force d’en faire un couteau suisse.
©Reuters

L’Etat m’a tuer

37 % des Français perçoivent le fait de payer des impôts comme une "extorsion de fonds", selon un sondage Opinion Way pour la plateforme de prêts participatifs Finsquare.

Frédéric Tristram

Frédéric Tristram

Frédéric Tristram est historien et spécialiste de la politique fiscale en France.

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Atlantico : Comment en est-on arrivé à un tel rejet de la part de l'opinion vis-à-vis des impôts ?

Frédéric Tristram : Rappelons d’abord qu'il n'est jamais agréable de payer des impôts. Tout un courant de pensée qui, il y a quelques années, entendait "réhabiliter l'impôt" en mettant l’accent sur sa dimension civique (et occultant au passage ses effets économiques négatifs) oubliaient qu'il s'agit en réalité d'une pénible nécessité. Ce n'est pas parce qu'on est un bon citoyen qu’on aime pour autant verser de l'argent à l'Etat.

Il faut cependant constater un phénomène nouveau, dont le début remonte à l'été 2011, lorsque le gouvernement Fillon s'est engagé dans une hausse très importante des impôts. Cette tendance a porté le taux de prélèvements obligatoires à des niveaux jamais égalés auparavant. Un premier pic en la matière avait été atteint, autour de 45 %, en 1999 à la suite des difficultés rencontrées pendant la très grave crise conjoncturelle de 1992-93, qui avait profondément creusé le déficit et l'endettement, et à la nécessité de respecter les critères de Maastricht. Aujourd'hui, après les mesures Fillon et surtout après les mesures prises à partir de 2012 par François Hollande et Jean-Marc Ayrault, le pays arrive à un taux de prélèvements obligatoires qui se situent autour de 47 %. A ces niveaux, la société française atteint sans doute un seuil de tolérance.

La manière d'augmenter ces impôts a enfin alimenté le processus de rejet. Les petites recettes ont été multipliées, aux dépens des grands impôts synthétiques. Aucun cap précis n'a été donné. La fin des hausses d'impôts a été plusieurs fois annoncée, pour que finalement nous nous rendions compte que de nouvelles mesures continuaient d'alimenter cette pression fiscale croissante. Dernièrement encore, après que le président a annoncé qu'il n'y aurait plus d'impôts nouveaux, le secrétaire d'Etat au budget Christian Eckert a déclaré que de nouvelles impositions pouvaient être envisagées en 2015. Les Français n'en voient pas la fin, ce qui alimente un sentiment de révolte qui nous ramène à des moments que l'on pensait oubliés, comme les années 1950 avec le poujadisme, ou les années 1970 avec le mouvement du CID-UNATI animé par Gérard Nicoud. A ceci près que sous le poujadisme, aucun centre des impôts, n'avait été incendié…

Comment expliquer que cette proportion atteigne 50 % chez ceux qui ne payent pas l'impôt sur le revenu et 56 % chez ceux qui gagnent moins de 1 000 euros par mois ?

Ce sont les contribuables les plus modestes. Il n'est pas certain que la part prélevée chez eux ne soit pas plus élevée que chez les autres. L'impôt sur le revenu focalise notre attention, mais ces personnes ont de plus en plus conscience des autres impôts qui les frappent, par exemple de la CSG ou de la TVA. Sans compter la fiscalité locale, qui est extrêmement mal répartie.

Les Français ont-ils encore une visibilité sur ce à quoi sert l'impôt ?

Le climat actuel fait écho aux errements des politiques fiscales depuis un certain nombre d'années. On nous dit que la fiscalité va mal, que l'impôt n'est pas juste, qu’il pose des problèmes économiques, or aucune réforme fiscale ne nous est présentée. J'en veux pour exemple l'annonce de Jean-Marc Ayrault l'année dernière, d'une grande réforme de l'impôt sur le revenu, qui a alimenté la chronique pendant quelques jours, alors que finalement rien n'a été fait.

Le système fiscal a donc perdu en lisibilité et la politique fiscale n'est pas à la hauteur des enjeux d'une adaptation de la fiscalité à la situation actuelle du pays. 

Servant initialement à financer les dépenses publiques, les pouvoirs publics en sont-ils arrivés à concevoir l'impôt comme un outil de justice sociale ? Paie-t-on aujourd'hui le prix de décennies de perversion de la fiscalité ?

Il faut effectivement rappeler que le financement des dépenses publiques est la principale mission des impôts et devrait être la seule. L'impôt est perçu comme un instrument de justice fiscale et surtout d'intervention économique. C'est tout le problème des niches fiscales, dont on essaye d'atténuer le montant depuis plusieurs années sans réel succès. Ce qui explique cet échec, ce n’est pas tant l’existence des lobbies mais le fait que ces niches sont le reflet de l'intervention multiple et désordonnée de l'Etat dans l'économie, en faveur des DOM-TOM ou de l’investissement locatif par exemple... Avec une efficacité d’ailleurs toute relative comme l’avait montré un rapport de l’Inspection générale des finances paru en juin 2011. C’est à cet interventionnisme tous azimuts qu’il faut mettre fin.

Quant à l'utilisation de l'impôt en matière de redistribution, il convient de se montrer prudent, car cette dernière est modérée. L'impôt progressif sur le revenu est certes très redistributif, mais lorsque l'on considère l'ensemble des prélèvements fiscaux et sociaux, il n'est pas si sûr que le système français le soit tant que ça. Il faudrait en outre, pour avoir une vue complète de l’action redistributive de l’Etat, considérer à la fois les recettes et les dépenses, ce qui est extrêmement complexe et peut difficilement donner lieu à une évaluation chiffrée. Ce que l’on peut dire toutefois, c’est que les mécanismes de protection sociale utilisée en France, et notamment les mécanismes assurantiels (par exemple l’assurance maladie ou les retraites) conduisent à une redistribution verticale assez faible.

Le point central à retenir selon moi est que la part de l'Etat dans l'économie, et notamment son expression fiscale, est aujourd'hui beaucoup trop élevée en France.

Ces dérives ont-elles fini par tuer le consentement à l'impôt ? Quelles conséquences faut-il en attendre quant à l'avenir de la démocratie ? Alexis de Tocqueville écrivait que le consentement à l'impôt était ce qui différenciait ancien régime et démocratie...

Il existe aujourd'hui un vrai problème de consentement qui se manifeste par des démonstrations de rue ou des destructions de biens, comme ce fut le cas dans l’Ouest avec l’écotaxe  Mais ces actions visibles et parfois tonitruantes sont loin d’être les seuls manifestations du refus de l’impôt. Beaucoup plus significatifs me semble le retour en force du travail au noir, notamment dans le cadre des emplois familiaux, et surtout les départs hors de France des forces vives : cadres supérieurs, jeunes diplômés ou sièges sociaux des grandes entreprises, qui sont extrêmement inquiétants et ont, quoi qu’en disent les pouvoirs publics, une forte dimension fiscale. 

La situation actuelle pose également un problème d'expression démocratique, car de plus en plus, les Français ont vis-à-vis de l'Etat un comportement consumériste : ils en attendent un bon rapport qualité-prix, car ils ont conscience que les services publics leur coûtent. Or, ce qui pousse à l'affaiblissement du consentement à l'impôt, c'est qu'un certain nombre de prestations publiques sont aujourd'hui défaillantes, en matière de sécurité, d'éducation, de santé, etc. 

Comment mettre un terme à cette tendance ? Quelles sont les mesures qui s'imposent d'urgence pour sauver le consentement à l'impôt et, par la même occasion, l'esprit de la démocratie ?

Il faut s'engager dans une baisse importante des dépenses publiques. Les montants sont excessifs et en décalage avec ceux de nos voisins européens : les pays qui avaient des niveaux de dépenses et de fiscalité élevés ont su se réformer, comme la Suède par exemple qui a baissé ses taux de prélèvements obligatoires de façon significative.

Et pour cela, il faut changer de méthode : nous essayons actuellement de faire entrer le gros corps de l'Etat dans des vêtements de plus en plus petits, alors qu'il faudrait au contraire mener une réflexion plus générale sur son rôle et sur son périmètre. Certaines missions n'ont peut-être plus vocation à être menées par ce dernier, en tout cas pas totalement.

Des gains de productivités importants sont enfin possibles, à condition d’organiser autrement les services publics. Je pense à un certain nombre d’expériences étrangères, notamment, en matière d’éducation, à l'expérience britannique des free schools : ces écoles privées de nature associatives, financées par l'Etat sur une base forfaitaire, en fonction du nombre d'élèves, affichent des performances supérieures, à niveau social égal, aux écoles publiques.

En résumé, il n'y a aucune raison que la dépense publique en France soit de 57 % du PIB quand elle est moins de 50% en moyenne dans la zone euro et de 45 % en Allemagne, avec des niveaux de protection sociale et de services publics équivalents. En disant clairement aux Français qu'il existe un problème de dépense publique et d'organisation du prélèvement, nous gagnerions en démocratie. Les Français sont capables de le comprendre, car ils sont probablement plus conscients de la nécessité de réformes que le corps politique lui-même.

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