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Recours contre l'Etat sur le climat : quand l’abus de justice devient une menace pour la démocratie
©WALTER DIAZ / AFP

Réchauffement climatique

"Affaire du siècle" : quatre ONG vont attaquer la France pour inaction dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique.

Ramu De Bellescize

Ramu De Bellescize

Ramu de Bellescize est maître de conférence (HDR) à l’université de Rouen. Il a été visiting scholar à Georgetown Universitity (Washington DC) et à Wolfson College (Université de Cambridge, Royaume-Uni). Son dernier livre est intitulé « Le système budgétaire des Etats-Unis », LGDJ, 2015. 

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Atlantico : Quatre ONG attaquent l'État en justice pour "inaction politique". "Nous voulons mettre sur la table un nouveau mode d'action qui existe déjà dans d'autres pays, notamment anglo-saxons", affirme Cécile Duflot, directrice d'OXFAM France, l'une des quatre ONG concernées. À quelles dérives ce "nouveau mode d'action" peut-il mener ? En quoi peuvent-elles menacer l'État de droit ?

Ramu De Bellescize :Votre question, si je puis me permettre, est très bien formulée car elle reflète toute la contradiction de cette « attaque en justice ». Les quatre ONG attaquent l’Etat pour inaction politique. Mais jusqu’à nouvel ordre, la politique relève du pouvoir politique et la justice relève de l’autorité judiciaire. Il s’agit de deux domaines qui relèvent de deux sphères différentes : la justice et la politique.

On nous bassine à longueur de temps avec l’indépendance de l’autorité judiciaire, indépendance qui, selon ses thuriféraires, n’est jamais suffisante. Le pouvoir politique n’a pas le droit d’intervenir dans la justice, en revanche la justice aurait le droit d’intervenir dans le fonctionnement du pouvoir politique. Voilà une curieuse conception de l’Etat de droit. Des juges, même s’ils ne le feront sans doute pas, devrait ordonner au pouvoir politique d’agir. Mais pour faire quoi ? Sur le fondement de quelles lois ? Il n’existe pas encore de lois obligeant l’Etat à climatiser la planète. Il existe en revanche une multitude de normes environnementales comportant des prescriptions précises, que le juge doit sanctionner si elles ne sont pas respectées. Mais là, l’action des ONG se fonde sur du vent.

Une cours de justice ne va pas dire : nous condamnons l’Etat à un milliard d’euros d’amende car il n’a pas installé suffisamment d’éoliennes. Installer des éoliennes est un choix politique, peut être désastreux au demeurant, qui relève de la stratégie énergétique et non pas du pouvoir judiciaire.

Le pire est que ce mode d’action qui existe et qui prospère, comme vous le soulignez, dans certains pays anglo-saxons, se nourrit lui-même. Il est comme le dieu Cronos, il engloutit ses propres enfants. Si les ONG remportent ce procès, elles gagneront de l’argent avec lequel elles feront de nouveaux procès. Le système se nourrit lui –même. Oxfam, l’une des quatre ONG impliquée dans le recours, a été créée en 1942 en Angleterre pour lutter contre la famine qui régnait à l’époque en Grèce. Soixante seize ans plus tard, voilà cette belle ONG – Oxfam France- qui préfère donner de l’argent à des cabinets d’avocats pour faire des procès. Elle préfère l’action médiatique à la lutte contre la pauvreté. La voilà qui se transforme à son tour en éolienne. Venant de Cécile Duflot, c’est compréhensible. Mais qu’Oxfam se prête à ce jeu, c’est dommage.

Quels sont les dangers à légitimer les actions pénales d'entités non-élues et orientées idéologiquement face à l'État qui est, lui, le garant des droits des Français ? Le danger réside-t-il dans cette dérive : que des acteurs bien moins légitimes sur le plan de la représentation puissent s'en prendre à une entité pleinement légitime ?

Les ONG, depuis plusieurs décennies, ont très bien manœuvré pour s’auto sanctuariser. Pour faire simple, l’Etat incarne le mal car il est l’ultime garant des intérêts nationaux. Les ONG incarnent le bien car elles agissent pour le bien de l’humanité. Regardez ce qui se passe en Méditerranée. Des ONG permettent à des clandestins de venir en Europe en dépit de toutes les interdictions. Les empêcher d’agir ainsi, c’est porter atteinte à un devoir d’humanité, c’est opposer à la grandeur du cœur  la raison des lois. Et derrière ces lois, bien entendu se cache l’égoïsme national. Toujours la même rengaine. Avec ce type d’arguments, elles sont parvenues à faire oublier que leur légitimité se situe à un niveau bien inférieur à celui des Etats. En attaquant l’Etat pour inaction politique, elles se mettent sur un pied d’égalité avec lui. Sur le plan tactique, c’est très habile. Cela leur permet d’avoir le beau rôle. En substance, elles font un procès à l’Etat pour que le monde devienne meilleur, pour que l’Etat prenne des mesures en faveur du refroidissement climatique. On ne sait pas quelles sont ces mesures, mais peu importe. Les quatre ONG, en attaquant l’Etat pour inaction politique se présentent comme une alternative à l’Etat. Elles prétendent penser l’intérêt général à sa place. Le message est clair : l’Etat n’est pas capable de penser l’intérêt général en matière climatique. Nous allons le remettre sur le droit chemin avec l’aide des tribunaux. 

Cela leur permet également de faire oublier que de nombreuses ONG ne sont pas neutres politiquement. Elles militent en faveur d’une organisation du monde très orientée politiquement, tout en bénéficiant des avantages statutaires d’organismes neutres. Ce n’est bien entendu pas le cas de toutes les ONG. Beaucoup d’entre elles font un travail remarquable dans des conditions très difficiles. 

Le danger, en légitimant ce type d’actions judiciaires, est de faire perdre de vue que l’Etat lui, en principe, défend les intérêts des Français. Il dispose d’une légitimité que personne d’autre ne possède pour défendre ces intérêts. Les ONG défendent autre chose. Elles se situent dans un autre registre, celui de l’universalisme, de l’humanisme. 
Pour paraphraser le cardinal de Richelieu, « les ONG défendent l’humanité ; or c’est  tous les jours que le salut de la France se joue … ». La France défend l’intérêt des Français, car si elle ne le fait pas, personne d’autre ne le fera. 

Les ONG en question attaquent l'État pour des engagements pris en 2015 par... la précédente mandature. Or d'un quinquennat à l'autre, les budgets, les conjonctures, les conflits sociaux, etc... évoluent. Cette action en justice est-elle une porte ouverte à tous types d'attaques en justice ? Est-ce l'une des limites des grands engagements pris en matière écologique ?

Le problème ici, est celui de la relation entre la justice et la démocratie. La démocratie possède son rythme propre. Elle est par essence changeante car les majorités changent.  
La volonté de la majorité d’aujourd’hui n’est pas la même que celle d’hier ou celle de demain. Or la majorité d’hier ne peut enchaîner celle de demain. Des engagements ont été pris en 2015. Aujourd’hui, on commence à se rendre compte que ces engagements climatiques, en termes de coûts financiers, sont gigantesques. Ils nécessitent une augmentation des impôts. Surtout, depuis 2015, l’analyse du réchauffement a déjà évolué. On commence à dire que les voitures électriques sont peut être tout aussi polluantes, peut être plus polluantes, à cause de leurs batteries, que les voitures à essence. La lutte contre le réchauffement nécessite donc des ajustements permanents à l’état de la recherche. C’est toute la contradiction de ces grandes messes style Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques (COP21), et la réalité. Prendre des engagements spectaculaires que l’on jette à la face du monde est une chose. Adopter des mesures concrètes qui tiennent compte du budget d’un Etat, des priorités qu’il s’est fixé dans le cadre d’élections, du niveau de développement de cet Etat, en est une autre. Les grands engagements pris en matière écologique sont à l’image des droits de l’homme. Ils ont une prétention universaliste alors que le monde est fait d’Etats hétérogènes. Ils sont le résultat d’histoires différentes. Ils existent dans un cadre géographique différent. Ils sont composés de peuples dont les aspirations ne sont pas nécessairement les mêmes. 

Y a-t-il une question philosophique à soulever, selon vous, sur le fait de tordre les principes de la démocratie sous prétexte de se sentir investi d'une mission bienveillante, d'intérêt public. Si ce type d'action est utilisé à des fins bienveillante, peut-on imaginer qu'il le soit à des fins malveillantes ?

Sur le plan pratique, ce type d’actions qui va sans doute hélas se multiplier, empêche la justice de jouer son rôle. Car il faudrait quand même rappeler que le budget de la justice n’est pas indéfiniment extensible, le nombre de juges non plus. Si des juges sont monopolisés pour répondre à ce type d’attaques, ils ne font pas autre chose. C’est donc autant de juges qui ne travailleront pas sur des questions moins spectaculaires mais tout aussi importantes comme l’attribution de gardes d’enfants, des cambriolages, des aménagements de peines pour des prisonniers par exemple. 
Sur le plan philosophique, la question est simple. Lorsqu’il s’agit d’impératifs politiques et nationaux, l’intérêt des Français est que l’isoloir l’emporte sur le prétoire. C’est au peuple de trancher et au pouvoir politique de mettre en œuvre la volonté du peuple, telle qu’elle est issue des élections, avec les moyens budgétaires dont il dispose. Si le peuple n’est pas satisfait, il a tout loisir d’élire d’autres représentants, d’autres partis, d’autres majorités. Mais ce n’est pas aux ONG utilisant l’autorité judiciaire comme levier, de donner des ordres aux représentants du peuple. 

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