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Reconnaissance d’une union polygame aux Etats-Unis : après la légalisation du mariage homosexuel par la Cour suprême, la nouvelle frontière du progressisme sociétal ?
©Reuters

Logique des choses

Alors qu'une famille de l'Utah appartenant à une secte mormone avait été condamnée pour sa polygamie en 2013, une Cour d'appel fédérale a récemment invalidé cette décision de justice.

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé, porte-parole de l'association Juristes pour l'enfance et auteur de PMA, GPA, quel respect pour les droits de l’enfant ?, ed. Téqui, 2016. Son dernier livre "En rouge et noir" est paru aux éditions Scholæ en 2017.

"En rouge et noir" de Aude Mirkovic

 
 
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Atlantico : En 2013, une famille américaine appartenant à l'Eglise mormone a été poursuivie et condamnée par une cour de justice de l'Utah pour sa polygamie. Récemment, une décision de justice au niveau fédéral a invalidé cette décision au motif que la loi anti-polygamie de l’Utah viole les garanties constitutionnelles relatives à la liberté religieuse. Le cas de cette famille de l'Utah pourrait-il créer un précédent ? Peut-on s'attendre à ce que la Cour suprême finisse par légaliser la polygamie au niveau fédéral, comme elle l'a fait récemment pour le mariage gay ? 

Aude Mirkovic : Oui et non. Oui, car en décidant que le mariage peut concerner deux hommes ou deux femmes, la loi l’a amputé de sa signification première qui est d’indiquer la filiation de l’enfant en désignant comme père le mari de la mère. Détaché de cette perspective de l’enfant, le mariage est devenu la reconnaissance sociale du couple. Mais, du coup, il est devenu inégalitaire à l’égard de tous ceux qui ne vivent pas en couple, en premier lieu les célibataires dont on se demande pourquoi ils sont systématiquement désavantagés mais, aussi, tous ceux qui vivent d’autres formes de vie, et notamment des relations à plusieurs, dont la polygamie. Il était prévisible que ces personnes demandent, elles aussi, la reconnaissance sociale de leur situation via le mariage.

Avec le mariage de même sexe, la loi a renoncé à une approche objective du mariage dont la définition n’est plus que le résultat d’un rapport de force : les lobbies de promotion du mariage gay ont été assez puissants pour imposer la transformation du mariage en leur faveur. Si les lobbies de promotion de la polygamie parviennent à exercer une pression suffisante, ils l’emporteront eux aussi.

Donc oui, la transformation du mariage par le mariage homosexuel ouvre les portes à la polygamie ; mais non celle-ci n’est pas inéluctable. Nous avons aujourd’hui un choix à faire : soit nous tirons les conséquences de la transformation du mariage pour y accueillir toutes les formes de vie, dont la polygamie, soit nous nous rendons compte, enfin, de ce que signifie cette transformation pour rétablir le mariage comme ce qu’il l’est : l’union d’un homme et d’une femme en vue de fonder une famille. La Cour suprême des Etats-Unis est, comme les autres, face à cette alternative. Ceux qui veulent croire que le mariage gay est un point final se trompent lourdement, car à partir du moment où on s'autorise à supprimer le lien à la nature, en l’occurrence le processus naturel de l’engendrement, la liberté individuelle ne trouve aucune borne où s'arrêter.

Au sein de nombreuses communautés des Eglises mormones aux Etats-Unis, des femmes et filles mineures sont forcées de contracter des unions polygames contre leur gré. Nombreux sont ceux qui souhaitent interdire la polygamie pour des raisons féministes, au motif qu'il s'agit d'unions dégradantes pour les femmes. Ces arguments tiennent-ils ? Dans quelle mesure les femmes "subissent"-elles les mariages polygames ? A l'inverse, la légalisation ne leur permettrait-elle pas d'être plus protégées et autonomes ? 

Déjà, précisons que, lorsqu’une femme est forcée de se marier, le mariage est nul ou devrait l’être, même monogame. Le constat que le mariage forcé est plus fréquent dans le contexte de la polygamie permet de saisir de façon intuitive que la polygamie pose problème car les procédés comme les mariages forcés ou la répudiation s’exercent toujours au détriment de la femme là où la polygamie est pratiquée.

Pour autant, donner un statut social, en l’occurrence un statut matrimonial, à des unions qu’on estime "dégradantes", pour reprendre votre terme, est une fausse bonne idée. Si une situation est dégradante, on la combat, on ne s’y résigne pas en la légalisant. D’ailleurs, la légalisation reviendrait très vite à légitimer la situation et à la promouvoir, autrement dit au résultat inverse de ce qui était recherché. A ce compte-là, pourquoi ne pas légaliser l’esclavage, pour permettre aux esclaves d’être mieux protégés ?

La femme est toujours victime de la polygamie mais il faut aller plus loin car, en soi, la polygamie inclut certes la polygynie (un homme avec plusieurs femmes), mais aussi la polyandrie (une femme avec plusieurs hommes), et ce qu’on appelle aujourd’hui la polyamorie (hommes et femmes mélangés), sans oublier les versions homosexuelles de tout cela : plusieurs hommes ou femmes entre eux. En théorie, il est possible de concevoir une polygamie égalitaire hommes/femmes. Il faut donc aller plus loin que l’argument féministe : l’obstacle à la polygamie est la signification du mariage.  

La Constitution française n'est pas celle des Etats-Unis. Quels motifs la France pourrait-elle invoquer pour discuter d'une légalisation de la polygamie ? S'agit-il selon vous de la prochaine "étape" dans la logique sociétale actuelle consistant à créer toujours plus de nouveaux droits individuels ?

La France doit refuser de légaliser la polygamie car elle ne correspond pas à la finalité du mariage. Je m’explique : la société institue le mariage dans son intérêt social bien compris car elle a besoin d’enfants. Certes, il n’est pas nécessaire d’être marié pour avoir des enfants mais le mariage encourage la procréation car il offre un abri légal pour les enfants à venir, légal, et donc protecteur car garanti par la loi. Dans ce contexte, la première forme de sécurité offerte à l’enfant par le mariage est sa filiation : la présomption de paternité le rattache automatiquement au mari de sa mère, ce qui préserve l’enfant du bon (ou moins bon) vouloir des adultes pour que sa filiation soit établie. Seul le mariage monogame homme/femme offre à l'enfant cette sécurité maximale. La polygamie, si elle était envisagée, inclurait toutes les formes d’unions à plusieurs précitées sous peine d'inégalité entre époux, et priverait l'enfant de cette filiation que le mariage a pour but de désigner pour lui, car les mariages multiples ne désignent pas clairement un père à l’enfant.

Outre cette question de la filiation, on constate que les enfants, comme les femmes, souffrent de la polygamie : si l’époux a de quoi entretenir plusieurs logements, il ne peut être présent partout à la fois ce qui conduit, dans les faits, à des familles monoparentales avec des enfants éloignés de leur père. Ou alors, il n’y a qu’un seul logement pour tous, et les femmes et les enfants se trouvent ainsi contraints de cohabiter, ce qui ne va pas non plus sans mal. 

Si aux Etats-Unis, la principale religion concernée par la polygamie est la religion mormone, en France il s'agit de l'islam. Au regard de l'ampleur des mobilisations contre le mariage gay et des crispations actuelles autour de la religion musulmane, la société française est-elle prête à se lancer, à plus ou moins long terme, dans un débat sur la légalisation de la polygamie ? En quels termes le débat se poserait-il ?

Je ne sais pas si, aux Etats Unis, la principale religion concernée par la polygamie soit la religion mormone. Ce n’est pas parce qu’il y a eu un procès médiatisé concernant les mormons que la polygamie issue de l’islam n’est pas en cause.

Quoi qu’il en soit, un débat mené sur la seule polygamie serait incomplet. Il est certes possible de montrer les inconvénients de la polygamie en termes de liberté des conjoints, de respect de la femme et d’intérêt des enfants, sans compter les problèmes pratiques innombrables liés au mariage à plusieurs : imposition des époux multiples, au gré des mariages et divorces de l’un avec tel époux mais non tel autre ; exercice de l’autorité parentale par plusieurs adultes, jusqu’à la reconnaissance de parents multiples et plus ou moins éphémères pour l’enfant ; les difficultés en termes de logement etc.

Pour autant, la polygamie pose nécessairement la question du mariage lui-même. Si on persiste dans l’approche subjective du mariage qui est celle du mariage gay, la limitation du nombre des époux à deux est immédiatement ressentie comme ce qu’elle est, arbitraire : d’accord pour un mariage entre deux femmes, mais pas trois. Pourquoi ?

Le débat limité à la question du nombre des époux ne semble donc pas une solution viable pour protéger femmes et enfants de la polygamie. La solution est de rétablir le mariage, autrement dit renoncer au mariage gay. 

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