Réacs contre jeunes : la guerre des Enfoirés qui reflétait surtout le fantasme partagés par jeunes et vieux d’un monde dans lequel les individus n’auraient plus aucun combat à mener<!-- --> | Atlantico.fr
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La cuvée 2015 des Enfoirés fait polémique.
La cuvée 2015 des Enfoirés fait polémique.
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Clichés

La dernière chanson des Enfoirés "Toute la vie" écrite par Jean-Jacques Goldman a provoqué un tollé et s'est vu taxer sur les réseaux sociaux de "réac" et "anti jeunes". Une polémique qui reflète l'illusion selon laquelle le passé était pétri de causes à défendre, alors que notre monde d'aujourd'hui serait atone et sans idéaux.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : "Des portes closes et des nuages sombres, c'est notre héritage, notre horizon" ou encore "Vous aviez tout, paix, liberté, plein emploi. Nous, c'est chômage, violence et sida", estiment d'un côté les "jeunes". Dans quelle mesure ce constat est-il empreint de réalité et dans quelle mesure dresse-t-il un tableau plus noir qu'en réalité ?

Pierre Duriot : Il faut bien se remettre dans le moment exact des générations dont on parle. Les parents des jeunes qui protestent aujourd'hui n'avaient justement plus le plein emploi, vivaient de plein fouet la crise due aux chocs pétroliers, les près de trois millions de chômeurs sous Raymond Barre, avaient le SIDA dans sa phase la pire, celle du début, où on ne savait pas grand chose sur cette maladie et où la méfiance et la culpabilisation étaient de mise. La délinquance existait déjà, avec les trafics de drogue et la violence urbaine. Parallèlement, les droits des femmes étaient en cours d'acquisition et elles commençaient tout juste à investir des secteurs qui leurs sont naturels aujourd'hui, mais qui à l'époque n'allaient pas de soi. Il n'y avait ni téléphones portables, ni réseaux sociaux, ni jeux vidéo et sans doute moins de protection sociale que maintenant. Et le bac s'obtenait plus durement pour une proportion d'élèves bien plus faible que celle qui prévaut aujourd'hui. On confond allègrement, dans cette affaire, la génération des parents et celle des grands parents. Les grands parents furent effectivement la dernière génération du plein emploi, mais ils avaient aussi leurs problèmes, pas les mêmes que maintenant. La génération actuelle n'est pas comparable en termes correspondants : leurs problèmes sont autres et leurs avantages également. Ce qui a changé c'est la manière dont on a été éduqué et par voie de conséquence, la manière dont on fait face, dont on gère, dont on appréhende ces problèmes : la citoyenneté, le rapport aux autres, au travail et aux contextes. Les situations se valent en fait, mais les positionnements individuels et collectifs ont changé, parce que les éducations, les attentes, les moyens d'adaptation aux réalités ont changé.

"Tout ce qu'on a, il a fallu le gagner. À vous de jouer, mais faudrait vous bouger", estiment de leur côté les moins jeunes. Dans quelle mesure leur constat est-il juste ?

"Il faudrait vous bouger", pas sûr que cette injonction soit la bonne, mais elle est réaliste. Une bonne partie des jeunes, âgés aujourd'hui de 17 à 25 ans, sont justement ceux à qui on n'a pas appris à se bouger, pour la bonne raison qu'ils ont été comblés en tant que petits, parce que la mode éducative, l'air du temps, a voulu que ce soit ainsi. Comment en vouloir à des jeunes habitués, le plus souvent dans leur enfance, à obtenir à peu près tout, parce que c'est possible, sans délais et sans conditions, pour leur reprocher ensuite de ne pas mériter ce qu'ils demandent ? L'éducation qui a prévalu pour eux est aux antipodes de la société à laquelle on les confie une fois devenus adultes. A côté de cela, presque un quart de ces enfants a eu une vie précaire et ils arrivent déjà laminés dans une société qui objectivement, lamine les adultes. Entre les enfances trop gâtées et les enfances chaotiques, effectivement, l'accession au statut d'adulte socialement impliqué est difficile, ce que montrent tous les indicateurs sur les jeunes que nous avons à notre disposition. Les enquêtes PISA qui évaluent le niveau de compétences et de culture générale, ne sont pas à la hauteur des attendus. Les phénomènes de violence, d'alcoolisme, de drogue, d'addictions en tous genres, la mortalité routière chez les jeunes, leur taux de suicide, sont autant d'indicateurs tristement réalistes. Le taux de chômage des jeunes est un trompe l'oeil. Les entreprises ne font pas spécialement d'anti-jeune, elles recrutent les personnes qui leur permettent de gagner le plus d'argent possible et cela a toujours été ainsi. Les constats des ressources humaines sont sans équivoque. Ils n'embauchent pas quelqu'un qui arrive en retard, qui passe son temps le nez dans un téléphone, ne se plie pas à la discipline de l'entreprise, ne supporte pas les remarques, utilise son ordinateur de bureau à des fins personnelles... et ces attitudes sont les plus répandues, de manière graduée bien sûr. A qui la faute ? Oui, il y a du travail, tout le monde le sait, le vit, mais il ne faut pas trop le dire. Les sociologues ont défini des générations Y et Z, la preuve que les choses ont bien changé.

Ne passent-ils néanmoins pas à côté du fait qu'effectivement, le contexte leur était plus favorable qu'aux générations actuelles ?

Cette notion de contexte n'a pas vraiment de sens. Que penser des générations de jeunes d'après guerre, évoluant dans un contexte de reconstruction, de règlement de comptes, sans système de santé performant, paternaliste et sans beaucoup d'espoir pour les femmes hors mariage ? Chaque époque a ses avantages et ses inconvénients. Seules comptent les armes dont on dispose pour affronter la réalité et le constat le plus criant, à mon sens, est le peu d'armes que nous avons données à ces générations actuelles pour affronter les réalités. Nous avons sacralisé les enfants, nous les avons gavés de biens matériels, les avons couvés en même temps que nous leur avons imposé nos heures de travail, nos divorces, nos exigences scolaires forcenées... et pour éponger nos culpabilités, nous avons fait à leur place plutôt que de leur apprendre à faire comme nous. Comment s'étonner dès lors que cette société d'exigence, de mérite, de coercition, de performance et de mépris, ne corresponde pas aux jeunesses trop dorées ou trop dures que nous leur avons faites.

Entre les plus âgés qui "envient tellement" la jeunesse des plus jeunes et ces derniers qui idéalisent la situation de leurs aînés, ne sont-ils pas tous un fantasme d'une société dans laquelle il n'y aurait aucun combat individuel à mener ?

C'est l'éternelle équilibre entre ce que la société peut faire pour nous et ce que nous pouvons faire pour elle. Il y eut des générations qui se sont demandé ce qu'elles pouvaient faire pour leur société et d'autres à qui on a appris que la société allait se charger de tout. Mais aujourd'hui, l'état providence est à bout de souffle, pompé par une micro-caste dont les études économiques montrent qu'elle n'a jamais cessé de s'enrichir. Les écarts salariaux se sont creusés, les écarts de richesse sont devenus extraordinaires et le cycle travail/salaire/consommation est rompu pour de nombreuses raisons. Thésaurisation, évasion fiscale, failles dans la redistribution, ont retiré du circuit sociétal des masses d'argent colossales. A leur place, austérité, rabotage des trains de vie, précarisation et au final il faudrait faire preuve de beaucoup d'ingéniosité, demandée à des jeunes à qui, majoritairement, on n'a jamais appris cela. Pire, les armes nécessaires à la gestion des conditions de vie modernes sont réservées à un genre d'élite, qui a été éduquée, elle, de manière à maîtriser les ressorts de la navigation dans les eaux troubles du monde actuel. 20 à 25 % des personnes environ, qui objectivement maîtrisent l'activité, ont le pouvoir, au prix d'une perméabilité de moins en moins effective entre les couches sociales. Plus, ou beaucoup moins de phénomènes d'ascenseur social, plus de déterminisme en fonction du milieu : plus vous partez d'un milieu pauvre et moins vous avez de chance d'aller loin, et l'inverse.

Qu'est-ce que cela dit de notre société ?

Plusieurs choses ! Nous retournons à un système de castes, à une société cloisonnée avec la richesse et le pouvoir cantonnés à des catégories sociales particulières. Nous appréhendons les phénomènes sociaux à travers des prismes idéologiques et un système de dogmes matérialisés par des éléments de langage : réacs, fachos, richesse pour la France et tant d'autres... Les solutions apportées doivent l'être, non pas en fonction des réalités objectives, mais en fonction de ce qu'il est correct ou non de constater, de dire, ou de mettre en œuvre. Nous nous condamnons à vouloir solutionner des problèmes dont nous n'avons surtout pas le droit de dire l'énoncé. Pire, l'interdiction de dire le réel est l'un des mécanismes de construction de la psychose. Une petite fille violée par son oncle, à qui toute la famille demande de se taire, se construit dans la psychose. Le mécanisme est le même pour la société tout entière. L'interdiction faite par la loi, par le dogme, de dire les choses, donc de résoudre et de travailler à nos maux collectifs, se solde par l'hystérie soudaine autour d'une chanson, du « dérapage » à la mode, par des accès de violence brefs et intenses, par des déprimes collectives, des addictions, des phénomènes d'isolement, chacun son écran... Et devant ces phénomènes graves, gouvernants et médias ne « travaillent » pas, ils désignent les bons et les méchants, les jettent en pâture au public. Un jour c'est un écrivain, un autre, un animateur de télévision, un homme politique ou une communauté entière... un genre d'état pathologique global.

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