Rapport Sauvé : le courage de l’église de France <!-- --> | Atlantico.fr
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Un enfant de chœur tient une bougie lors d'une messe à Brest, le 27 mars 2021. Une commission indépendante a rendu son verdict dans un « rapport général » sur les abus sexuels au sein de l'Eglise.
Un enfant de chœur tient une bougie lors d'une messe à Brest, le 27 mars 2021. Une commission indépendante a rendu son verdict dans un « rapport général » sur les abus sexuels au sein de l'Eglise.
©FRED TANNEAU / AFP

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Selon les conclusions de la commission Sauvé, 330.000 enfants ont été abusés entre 1950 et 2020 par des clercs ou des laïcs. L'Eglise a décidé de mener un important travail sur ce dossier. Benoit XVI avait commencé à agir sur le sujet il y a plusieurs années. Cette mission et la rapport Sauvé pourraient permettre d'agir dans d'autres domaines comme au sein de l'Education nationale ou dans les clubs sportifs.

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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Je trouve l’Église de France extrêmement courageuse. Beaucoup d’institutions s’en tiendraient à cacher la poussière sous le tapis et c’est du reste ce qu’elle a fait pendant de nombreuses années. Mais on dirait que les temps ont changé.

Dieu sait que les chiffres du rapport Sauvé sur les abus sexuels dans l’Église depuis 1950 publiés hier (5 octobre 2021) ne prêtent guère à l’allégresse. Dieu sait qu’ils enterrent définitivement la thèse d’actes isolés commis par quelques brebis galeuses qui ne reflèteraient en rien une certaine réalité douloureuse de l’institution. Dieu sait qu’ils vont bien au-delà des prédictions les moins flatteuses et qu’ils constituent un véritable coup de tonnerre dans l’univers habituellement feutré des évêchés et des confessionnaux.

Ils décrivent en effet une « effroyable réalité »(mots du pape François), un « état des lieux particulièrement sombre » qui va des abus commis aux incroyables défaillances et aveuglements volontaires de l’Église face à cette situation qualifiée par les rédacteurs du rapport de « massive »,« systémique » (mais non organisée ou admise par l’institution) et « aggravée par la qualité des auteurs » (la qualité de religieux serviteurs du Christ). 

Mais l’Église a demandé le rapport, et après deux ans de travaux menés par une commission indépendante qui ne comptait aucun religieux en son sein, elle a pris connaissance de ses terribles conclusions en même temps que toute la France. Ce n’est pas agréable. Pour commencer, les anticléricaux invétérés vont pouvoir s’en donner à cœur joie. Discours moralisateur sur l’avortement et le mariage pour tous d’un côté, pédophilie et violences sexuelles de l’autre – qui pourrait encore croire que l’Église possède la moindre crédibilité, la moindre supériorité morale pour nous asséner sans fin ses vérités transcendantales sur la vraie vie ?

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Pourtant, si ce moment de choc et d’humiliation lui permet effectivement de prendre un nouveau départ sur ce sujet, si cela lui permet d’affronter certaines réalités, de s’ouvrir à la souffrance des victimes et de ne plus s’exclamer comme Mgr Barbarin à propos de l’affaire Preynat en 2016 « Grâce à Dieu, les faits sont prescrits ! » ou de ne plus atermoyer comme Mgr Lalanne sur la question de savoir si la pédophilie est un péché ou pas, eh bien je pense que l’Église sortira de cette épreuve grandie. Plus fidèle aux Évangiles et vrai témoin du Christ.

Les travaux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) présidée par Jean-Marc Sauvé sont d’autant plus intéressants pour l’ensemble de la société française qu’ils s’appuient sur une enquête en population générale portant sur 28 000 personnes représentatives commandée spécialement pour l’occasion à l’Inserm. Consciente de la difficulté d’évaluer précisément le phénomène étudié, la CIASE a cherché à vérifier la cohérence de ses résultats en croisant les évaluations quantitatives, les témoignages directs, les archives disponibles sur le sujet et les comptes rendus d’enquêtes similaires dans d’autres pays.

Il en ressort que le nombre de victimes mineures d’abus sexuels sur la période 1950-2020 se monterait à 5,5 millions de personnes au total, soit 10,7 % de la population majeure totale actuelle (51,4 millions), tous milieux de socialisation confondus. Premier d’entre eux, et de loin, le milieu familial (3,7 %), les amis de la famille (2 %) et les copains copines (1,8 %), soit environ 3,9 millions de victimes.

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Le milieu des personnes en lien avec l’Église (impliquant des clercs et des laïcs), quoique bien loin des niveaux observés dans le cercle familial et amical, jouit du douteux privilège d’être le premier parmi les autres milieux de socialisation sujets à des problèmes de pédophilie : 1,16 %, non pas de la population majeure totale, mais des personnes ayant été en contact avec les milieux catholiques dans leur enfance déclarent avoir subi des abus sexuels de la part de prêtres, de religieux ou de laïcs liés à l’Église.

Les taux de prévalence dans les autres milieux sont nettement inférieurs comme indiqué sur le schéma ci-dessous extrait du rapport de l’Inserm :

Concernant spécialement les agressions sexuelles sur mineurs commises par des religieux depuis 1950, l’enquête est arrivée à une estimation de 216 000 victimes, chiffre qui monte à 330 000 si l’on y ajoute les faits commis par des laïcs qui secondent l’Église dans ses activités :

Quant au nombre d’agresseurs, plus difficile à évaluer, il pourrait se situer dans une fourchette allante de 2 900 à 3 200 membres du clergé.

Mais 330 000 victimes ! Peut-être même plus car d’une part l’enquête ne tient évidemment pas compte des personnes qui sont décédées et d’autre part les sous-déclarations sont monnaie courante en ce domaine, sans compter que les victimes majeures à l’époque des faits ne sont pas répertoriées. Jean-Marc Sauvé était très loin de s’attendre à pareil chiffre. Avant l’enquête de l’Inserm, il parlait, sans certitudes, de 10 000 victimes sur 70 ans. On en est loin, d’où ces termes de « déflagration », de « séisme » qui reviennent sans cesse dans la bouche des responsables catholiques, passablement assommés, qui commentent le rapport.

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Pourtant, les scandales à répétition du début des années 2000, notamment en Irlande et aux États-Unis, auraient dû nous alerter sur une réalité qui existe, qui est largement documentée et qui a été prise à bras le corps par le Vatican dès cette époque, notamment par Benoît XVI, comme pape et avant cela en tant que cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Une réalité dont j’ai pris moi-même la mesure de près en voyant mon propre curé condamné en décembre 2015 à trois ans de prison dont deux avec sursis pour des faits de pédophilie remontant à plusieurs années.

Dans ces questions, écrivait Benoît XVI dans sa lettre pastorale aux catholiques d’Irlande en 2010, nulle « préoccupation déplacée pour la réputation de l’Église et pour éviter les scandales » ne saurait prévaloir sur le souci de protéger les victimes et de veiller à ce que ces événements horribles ne se reproduisent plus. Après le choc doit venir la compassion pour les victimes, la réparation si c’est possible, puis la volonté inébranlable de restaurer la gouvernance de l’Institution autour d’une seule parole, celle du Christ. C’est précisément le sens des recommandations du rapport Sauvé, et la seule voie à suivre dorénavant.

Parlons justement de gouvernance et de parole du Christ. Les conclusions du rapport Sauvé m’attristent profondément, mais en ce qui me concerne personnellement, le choc, la colère (et une certaine prise de distance, non pas avec l’Évangile, mais avec l’Église, je l’avoue) sont nés de l’affaire Jean Vanier (1928-2019) qui a éclaté au début de l’année 2020. 

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Jean Vanier a fondé (en 1964) l’association internationale « L’Arche » qui accueille des personnes ayant un handicap mental dans des lieux de vie partagée. Il n’était ni prêtre ni religieux, mais il a mené cette entreprise dans le prolongement de l’Eau vive, un cercle spirituel très en vue – et très bien vu des milieux catholiques intellectuels des années 1950 – fondé par le prêtre dominicain Thomas Philippe, sorte de mini-star charismatique en son milieu. Ce dernier sera aumônier de L’Arche.

Bref, ce qu’il faut comprendre, c’est que Jean Vanier, adulé partout, Légion d’Honneur et prix Templeton en bandoulière, faisait partie de ces témoins du Christ qu’on citait et qu’on honorait abondamment lors des séances de catéchisme. (Et moi, je fais le catéchisme à des élèves de 6ème et 5ème.)

En mai 2019, il décède. Hommages, prières, articles élogieux dans la presse, reprises de ses moindres paroles. Au catéchisme, on fait lire aux élèves la prière qu’il a rédigée pour qu’elle soit lue quotidiennement dans les foyers de l’Arche : 

« Ô Marie, donne-nous des cœurs attentifs, humbles et doux pour accueillir avec tendresse et compassion tous les pauvres que tu envoies vers nous. » Etc.

.
Quand j’y repense, j’en tremble de dégoût et de honte. Que de bondieuserie de la part d’un homme qui s’est finalement révélé aux antipodes de la pieuse image qu’il était parvenu à donner de lui.

Car quelques mois après sa mort, début 2020, tout change. Des accusations d’abus sexuels sous emprise sur des femmes adultes non handicapées mais vulnérables viennent s’ajouter à d’autres, formulées précédemment. Il ressort de l’enquête que Jean Vanier, exactement comme son mentor le père Thomas Philippe, étayait ses entreprises de séduction sur un discours mystico-sexuel qui consistait à dire à ses différentes proies que c’était Jésus qui les aimait à travers lui ou alors que ce n’était pas eux qui agissaient mais Marie et Jésus à travers eux.

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Le père Philippe avait même monté toute une théologie mariale alambiquée qui faisait dire à l’époque au philosophe catholique Jacques Maritain : « Cette manière de vouloir faire de la sainte Vierge l’épouse de son fils (…) m’exaspère et me scandalise. » Il était pourtant loin de se douter que le dominicain et son disciple Vanier comptaient aller jusqu’à l’application pratique la plus terre-à-terre. 

C’est pourquoi, aussi terrifiant soit-il, le rapport Sauvé fait presque figure à mes yeux d’événement libérateur. Enfin un vrai coup de pied dans la triste fourmilière de l’abus de pouvoir, l’ignominie et l’hypocrisie. Le premier jour de la nouvelle vie de l’Église de France commence aujourd’hui. On respire déjà mieux.


Pour compléter cet article, je suggère la lecture de Pédophilie : urgent, relire B16 publié ici le 8 avril 2016.

Cet article a été publié initialement sur le site de Nathalie MP : cliquez ICI

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