Ralliements de gauche, ralliements de droite : le macronisme 2022 parachève-t-il la recomposition de la vie politique française ou… sa décomposition ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Affiche collée par des sympathisants LREM et du mouvement "Les Jeunes avec Macron". Issy-les-Moulineaux, 18 février 2022
Affiche collée par des sympathisants LREM et du mouvement "Les Jeunes avec Macron". Issy-les-Moulineaux, 18 février 2022
©LUDOVIC MARIN / AFP

Centrisme

Emmanuel Macron a enregistré le ralliement de personnalités de droite comme de gauche, avec encore ce dimanche Marisol Touraine. Mais s’agit-il de la consolidation d’un pôle centriste ou de l’agglutination d’intérêts personnels dans le marais de la confusion idéologique ?

Benjamin Morel

Benjamin Morel

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

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Atlantico : Tout comme il avait réussi en 2017 à constituer un arc de soutiens allant de Robert Hue à Alain Madelin, Emmanuel Macron enregistre pour sa campagne 2022, le ralliement de personnalités venues aussi bien de la gauche que de la droite. Comment le président parvient-il à se montrer idéologiquement compatible avec des personnalités aux engagements aussi différents ?

Benjamin Morel : On a souvent tendance à taxer d’opportunisme ceux qui se rallient au macronisme. Auquel cas, l’idéologie n’a que peu à voir dans l’affaire. Mais c’est sans doute aller un peu vite en besogne. Il y a une vraie sincérité dans beaucoup de ces démarches. Il me semble y avoir deux piliers essentiels. D’abord, le macronisme est un écran blanc. On a beaucoup parlé d’ «en même temps». Ça rend peu compte de ce qu’est vraiment le macronisme. On l’a vu en matière économique, de sécurité, de sujet de société. Emmanuel Macron a envoyé beaucoup de signaux contradictoires et parfois changé radicalement de braquet. Sur le macronisme, vous pouvez projeter un libéralisme échevelé ou un étatisme rigoureux. Vous pouvez y entendre un discours communautariste ou clairement et fermement républicain. Comme les soutiens et les lieutenants incarnent par ailleurs ces différentes tendances, vous pouvez toujours trouver dans la Macronie un représentant qui vous ressemble. Avec l’ouïe sélective, il est donc toujours possible de se projeter sur cet écran blanc. Même si l’on n’est pas d’accord avec ce que fut le quinquennat d’Emmanuel Macron, il est toujours possible de saisir certains signes pour penser que son évolution sera favorable, et qu’il est donc raisonnable de parier dessus. Si au contraire on a été déçu de ce qu’il ne fut pas, après une période d’espoir, il est toujours possible de parier sur un retour aux sources. Le second point est lié. Si le macronisme représente un écran blanc sur lequel ses soutiens projettent leurs fantasmes, c’est par ce qu’il n’est pas une idéologique. Il se résume à un homme, et cet homme est capable d’apprendre et d’évoluer. C’est lié au fort charisme interpersonnel d’Emmanuel Macron qui donne à ses interlocuteurs l’impression d’une intelligence réelle sur laquelle il est raisonnable de parier. Or comme ils sont sûrs d’avoir raison, ils peuvent raisonnablement penser qu’il va finir par le reconnaître… Emmanuel Macron a la capacité de faire sentir qu’il entend et donc peut prendre en considération les remarques. Mieux vaut donc parier sur sa capacité d’influence sur le chef de l’État. Est-ce que le pari sera gagnant ? Nicolas Sarkozy dit « il m’entend, mais ne m’écoute pas ». Ils sont nombreux à le dire, mais peu en tirent la conséquence que le pari de l’influence est vain.  

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Que peut-on selon vous déduire des argumentaires déployés par lesdites personnalités pour justifier leurs choix ? Le macronisme est-il selon vous un pôle idéologique solide ou une écurie de talents et/ou d’intérêts individuels dans un paysage politique en pleine décomposition ?

Si cette stratégie de l’écran blanc est un succès et fait aimant, c’est surtout parce que le paysage politique est désolé. Il y a là deux conceptions assez complémentaires et stratégiquement intelligentes d’Emmanuel Macron. En captant des personnalités de l’ensemble du paysage politique, il rend plus difficile la recomposition d’une force alternative claire face à lui. À défaut de cette force, il devient le seul canal d’influence pertinent pour ceux pensant sincèrement à l’intérêt général, ou plus trivialement à leur carrière. D’une certaine façon pour certains hommes politiques installés, le dilemme se résume à Emmanuel Macron ou le chaos. S’opposer à Emmanuel Macron, mais pour proposer quelles alternatives ? Comme ce dernier manque d’une ligne claire, autant le soutenir et tenter d’influencer la ligne.  

Edouard Philippe, alors qu’il était à Matignon, avait décrit la situation de l’échiquier politique français en disant : la poutre joue encore. 2022 confirme-t-il de ce point de vue là que le clivage gauche droite a disparu au profit de l’installation d’un pôle central idéologiquement cohérent ?

Les identités politiques sont peu claires. Seuls 20 % des Français se disent de gauche. 35 % se disent de droite… mais la droite aurait tort de s’en réjouir, car cela témoigne surtout d’une sociologie plutôt âgée à l’identité politique plus ancienne. Dans les enquêtes le nombre de personnes se disant centristes est important, mais ça ne signifie pas grand-chose. Le centre est une valeur refuge quand les individus ne savent pas où se placer sur l’échiquier. On n’assiste pas non plus clairement à une structuration entre centristes issus des CSP+ et vote populaire issu des CSP — . On voit qu’une partie de la bourgeoisie traditionnelle se retrouve chez Zemmour alors qu’une partie de la gauche « bourgeoise bohème » vote clairement Mélenchon. LREM et le RN sont les formations incarnant le mieux une forme de vote de classe, mais elles n’ont pas réussi à structurer à elles deux le paysage politique. À ce stade, la recomposition de l’échiquier n’est donc qu’ébauchée. Si l’on regarde ce qui se passe chez nos voisins, on fait le même constat. On note toutefois des modèles qui semblent avoir retrouvé une forme de stabilité, peut-être temporaire. Certains ont retrouvé une opposition droite/gauche comme la Grande-Bretagne. D’autres se structurent autour ou contre un grand bloc libéral-conservateur comme la Hongrie. Toutefois, cette crise du clivage travaille l’ensemble des États occidentaux. 


Le Saint Simonisme et la mise en avant de démarches pragmatiques plutôt que d’engagements idéologiquement forts sont-ils l’avenir de la démocratie française ? Et faut-il s’en réjouir au nom d’une supposée efficacité ou s’en inquiéter dans la mesure où la représentation politique ne canaliserait plus que très partiellement la diversité des opinions et des intérêts des Français ?

Je ne pense pas qu’il faille s’en réjouir, et ce pour trois raisons.  

D’abord c’est une illusion. La politique, ce n’est pas la raison technique. La politique, c’est le débat sur des valeurs, des choix de société qui ont des implications techniques. La retraite à 60 ans par exemple (je fais un peu de provocation). Est-ce bon pour nos comptes sociaux ? On peut rationnellement dire que non. Toutefois, il s’agit aussi d’un choix de société. Faut-il partir plus jeune et en bonne santé ? Ne peut-on pas être productif autrement en tant que retraité ? Peut-être, peut-être pas ? Si l’on juge que c’est nécessaire, comment fait-on pour le rendre possible budgétairement ? Ça implique des sacrifices ailleurs. Si ce n’est pas ce que nous voulons, alors comment faire pour que notre régime soit à l’équilibre ? Tout d’un coup, les deux dernières questions ne portent plus sur le fondement de la décision politique, mais ses moyens. Elles deviennent techniques et cessent donc pour partie d’être politiques. Or, justement, nous devons avoir d’abord une approche politique de ces sujets.  

Ensuite, car, en donnant le sentiment qu’il y a un camp de la raison, on pousse ses opposants à se réfugier dans la déraison. La montée en puissance des fake news, des chiffres fantaisistes, des théories du complot est aussi dû à ce verrouillage du débat public. Je parle politique, on me répond un chiffre. Il n’y a pas d’alternative, donc, à une situation que je trouve inacceptable. Deux réactions, soit je me résigne : après tout, on m’a dit qu’il n’y avait pas d’alternative, alors pourquoi voter. Soit je remets en cause ce qui m’est dit sur le terrain de la rationalité. 

Enfin, cela crée le sentiment que l’alternance est impossible. Si c’est une rationalité technocratique qui gouverne, alors il faut rompre le cadre. D’où des révoltes de type gilets jaunes qui sont d’abord de volonté de retrouver une marge de manœuvre et une demande de souveraineté par la reprise de contrôle d’un État vu et perçu comme confisqué.  

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