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Rafale de chiffres contradictoires sur l’économie française : docteur, ça va mieux ou ça va mal ?
©Reuters

Diagnostic

Quels que soient les résultats économiques communiqués par l'Insee et d'autres structures, un seul constat s'impose : le niveau de croissance de la France reste faible depuis la sortie de crise. Une situation due à la baisse du poids de l'industrie et à un développement insuffisant de certains secteurs, et que ne parvient pas à compenser le secteur des services dont la croissance est pourtant au beau fixe selon l'indice PMI Markit.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Alors que l'Insee annonce une "contraction" de l'économie française au deuxième trimestre, le score PMI Markit obtenu par la France, qui mesure les intentions d'achats des entreprises, voyait un indice élevé de 53,3 points pour septembre, soit le meilleur depuis quinze mois. L'économie française est-elle en voie de rémission ou de recul ? Pourquoi ces deux indicateurs donnent-ils des tendances opposées ?

Jean-Paul Betbeze : La contraction annoncée par l’Insee au deuxième trimestre est très modeste : -0,1% par rapport au 0% annoncé. Ce qui s’est passé, c’est que le revenu des ménages a ralenti, en liaison avec le ralentissement de la masse salariale (0,3% après 0,4%). Ce qui est plus ennuyeux, c’est que l’excédent brut d’exploitation par rapport à la valeur ajoutée (le taux de marge des entreprises) baisse ce deuxième trimestre de 0,4%. Il passe de 32,1% à 31,7%, ce qui peut peser sur l’investissement dans le futur. Ce n’est pas pour autant que les prévisions pour l’année sont à abandonner. L’acquis de croissance (autrement dit la croissance pour 2016 sans progression du PIB aux troisième et quatrième trimestres) reste de 1,1%.

Or la croissance continue, comme l’indique l’indice Markit. Pour ce dernier, en effet, "la croissance de l’activité du secteur privé affiche son plus haut de 15 mois en septembre". Ce sont les services que l’on retrouve derrière cette amélioration, compensant la stagnation qui continue dans l’industrie manufacturière. Cette situation française est d’ailleurs bien différente de ce que donne ce même indice Markit pour la zone euro. Il montre en effet que "la croissance économique de la zone euro ralentit en septembre et affiche un plus bas de 20 mois". Sans parler d’exception française, il y a chez nous une correction qui se met en place. D’abord, le premier trimestre a été très fort et a conduit sans doute à une augmentation jugée trop importante des stocks. Ceux-ci se normalisent. Ensuite, dans une économie comme la nôtre, très liée aux services, ils permettent un niveau d’activité qui est en fait assez stable, par rapport à l’industrie.

Dans quelle(s) tendance(s) longue(s) ces phénomènes s'inscrivent-ils ?

Cette tendance longue est problématique. D’un côté, la croissance que nous manifestons depuis la sortie de crise est faible. Tout se passe comme si nous n’arrivions pas à retrouver le rythme antérieur, autrement dit comme si notre croissance potentielle avait diminué. De fait, ce qui se passe dans l’industrie et dans l’investissement, toujours faible, renforce cette thèse. Plus grave, l’économie servicielle n’arrive pas à prendre le relais. Il s’agit ici du rôle moteur que pourraient jouer les nouvelles technologies d’information et de communication, non seulement pour rendre nos activités privées plus efficaces, mais aussi notre administration.

Nous ne savons pas vers quel modèle nous orienter. La baisse du poids de l’industrie, régulière depuis des années et qui représente aujourd’hui 11% de la valeur ajoutée contre 15% en 1985 et contre 22,6% aujourd’hui en Allemagne, nous interroge. Faut-il réindustrialiser la France, ce qui implique à la fois plus de recherche, donc plus d’investissement, donc plus de marges encore ? N’oublions pas que le taux de marge, actuellement de 31,7% en France, est de 36% en Allemagne. Ce choix stratégique doit être expliqué pour mobiliser les énergies bien plus qu’aujourd’hui.

Mais il ne suffira pas, si on ne développe pas aussi les nouveaux secteurs porteurs de croissance. Les start-ups ne peuvent vivre qu’avec des business angels. Ceci implique que l’on abandonne l’impôt sur la fortune, pas seulement pour les 5 milliards qu’il représente, mais plus encore pour le symbole très négatif qu’il donne.

Au total, de trimestre en trimestre, avec des hauts et des bas, la France semble s’engager dans une croissance plus faible que celle qu’elle connaissait auparavant. Si tel est le cas, il lui sera difficile non seulement de respecter ses engagements budgétaires, ce qui fera monter ses taux longs, mais plus encore de faire baisser son niveau de chômage. Il n’y a pas de croissance forte sans plus de marge pour investir davantage dans l’industrie et dans les nouveaux services, avec les explications qui s’imposent.

Si les attentats ont pu porter au second rang les attentes en matière économique, le débat de 2017 abordera le bilan économique du quinquennat Hollande. Est-il possible d'évaluer (et dans quelle mesure) l'impact du gouvernement actuel sur ces résultats ?

Pour le prochain quinquennat, deux objectifs fondamentaux sont à mettre en avant, et il n’est pas sûr qu’ils figurent dans les programmes. Le premier est celui de l’augmentation du potentiel de croissance français. Le second est celui de ne pas seulement parler de bilan de quinquennat, mais aussi de "hors bilan".

En matière de potentiel, si la France s’installe dans une croissance trop faible, elle ne va que rencontrer des difficultés plus grandes. C’est là une affaire de pédagogie. Il ne s’agit pas de soutenir la demande à court terme en réduisant les impôts sur les ménages aux plus bas revenus ou d’instaurer un crédit d’impôt pour que les retraités non imposables puissent bénéficier de services à la personne. Cette politique budgétaire est surtout politique, tout court. Elle n’aide pas à renforcer la croissance future.

Parler de "hors bilan" est obligatoire, d’autant que ce sujet n’est jamais abordé. Ainsi, quand on souhaite arrêter Fessenheim, il faut automatiquement inscrire les dettes futures que ceci implique. Même chose pour les décisions écologiques que nous prenons. Toute décision s’inscrit dans la durée. Elle veut permettre plus de croissance, encore faut-il la mesurer. Elle implique en tout cas plus de dette, qu’on ne prend pas en compte. Demander ainsi à nos divers candidats un programme qui ne se fonderait pas seulement sur leurs hypothèses de croissance - à vérifier - mais plus encore sur le bilan et hors bilan qu’ils ont en tête à la fin de leur quinquennat serait un vrai progrès.

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