Conséquences de la Covid-19
Radioscopie du sévère impact de la pandémie sur les jeunes Français
Selon les données du portrait social de l’INSEE, en quatre vagues, l’épidémie de Covid-19 a causé 116 000 décès en France et lourdement affecté le système de soins. La santé mentale s’est dégradée, notamment chez les jeunes adultes.
Atlantico : Premier portrait social décryptant le quotidien de ceux qui ont vécu depuis deux ans avec le Covid, votre étude est teintée des conséquences de la crise sanitaire. À quel point ce portrait a-t-il des caractéristiques « Covid » ?
Sylvie Le Minez et Emilie Raynaud : Pendant tout un temps, nous nous sommes demandés combien il y avait eu de décès en plus sur cette période. Notre travail propose une estimation de l’excédent de décès sur 2020 et le premier semestre 2021 par rapport aux décès auxquels on aurait pu s’attendre, compte-tenu du vieillissement de la population et de la baisse de la mortalité aux âges élevés. Au-delà de cette estimation, l’estimation de cet excédent de décès par rapport à l’attendu selon l’âge des personnes est très instructif. Les décès des personnes les plus âgées (95 ans et plus) s’avèrent ainsi inférieurs à ce qui était attendu pour la période correspondant à la troisième vague, en raison des effets de vaccination et des effets de moisson. Ceux des 85-94 ans se situent aussi dans la moyenne des décès attendus lors de cette troisième vague, alors qu’ils étaient supérieurs pour les deux premières vagues... Nous avons aussi vu que les personnes nées à l’étranger ont connu une surmortalité, cela renvoie sans doute au fait qu’elles sont en moyenne plus pauvres et vivent dans des zones urbaines concentrées, notamment en Île de France, ce qui peut expliquer la situation. Sur la santé aussi évidemment, tout est très Covid. On raconte l’histoire depuis le début de pandémie, l’augmentation des hospitalisations, leur durée, tous les comportements de préventions dont des dépistages, etc. Puis dans une deuxième partie les effets sur le système de soin. Nous avons aussi renseigné la consommation d’anxiolytiques, d’hypnotiques et d’anti-dépresseurs et tous les problèmes de santé mentale que cela révèle. Et notamment leur forte prégnance chez les jeunes.
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A quel point est-ce prégnant chez les jeunes ?
Sur les jeunes, la mesure des symptômes dépressifs augmente fortement. Elle concernait 10% des jeunes de 18 à 24 ans, soit un niveau équivalent au reste de la population, en 2019. Ce chiffre a doublé en 2020. 22% en mai 2020 et 19% toujours en octobre novembre 2020 là où les chiffres diminuent pour les autres classes d’âge. C’est la première fois que le jeune âge est associé à des syndromes dépressifs avec une ampleur aussi forte et aussi significative. Les jeunes sur le marché de l’emploi sont souvent les plus touchés par les crises économiques, mais la crise est sanitaire et elle a aussi touché les étudiants, dans leurs conditions d’apprentissage et de conditions de vie. Le nombre de bénéficiaires des aides ponctuelles du CROUS qui préexistaient à la crise et qui permet les comparaisons, a par exemple augmenté en 2020 et il reste en 2021 à un niveau plus élevé qu’avant crise. La crise a touché de manière différenciée les classes d’âges et les catégories sociales puisque pour les plus âgés la problématique a surtout été celle de la mortalité. Il y a une fracture générationnelle, mais les fractures sont multidimensionnelles. On attend également de pouvoir explorer plus avant les conséquences sur les familles monoparentales.
A quel point les problématiques sont-elles pérennes ?
Certains indicateurs s’améliorent heureusement. Pour les jeunes adultes, l’insertion s’est compliquée en 2020 mais les chiffres du marché du travail en 2021 sont beaucoup plus positifs. Au troisième trimestre 2021, le taux d’emploi des jeunes est très dynamique et dépasse même son niveau d’avant crise. Concernant la santé mentale il est trop tôt pour évaluer les conséquences à moyen ou long terme. Il en va de même pour les déprogrammations médicales. Néanmoins plusieurs indicateurs montrent que le revenu moyen a été maintenu, que la pauvreté monétaire a été relativement stable en 2020 (en sachant que l’on couvre mal les jeunes ou les personnes vivant en communauté). Les indicateurs macro se sont en moyenne plutôt redressés.
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Que nous apprend votre portrait social de la France sur la natalité ?
Sur la natalité on est allé jusqu’en mai 2021.Nous avons vu une grosse baisse des naissances dès l’hiver qui n’était pas compensée au printemps, même s’il y a eu un rebond des naissances. Nous avons sorti, dans une autre publication (très récente, le 29 novembre), les chiffres des naissances jusqu’à octobre 2021. Nous constatons, et on ne s’y attendait pas, un rebond très important des naissances à l’été, qui se poursuit en septembre et en octobre, à tel point qu’on est à peu près au même niveau de naissances que 2020. Lors des épisodes de grippe très meurtriers du siècle, on a constaté un effet transitoire sur les naissances, et une baisse ponctuelle des naissances moins marquée qu’à l’hiver 2021-2021.
Sur les naissances, ce que l’on a vu, c’est que ce sont au départ les femmes les plus jeunes ou les plus âgées (moins de 30 ans et plus de 40 ans) qui ont mis moins de bébé au monde. La fécondité a ensuite repris pour les plus âgése, peut être en raison de l’horloge biologique. Pour les jeunes ce n’est pas le cas. Puisque pour ces personnes c’est souvent le premier enfant, il peut y avoir un effet de la crise sanitaire mais aussi de la situation économique. Il est toujours difficile de savoir exactement quel facteur joue sur la natalité mais les auteurs montrent qu’il y a une baisse de la natalité à l’hiver 2020-2021 très nette dans les départements les plus touchés par la mortalité Covid (Hauts de France, Grand-Est, Ile de France, Bourgogne-Franche-Comté), accentuée lorsqu’ils étaient aussi touchés par la crise économique en raison de secteurs d’activité particulièrement touchés. La baisse de la natalité est aussi plus forte dans les communes les plus pauvres et dans les zones urbaines les plus denses
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Y a-t-il d’autres surprises dans ce dossier ?
Notre travail confirme des constats que l’on pressentait, par exemple sur la surmortalité. Celle des personnes âgées, des hommes, des personnes nées à l’étranger. Et le constat que la mortalité s’est réduite pour les plus âgés des plus âgés grâce au vaccin et à la moisson à partir de la troisième vague
Comment s’est traduite la pandémie sur le marché du travail ?
Notre travail permet de voir de manière plus détaillée les différentes trajectoires selon les secteurs d’activité. On remarque cinq grandes trajectoires, avec cinq grands groupes de profession que l’on observe suivant les critères d’heures travaillées ainsi que de travail à domicile. Le premier groupe est celui des métiers de première ligne, ceux dont l’activité s’est maintenue sur site toute l’année : les métiers de la santé, ceux du nettoyage. On observe deux autres groupes qui représentent environ 40% des emplois pour lesquels l’activité a résisté grâce au travail à domicile, cela concerne notamment les cadres et les métiers de services aux entreprises. Les deux derniers groupes sont ceux pour qui il y a eu une baisse de l’activité. Le premier d’entre eux est marqué par une chute au premier confinement avant une reprise de l’activité sur site (industrie, transport, construction). Le second est le plus touché, celui qui a eu un recul de l’activité toute l’année (hébergement restauration, certains services comme les garagistes, coiffeurs ou taxis). Dans cette dernière catégorie les jeunes sont surreprésentés.
Concernant les jeunes nous avons aussi des données plus anciennes grâce à l’enquête ENRJ de l’Insee et la Drees (ministère des solidarités et la santé) sur les emplois d’appoint des étudiants, les secteurs dans lesquels ils travaillent le plus souvent, qui souvent sont ceux touchés par la crise Covid, et sur la part que représentent les revenus du travail dans leurs ressources. Cela apporte des éléments chiffrés qui permettent de comprendre pourquoi la pandémie actuelle est aussi difficile pour les jeunes.
L’essayiste Maxime Lledo a écrit a propos des jeunes pendant la crise sanitaire un livre sur la « Génération fracassée ». Diriez-vous que cela décrit avec justesse la situation des jeunes ?
Les situations des jeunes sont très hétérogènes entre ceux qui sont en emploi, au chômage, ceux qui sont encore étudiants, les étudiants qui ont vraiment besoin d’un emploi d’appoint et ceux qui peuvent s’en passer. Presque tous les étudiants sont aidés par leurs parents, quoi qu’il arrive, y compris ceux qui ont des petits revenus. Mais entre les milieux sociaux d’origine, la capacité à aider, la situation des parents, les situations sont très diverses. Là aussi les plus précaires sont probablement les plus touchés. On voit des effets négatifs sur la santé mentale, sur la confiance en l’avenir qui s’est dégradée pour tous mais il y a des situations très variables et « fracassé » est un grand mot un peu global.
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