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Racisme en France : mais pourquoi noircir autant la réalité du tableau annuel dressé par la Commission nationale des droits de l’Homme ?
©Thomas SAMSON / AFP

Impact sur l'opinion

Selon le rapport annuel sur le racisme publié par la CNCDH, la France serait de moins en moins raciste mais les minorités seraient en revanche particulièrement discriminées. Human Rights Watch dénonce dans un rapport "des contrôles de police abusifs et racistes" en France.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico.fr : Le rapport annuel sur le racisme publié par la CNCDH montre une France de moins en moins raciste mais parle de minorités qui seraient particulièrement discriminées, particulièrement celle des personnes noires. Il n’y a-t-il pas là un paradoxe ?

Guylain Chevrier : L’indice longitudinal de tolérance qui sert à mesurer l’évolution des préjugés, publié par la CNCDH, reste très bon selon l’institution, en se stabilisant autour de 66 points sur une échelle de 100. Sa moyenne intègre la tolérance à différentes populations, à l’égard des noirs, des juifs, des maghrébins, des musulmans, des roms. Concernant les personnes noires, l’indice est le plus fort avec un résultat de 79%. Pourtant, on nous dit qu’elles seraient victimes de discriminations massives. De quoi parle-t-on ? De 49,9% de ces personnes qui auraient « ressenties » des discriminations au travail selon le Défenseur des droits. Le monde du travail serait ainsi à 50% raciste ? Mais selon quels éléments tangibles d’évaluation l’intention raciale ici peut-elle être avec certitude retenue ? On ne le saura pas. Toute remarque à une personne de couleur pourrait ainsi être interprétée par elle légitimement comme relative à sa peau, selon son seul ressenti. On s’imagine les contentieux que l’état d’esprit qu’induit une telle étude peut préparer. On nous dit encore par exemple, qu’une personne noire a 32% de moins de chances d’avoir un logement, selon un testing national. Mais qu’a-t-on testé ? Pas les logements sociaux en tous cas, qui sont de façon quasi systématique aujourd’hui réservés à des personnes en difficulté sociale, souvent immigrées et donc, pour une large part au regard de l’immigration accueillie, à des familles ou personnes noires. 56% des descendants d’immigrés des pays d’Afrique subsaharienne ressentent un sentiment d’injustice scolaire, nous dit-on. L’explication nous en est donnée en faisant parler symboliquement une figurine noire : « les programmes scolaires mettant en avant notre héritage national, notre civilisation ne montrent pas ce que les gens de ma couleur ont fait »… Nous sommes en pleine promotion du relativisme culturel et du différentialisme. On nous dit que les personnes perçues comme non-blanches ne comptent que pour 17% dans les médias. Mais il en faudrait combien pour satisfaire cette étude ? Une dernière enquête du CSA présente les choses de façon bien différente : Si les personnes « perçues comme blanches » restent majoritairement représentées (83%), on note cependant une augmentation de deux points de la représentation des personnes « perçues comme non-blanches » par rapport au baromètre 2016 (17%), et surtout, avec une augmentation de la représentation des personnes perçues comme noires (50% en 2018 contre 45% en 2016). Il existe donc un processus qui favorise ici les progrès de l’intégration et par là-même, de la non-discrimination. Quoi y trouver à redire ? Sinon à vouloir entrer dans une logique de quotas désastreuse, dans le prolongement d’un droit des minorités qui pousse aux séparations et va en sens contraire de nos valeurs et principes républicains.

Ce « Focus sur le racisme anti-noirs » est ô surprise introduit par une drôle de théorie raciale. Sous le titre « Un racisme hérité des traites négrières et de l’esclavage » on nous dit que  « Ce focus a mis en évidence la prégnance de biais racistes issus de la période coloniale, perdurant dans une société qui condamne pourtant ouvertement le racisme. (…) Cette pensée héritée de l’histoire coloniale crée parfois un sentiment de division entre une identité noire et une identité française marquée par une norme blanche qui les infériorise. » Et encore, « Comme le suggèrent certains universitaires, les blancs devraient travailler à comprendre ce que les personnes noires subissent et mettre fin à un processus dont ils sont eux-mêmes acteurs, parfois inconsciemment. » On croirait ce texte directement dicté par Rokhaya Diallo, cheffe de file du courant de pensée des indigénistes et des décoloniaux. On comprend mieux soudain ce paradoxe, d’une tolérance mesurée des Français jamais aussi bonne d’un côté, et de l’autre, la désignation de ces derniers comme minés par le racisme. Mais quelle société recherche-t-on derrière une telle démarche de la CNCDH ? Chacun jugera de la responsabilité de ce que nous expose cette institution, au regard de l’évolution actuelle, alors que des groupes agressifs, antirépublicains et anti-laïques s’alimentent à ce type ce procès en racisme de la France, pour semer le désordre.

Pour couronner cette démarche on nous parle d’« un chiffre noir », calculé pour donner une mesure des actes non-déclarés. Evalués essentiellement sur un mode subjectif, par une enquête en victimisation recueillant auprès des ménages et des individus « leur perception » des infractions dont ils ont pu être victimes. S’y ajoutent les contributions des acteurs associatifs luttant contre le racisme. Le « contentieux » en racisme serait ainsi « largement sous-estimé », avançant le chiffre énorme de 1,1 millions de personnes concernées…  Pourtant, selon la CNCDH elle-même, 6107 personnes seulement sont mises en cause dans des affaires de discriminations, dont environ 10% sont condamnées. On cherchera longtemps comment un tel écart est possible, qui n’a d’équivalent dans aucun domaine, sinon à le replacer dans le contexte de la grille de lecture racialiste qui génère ce rapport.

La CNCDH retient aussi le concept d’Islamophobie dans ses références, dont on sait le pouvoir de confusion, sortant de la notion d’actes antimusulmans pour induire une présomption de racisme au regard de toute attitude critique envers l’islam. C’est l’invitation à une atteinte à la liberté de pensée et d’expression, qui confine au délit de blasphème.

Le rapport d'Human Rights Watch, basé sur 91 témoignages, suffit-il à institutionnaliser le racisme policier en France comme aux États-Unis ?

« Dans les quartiers défavorisés, où les personnes d’origine immigrée représentent une part significative de la population, Human Rights Watch estime que la police se sert des contrôles d’identité comme d’un moyen brutal d’exercer son autorité. » Cette synthèse des résultats de ce rapport, qui parle aussi de "contrôles abusifs et racistes" de jeunes noirs et arabes, souvent mineurs, n’est pas sans conséquences. Ceci, alors que la police est déjà en France au centre d’un procès en racisme.

De quoi s’agit-il ? L’ONG a, d’avril 2019 à mai 2020, dans différentes villes de France, réalisé 91 interviews : 48 enfants et adolescents et 43 adultes, jeunes pour la plupart. A Lille, Abdul 18 ans, raconte un contrôle par quatre policiers lui barrant la route alors qu'il se rendait à son entrainement de karaté. « Un agent a retourné mon sac sans prévenir et jeté toutes mes affaires au sol. J'avais vraiment la haine, je lui ai demandé : Pourquoi tu fais ça ? Je me suis mis à quatre pattes pour ramasser mes affaires. Quand je me suis relevé, un policier m'a poussé contre la voiture, il m'a écarté les jambes et m'a touché partout », témoigne le jeune homme. A Paris, Dabir, 15 ans déclare avoir été contrôlé avec sa bande de copains devant un supermarché, contrôle durant lequel les agents « ont touché les poches de tout le monde, sauf du (garçon) blanc… Ils ont vérifié si notre téléphone était volé ou non.».

Mais que valent ces témoignages recueillis sans autre méthode que de rechercher des candidats qui puissent les faire, avec une intention de départ qui valide par avance tout ce qui va dans le sens du but que l’on recherche ? Une méthode qui est tout le contraire de la moindre déontologie en la matière, qu’aucune cause aussi juste soit-elle ne saurait justifier. Il n’est pas question d’avancer que tout est faux ici, mais on ne peut que s’interroger sur un rapport qui relève d’un unilatéral parti pris. Voyons à travers un exemple l’examen de la notion d’objectivité des faits. Lors de la dernière manifestation pour la défense de la santé, une manifestante a été arrêtée par la police de façon assez ferme, scène qui a été filmée. Si on en était resté là, on aurait pu penser à de la brutalité policière. D’autres images heureusement sont venues montrer que cette manifestante avait l’instant d’avant jeté des projectiles sur la police et fait des doigts d’honneur. On voit bien le risque encouru, s’il avait manqué cette partie de la scène qui motive l’action de la police. Si on avait eu affaire à un jeune de quartier, sans les images révélant la cause de cette arrestation, l’ONG aurait certainement eu affaire à un témoignage criant à la violence gratuite et au racisme. On voit combien ces témoignages qu’on nous présente peuvent être fragiles.

Pourquoi concernant ce rapport, on ne s’est nullement intéressé à chercher à rencontrer les policiers mis en cause ou leurs collègues, pour dialoguer avec eux et recueillir leur point de vue ? Pourquoi n’a-t-on cherché à trouver des témoignages de contrôles de police qui se sont bien passés, et recueillir ainsi des bonnes pratiques dont l’ONG aurait pu s’inspirer pour faire des propositions intégrant les policiers eux-mêmes ? Ce qui aurait été favorable à ce qu’elle dit souhaiter : « Lutter contre ces abus et ces injustices » pour « rétablir une relation de confiance, notamment dans les quartiers populaires. » Mais cette présentation à charge et sans nuances, est-elle bien faite pour réconcilier qui que ce soit ? L’ONG internationale a tendance à plaquer à tort une vision très discriminatoire des forces de l’ordre, qui correspond sans doute à une réalité aux Etats-Unis, sur une police républicaine qui est un service public, dans un pays n’ayant jamais connu la ségrégation.

L’ONG demande que les représentants de l’Etat condamnent « publiquement le profilage ethnique ou contrôle au faciès » Mais le problème, c’est cette notion elle-même de « contrôle au faciès », faisant que tout contrôle de personnes non-blanches en fait potentiellement les victimes d’une intention raciste. Elle instaure une logique d’amalgame, autant qu’elle essentialise défavorablement la police. Il y a près d’un quart des écroués qui en France sont étrangers, et si on remonte à la nationalité des parents des écroués français, les chiffres s’envolent. Donc, si on ne doit pas cibler systématiquement les mêmes personnes, on ne saurait évacuer une vigilance vis-à-vis de toute personne, y compris celles-ci.

Dans le prolongement d’une dénonciation du caractère discriminatoire des contrôles au faciès, ce rapport dit mettre en lumière « un angle mort de cette problématique qui touche les enfants ». L’ONG demande qu’on réforme la législation pour « réglementer l’exercice des pouvoirs de contrôle et de fouille par les forces de l’ordre lorsque des enfants sont impliqués » Ceux qu’on appelle ici des enfants, n’attendent pas pour certains leur majorité pour verser dans la délinquance. On sait parfaitement aujourd’hui, que celle-ci concerne des individus de plus en plus jeunes, le type guetteur n’a quasiment plus d’âge dans une cité. On voit combien la charge est à sens unique et tend à déposséder la police de sa capacité à agir. Ce sont 140.000 mineurs qui sont concernés par la protection judiciaire de la jeunesse.

Si on veut avancer sur ces questions, puisqu’il existe des situations révélées au sein de la police où le racisme sévit, comme un réseau social interne récemment mis à jour en témoigne, ce que l’on doit condamner sans retenue, il faut absolument prendre les choses autrement, au lieu de jouer aux uns contre les autres, comme cette ONG le fait.

Comment ces rapports influencent-ils le regard de l'opinion sur les questions discriminatoires ? Vers quoi va-t-on ?

On ne peut que constater ici la tendance à une victimisation sur le fondement des différences, ethniques, religieuses, de couleurs, qui souffle dans le sens d’une légitimation d’une lecture raciale de notre société en lieu et place d’une lecture sociale. C’est une rupture avec ce qu’est la France, avec cette république laïque et sociale, égalitaire, qui l’identifie.

Cette évolution tient à l’influence des instances internationales comme l’ONU, qui donne une tonalité à la question des Droits de l’Homme et des droits humains, qui n’est plus celle de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, et donc de l’égalité entre les individus, mais du Pacte international des droits civils et politiques, centré sur les droits des minorités comme seule réalité, qui est aujourd’hui l’outil unique d’inspiration du Comité des droits de l’Homme qui y est attaché. En réalité, se joue derrière ce changement un combat de modèle, car cette orientation se fait sous l’influence d’une domination de la conception multiculturelle de l’organisation sociale propre à une vision anglosaxonne des droits.

Les instruments de mesure des discriminations, de la CNCDH à Human Rights Watch, ignorent volontairement l’influence de la problématique des classes sociales dans cette lecture des discriminations, sur lesquelles tous les problèmes sont rabattus pour ne nous faire plus penser qu’en termes de différences mises en concurrences, tout semblant pouvoir s’expliquer par « la race ». Selon l’étude du CSA déjà citée, on constate à l’écran une surreprésentation des catégories socioprofessionnelles supérieures (CSP+), soit 74%, alors qu’ils ne représentent que 27% de la population française. Seules 0,7% des personnes qu’on y voit sont en situation de précarité. Les ouvriers et les employés sont quasi inexistants. Ce que le mouvement des Gilets jaunes a souligné à sa façon. On voit ici combien les classes sociales comptent pour comprendre les enjeux de promotion sociale, des places de chacun au regard de l’idée de justice sociale, bien plus que les différences identitaires. Une personne blanche peut être sous-diplômée, et une personne noire faire partie des catégories supérieures. La lecture raciale ne fait que brouiller les cartes.

L’augmentation de 130% des faits racistes et xénophobes en 2019, selon le bilan annuel du ministère de l'Intérieur, est attribuée principalement à « une montée des extrémismes identitaires » Ainsi, à ce jeu où tout semble aujourd’hui pouvoir s’expliquer par « la race », avec une France en procès permanent en discrimination, on risque de voir l’évolution positive soulignée par la CNCDH au regard de l’indice longitudinal de tolérance, finir par se gripper, et faire retomber notre pays dans des travers dont la République lui a permis justement de s’émanciper. Tout faux !

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