Qui veut gagner des années ? Tout ce à quoi nous sommes prêts à croire pour ne pas vieillir<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
"Biologiquement, l’être humain a un potentiel de vie illimité"
"Biologiquement, l’être humain a un potentiel de vie illimité"
©Flickr

Parce que vous le valez bien

Alors que le Salon des seniors vient de se terminer samedi, l’engouement du public pour les astuces permettant d’augmenter l'espérance de vie ne se dément pas. Mais peut-on dire que ces techniques sont véritablement efficaces ?

Anne-Marie Guillemard - Jean-Marie Robine

Anne-Marie Guillemard - Jean-Marie Robine

Anne-Marie Guillemard est professeur des universités à Paris Descartes. Sociologue ayant notamment travaillé sur l'âge et la vieillesse, elle est l'auteure de Les défis du vieillissement (Armand Colin / 2010).

Jean-Marie Robine est directeur de recherche à l'Inserm où il est responsable de l’équipe Démographie et Santé du Département de Biostatistiques, de l’Université de Montpellier 1.

Voir la bio »

Atlantico : Alors que le Salon des seniors vient de se terminer samedi, l’engouement du public pour les régimes alimentaires et les astuces permettant d’augmenter notre espérance de vie ne se dément pas. Dans quelle mesure peut-on dire que ces techniques et modes de vie permettant d’augmenter notre longévité sont efficaces ? 

Jean-Marie Robine : Si l’on continue à discuter des bons régimes alimentaires, et que chaque semaine amène son lot de nouveauté, c’est tout simplement parce que l’on n’a pas trouvé la recette miracle. Mais autant il est très difficile de savoir réellement, parmi tous ces modes de vie lesquels sont efficaces afin d’augmenter l’espérance de vie, autant il est plus facile de trouver les poisons qui diminuent notre longévité. 

Mais la difficulté tient au fait que ces facteurs sont à penser uniquement sur une très longue durée, environ plusieurs dizaines d’années. Un coup de couteau tue immédiatement : c’est simple à identifier. Tandis que quelque chose qui nous tue en 15 ans, c’est déjà beaucoup plus compliqué à isoler, surtout que l’on doit étudier la combinaison de chaque facteur - alimentaire, environnemental, génétique etc. Cela rend les études sur la longévité très complexes à réaliser. D’un côté, il y a les poisons qui nous tuent, et de l’autre, il y a chaque élément de chaque facteur, et qui, réunis, valorisent notre longévité. C’est donc la combinaison de tout le reste qui va déterminer notre prédisposition à augmenter notre espérance de vie. 

En ce qui concerne les modes de vie et les régimes à la mode, on ne peut proposer que des visions globales : ainsi, on a pu isoler certains types de régimes favorables à une espérance de vie plus longue. Les pratiques alimentaires méditerranéennes permettent d’éviter certains poisons que l’on retrouve notamment dans les pays du Nord. Mais on ne peut pas déterminer précisément quel facteur - consommation de tel ou tel poisson, huile, légume - au sein de ce régime, permet d’augmenter notre longévité. Il faut penser son alimentation comme un ensemble, et non comme une association d’éléments isolables. 

D’ailleurs, il faut signaler qu’il n’y a pas de recommandation d’aucune agence sanitaire qui soit valable à elle seule, ce qui est souvent trompeur quand on nous vante les mérites d’un aliment : ce ne sont que des combinaisons qui sont efficaces, mais ces combinaisons sont impossibles à réaliser car elles dépendent de trop de facteurs différents : personne dans le monde n’a un mode de vie parfait dans un environnement parfait. 

Quels sont les autres paramètres qui entrent véritablement en compte dans l'augmentation de l'espérance de vie ? 

Jean-Marie Robine : Biologiquement, l’être humain a un potentiel de vie illimité : sans aucun facteur extérieur, nous pourrions vivre éternellement. Ce qui vient limiter notre longévité, outre nos modes de vie, sont deux paramètres essentiels : l’environnement et la génétique.

L’environnement est le principal obstacle à la longévité de l’être humain, il a un poids considérable sur notre espérance de vie. Ce qui vient limiter notre durée de vie finalement, c’est l’hostilité de l’environnement dans lequel l'être humain vit, et qui, pourtant, lui est indispensable pour vivre : il y a un lien évident entre la satisfaction de nos besoins immédiats et la longévité de la vie. C’est donc en améliorant chaque jour notre environnement, à travers les siècles (grâce à la science et aux progrès techniques : amélioration du confort des habitats, développement des moyens de transports, meilleure hygiène corporelle et alimentaire) que nous avons pu, et que nous pourrons continuer, à terme, à gagner encore en espérance de vie, même si la différence a été et restera minime. 

Nous sommes encore très insatisfaits de l’environnement dans lequel on vit, car nous avons conscience que c’est une amélioration qui n’a pas de fin, et en perpétuel mouvement. Pour nos sociétés actuelles, la vie dans les années 1950 ressemblait presque au Moyen-Age. Mais dans 50 ans, nous aurons l’impression que notre époque actuelle était ce même Moyen-Age. Aujourd’hui, nous sommes encore obligés d’accepter certains effets secondaires de mesures bénéfiques pour notre santé, notamment ceux de certains médicaments. L’objectif actuel est de réduire ces effets secondaires.

En ce qui concerne la part de la génétique, elle est à la fois essentielle et insignifiante : l’espèce humaine est l’espèce qui est capable de faire face à beaucoup plus de difficultés et de problèmes que toutes les autres espèces : c’est donc en cela que la génétique est un facteur essentiel, elle explique environ 25 % de notre espérance de vie. Bien sûr, ce pourcentage varie selon les gènes de chaque individu. Et en même temps, la génétique seule ne permet pas d’expliquer une espérance de vie plus importante : certains gènes peuvent augmenter, ou au contraire diminuer l’espérance de vie. La science a permis d’évaluer que les personnes porteuses de certaines formes alléliques ont moins de chance de devenir centenaires que les autres. Tous les gènes ont un effet, positif ou négatif, mais comme les facteurs extérieurs, ils agissent en interaction : il faut donc les penser en globalité. 

Mais la question véritablement importante : est-ce que cela vaut vraiment la peine de repousser encore la durée de la vie ? En sachant qu’une femme vit en moyenne 85 ans en France, allonger son espérance de vie c’est ajouter 5 ou 6 à une durée de vie de déjà 85 ans, ce qui est tout à fait différent que de rajouter 5 ans à 20 ans.  

Quel est le rapport actuel de nos sociétés occidentales vis-à-vis de la vieillesse ? A-t-il évolué ?

Anne-Marie Guillemard : Le rapport que nous entretenons avec la vieillesse est ambivalent : avec l’allongement de la vie, il y a une transformation qui s’est opérée : on se réjouit d’arriver à soixante-ans en pleine forme, et d’avoir gagné 20 ans d’espérance de vie, et en même temps, dès que les premiers risques de dépendance se font sentir vers 75, 80 ans, le discours change radicalement, en raison de l’image que l’on a de la grande vieillesse : au-delà de 80 ans, on estime qu’environ 25 % de la population qui est dépendante. Ce qui signifie donc qu’il a quasiment 75 % qui sont encore parfaitement autonomes. 

Dans l’imaginaire collectif, ils savent aujourd’hui qu’il y a les retraités, qui sont les gens dynamiques, actifs, en forme, et puis la représentation que notre société a de la grande vieillesse, qui renvoie une vision beaucoup moins positive des choses, avec notamment la maladie d’ Alzheimer qui est, dans la tête de beaucoup, une sorte d’épouvantail. Aujourd’hui, on ne peut pas parler d’une vision homogène de la vieillesse : en France, on a épinglé les personnes âgées comme des personnes dépendantes, ayant perdu leur autonomie. 

Nous n’avons pas du tout la même vision des personnes âgées qu’en Allemagne ou en Espagne par exemple, qui sont beaucoup plus tolérants, et dans une dynamique bien plus positive à l’égard de leurs seniors que nous. En France, nous sommes dans une société extraordinairement discriminante à l’égard de l’âge, dans le monde du travail notamment. Il y a une réelle discrimination à l’encontre des seniors sur le marché du travail, qui entrave la représentation positive de la vieillesse. La question de l’efficacité au travail, mais aussi du rôle de la citoyenneté, de l’appartenance sociale ne relève pas d’une question d’âge, mais aussi des capacités de la personne. En France, il n’y a pas de marché du travail des seniors, ce qui est un des signes de discrimination à l’encontre de l’âge. Mais avec le vieillissement de la population, nous ne pourrons plus rester dans cette optique-là. 

Dans les années 70, lors de ma première étude française sociologique sur les retraités, le mode de vie dominant était celui de la mort sociale. Aujourd’hui, même s’il y a des isolés, des dépendants, ils représentent une minorité. Nous assistons désormais au développement de la retraite-loisir et la retraite-solidaire : les seniors se trouvent dans une dynamique et s’engagent dans dans des associations, font du bénévolat etc. Les seniors veulent rester dans la société active, et après le travail marchand en tant qu’actifs, ils s’engagent dans le travail volontaire : dans les associations de solidarité, de conseil en entreprises etc. Sans compter toutes les opérations solidaires en direction de la famille, notamment envers les ascendants qui connaissent des difficultés d’emploi. Cela a énormément évolué, ne serait-ce parce que le niveau de vie des retraités s’est rapproché de celui des actifs, ce qui n’était pas du tout le cas dans les années 70. Ce changement, qui date des années 80, est en train de faire le sens inverse, avec les réformes de la retraite, on voit que les retraités ont un niveau de vie, et surtout les futurs retraités ont un niveau de vie inférieur à celui des actifs. C’est un décrochage récent.  

L'espérance de vie augmente continuellement dans nos sociétés occidentales. Cela va-t-il pousser les gens à porter moins d'attention au fait de gagner encore quelques années ? Ou est-ce une quête qui persistera éternellement ?

Anne-Marie Guillemard : Il n’y a pas de volonté de vivre réelle, en tout cas dans les discours, de vivre encore plus longtemps, mais plutôt de vieillir mieux, de garder une autonomie de vie satisfaisante. Toutes ces attitudes préventives ont pour unique but d’améliorer la qualité de la vie, pas la durée.

Mais, et c’est très dommageable, avec cette notion de bien-vieillir nous sommes dans une individualisation des responsabilités. Beaucoup de gens n’ont pas la possibilité d’adopter des modes de vie préventifs, tout simplement parce qu’ils n’en n’ont pas les moyens financiers. Bien vieillir coûte cher.  Et pour ce qui est du bon vieillissement, il faut immédiatement se demander la façon dont la société peut développer des politiques qui permettent aux gens de bien vieillir : notamment l’amélioration des conditions de travail, ce qui parait normal vu que l’âge de la retraite recule et va continuer à reculer.  Les médecins, les médias se sont emparés du concept des astuces, des modes de vie sains pour bien vieillir, mais ce discours fait oublier que les déterminants principaux du bien vieillir se trouve dans la manière dont la société organise les parcours de vie, professionnels et familiaux. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !