Quelles solutions pour exporter les céréales ukrainiennes malgré le blocage des ports du pays par les Russes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des femmes travaillent dans le cadre de récoltes du blé près du village de Zhovtneve, dans la région de Tchernigov, à environ 220 km au nord de Kiev, le 11 août 2009.
Des femmes travaillent dans le cadre de récoltes du blé près du village de Zhovtneve, dans la région de Tchernigov, à environ 220 km au nord de Kiev, le 11 août 2009.
©©Genya SAVILOV / AFP

Blocus maritime

Le blocus des ports par l'armée russe bloque les exportations ukrainiennes. Près de 4,5 millions de tonnes de grain sont ainsi bloqués en Ukraine, ce qui menace la sécurité alimentaire mondiale

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Alors que le blocus des ports ukrainiens par l'armée russe aggrave la faim dans le monde et fait craindre des pénuries, l'Ukraine est-elle vraiment incapable d'exporter ses céréales par voie maritime ? Alors que certains espèrent des convois dirigés par la Turquie, est-ce vraiment possible ? Peut-on craindre un risque d'escalade ?

Michael Lambert :La pénurie de céréales ukrainiennes vers le Moyen-Orient, notamment à destination de l'Égypte, du Liban et du Yémen, fait craindre une hausse des prix mondiaux combinée à des famines dans les prochains mois, ce qui pourrait conduire à un nouveau printemps arabe et générer des flux massifs de réfugiés qui prendront les routes de la Turquie et de l'Europe. 

Dans ce contexte, il est essentiel pour les grandes puissances céréalières occidentales (États-Unis, France et Canada) de fournir une alternative aux productions ukrainiennes dans les prochaines semaines, mais aussi aux approvisionnements russes. En effet, si Moscou est en mesure de fournir des céréales et notamment du blé, elle ne le fera que sous certaines conditions, ce qui fait craindre une instrumentalisation de l'agriculture. Rappelons que l'Inde, autre puissance agricole, a annoncé qu'elle n'était plus en capacité d'exporter ses ressources et que la Chine, autre géant agricole, n'a aucun intérêt stratégique à le faire car cela serait préjudiciable aux relations sino-russes.
De ce fait, il semble pertinent de dire que la composante agricole sera le principal élément du soft power russe d'ici l'été 2022, et que plusieurs pays du Moyen-Orient vont adopter une attitude plus conciliante envers Moscou pour assurer leur survie alimentaire.

Bien que des céréales soient actuellement stockées en Ukraine, leur exportation par la mer Noire est difficile car certaines infrastructures portuaires ont été détruites. De surcroît, beaucoup d'employés sont mobilisés pour le combat (hommes) ou réfugiés à l'Ouest (femmes). Dans ce contexte, la Russie a annoncé qu'elle accepterait une sortie des céréales ukrainiennes, sous réserve d'un allègement des sanctions occidentales, ce qui n'est naturellement pas envisageable.

Par conséquent, l'Ukraine doit-elle chercher des moyens d'exporter ses céréales par d'autres modes de transport, comme le rail ? Cette solution pose-t-elle des problèmes ? 

L'Ukraine n'a que deux options : l'avion et le train. La première option est coûteuse et peu pertinente, elle pourrait au mieux constituer une solution d'urgence pour répondre à une famine, ce qui n'est pas encore le cas. 
Les chemins de fer vers la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Hongrie (la Moldavie n'étant pas une option en raison du transit par la Transnistrie pro-russe) constituent une solide alternative, mais cela pose plusieurs problèmes. Pour commencer, les rails polonais et ukrainiens ont des dimensions différentes, ce qui oblige les trains ukrainiens à décharger les céréales et à les transférer sur des trains polonais, un processus fastidieux et coûteux. De plus, les infrastructures ferroviaires ukrainiennes sont en partie détruites, réservées au transport d'hommes et de matériel militaire, ou de réfugiés.


Sur un plan juridique, cela signifie également l'exportation de marchandises vers l'Union européenne, et donc une taxation supplémentaire et des demandes de dérogations pour leur exportation d'un pays non membre de l'UE vers les pays membres. Pour résumer, l'exportation des céréales ukrainiennes par le rail semble être une alternative à la hausse des prix et pénuries en Europe, mais leur réexportation de l'UE vers le Moyen-Orient, qui ne pourra pas se permettre de les acheter, semble peu probable. 

Quel est l'intérêt de la Russie à ce que l'Ukraine n'exporte pas de céréales ? 

Cela permet de réduire le nombre de concurrents sur les marchés mondiaux, ce qui entraîne une hausse des prix et apporte une source de revenus supplémentaires pour le Kremlin. Qui plus est, les pays du Moyen-Orient, notamment l'Égypte, vont devoir adopter une attitude plus conciliante envers Moscou et aligner leur diplomatie sur celles du Kremlin afin d'éviter des révoltes. La dépendance des pays du Moyen-Orient les amènera à reconsidérer certaines sanctions, et éventuellement à aller plus loin, comme nous l'avons vu avec la reconnaissance diplomatique de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud par la Syrie en 2018. 

Une crise alimentaire mondiale va déboucher sur des flux de réfugiés en provenance du Moyen-Orient qui vont affaiblir l'UE et l'OTAN. La Turquie (membre de l'OTAN) est ainsi en première ligne pour accueillir les réfugiés. Alors que des pays comme l'Italie, l'Espagne et la Grèce sont en situation de pénurie d'eau, l'accueil de nouveaux réfugiés musulmans, contrairement aux réfugiés ukrainiens, divisera les Européens, ce qui est dans l'intérêt de Moscou.

Vladimir Poutine a fait savoir, mercredi 25 mai, qu'il était prêt à mettre en place un corridor pour permettre aux navires transportant des denrées alimentaires de quitter l'Ukraine en échange de la levée de certaines sanctions. Peut-on penser que les céréales vont devenir un instrument majeur du soft power et de la diplomatie russe ?

Les céréales vont devenir la principale composante du soft power russe au Moyen-Orient et en Afrique à partir de cet été 2022. 
Ce phénomène prendra de l'ampleur dans les années à venir en raison du réchauffement climatique. La puissance agricole et les ressources en eau seront les éléments clés pour évaluer la puissance d'un État d'ici les 5 prochaines années.

L'OTAN est-elle impuissante en raison de sa volonté d'éviter toute confrontation possible avec la Russie ? 

Une intervention militaire en Ukraine pourrait résoudre cette crise et éviter qu'elle ne débouche sur une crise alimentaire mondiale. Cependant, une intervention de l'OTAN se traduirait par une possible escalade nucléaire avec la Russie.
Il faut également rappeler que la Russie n'utilise pas encore tout son potentiel militaire en Ukraine, et que de nombreuses armées européennes ne sont pas prêtes matériellement (l'Allemagne en premier lieu) et psychologiquement à mener une quelconque intervention. Un élargissement du conflit pourrait également amener les alliés de Moscou (Chine, Serbie, Biélorussie, Iran, Corée du Nord, Syrie, Eritrée) à s'impliquer davantage. 

En résumé, il est urgent de trouver des solutions. Pour commencer, la crise alimentaire mondiale est largement liée au réchauffement climatique, plus qu'à la guerre en Ukraine, et l'introduction du contrôle des naissances semble plus que nécessaire au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie centrale.
Il faut également commencer à investir massivement dans les processus de désalinisation et l'agriculture 2.0 afin d'augmenter la résilience alimentaire de pays comme l'Egypte. L'agriculture doit être remise au cœur de nos sociétés, avec une approche plus raisonnée. Par exemple, la plupart des céréales consommées dans le monde le sont par des animaux et non par des humains, réduire la consommation de viande et de poisson permettrait de résoudre cette crise alimentaire sans envisager une intervention de l'OTAN en Ukraine. 

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