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Quelle stratégie économique pour la Chine dans la deuxième phase de la mondialisation ?
©Reuters

Bonnes feuilles

La transformation que proposent les émergents, Chine en tête, commence par sa demande interne et celle des émergents.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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La Transformation que proposent les émergents, Chine en tête, commence par sa demande interne et celle des émergents

La Chine doit changer, pour deux raisons. D’abord, croître par l’export n’est plus possible pour elle, en réprimant sa demande interne. Ensuite, faire croître sa demande interne, plus celle des autres pays émergents, notamment de la région, devient sa vraie stratégie économique et politique. La politique de croissance chinoise par l’export et l’investissement interne (logement et infrastructures) n’est plus possible pour atteindre la croissance officielle de 7 % l’an. À l’exportation, le monde est en décélération, particulièrement chez les pays industrialisés tandis que la Chine est en perte de compétitivité, notamment dans sa région. Pour les infrastructures, il s’agit bien souvent d’un surinvestissement, corruption oblige, qui fragilise le système financier. Pour la construction résidentielle, outre la corruption et les surinvestissements manifestes, on assiste à des bulles, faiblesse des systèmes de surveillance des banques oblige. Ces bulles mettent sous pression le système bancaire et le shadow banking. Continuer est non seulement plus difficile, c’est surtout bien plus risqué. Surtout, la Chine voit bien que la nature des marchés de masse est en train de changer chez les pays développés et doit changer chez elle, pour satisfaire sa propre demande. Elle fera ainsi sa croissance de demain. Cesser l’opposition demande interne contre demande externe, largement celle des industrialisés, en satisfaisant mieux sa demande interne, lui permettra de mieux satisfaire la demande spécifique des pays émergents.

>>>>>> A lire aussi : Nouvelle phase de la mondialisation : pourquoi les entreprises vont devoir s’habituer à des taux de marges structurellement faibles

La Chine commence cette Transformation par un new normal chaotique

Pas facile de changer pour la Chine, même si on a de bonnes raisons et si on prévient : le bateau est si gros, il n’est pas habitué à cette mer interne. L’histoire de ces problèmes commence avec les informations contradictoires qui circulent sur la croissance chinoise. Elle « reste » à 7 %, ou baisse un peu, à moins qu’elle ne baisse plus ! Nous avons eu la bulle boursière de Shanghai avec sa hausse fulgurante fin 2014, puis son explosion en août 2015. Nous avons eu les interventions des autorités pour freiner le ralentissement économique, notamment par des baisses successives de taux d’intérêt en 2015, baisses destinées à arrêter la crise boursière et à soutenir la demande interne. Nous avons vu, venant des autorités, des aides bancaires, achats de titres et injonctions directes (comminatoires) aux opérateurs/spéculateurs pour qu’ils « cessent » leur krach boursier. Surtout, nous avons eu la décision d’août 2015 de faire baisser le Yuan par les autorités monétaires chinoises, alias les plus hautes autorités du pays, puis de le faire remonter (moins). Cette série de décisions dans les deux sens, mais avec une baisse finale, a fait brusquement et violemment reculer tous les changes de la région par rapport au dollar, plus toutes les bourses. Elle a affaibli les pays industrialisés exportateurs de matières premières, Canada et Australie notamment.

Compte tenu de son caractère stratégique, on peut penser qu’elle ne vient pas d’un stagiaire de la Banque centrale chinoise. D’abord, « on » nous explique que la décision de la baisse du Yuan est la réponse « normale » à la demande officielle du FMI. Pour que le Yuan entre dans le panier des DTS (droit de tirages spéciaux du FMI, à côté du dollar, de l’euro, de la Livre et du Yen), il faut montrer que c’est une monnaie flexible. Elle pourra alors servir indirectement de monnaie de réserve mondiale, puisqu’on lui fera confiance dans les bons et les mauvais jours. La décision d’acceptation devait être prise cette fin d’année, puis repoussée en fin 2016, les révisions étant normalement quinquennales. On comprend l’enjeu. Le FMI mène une série d’études à ce sujet, techniques mais pas seulement. Il commence par indiquer que le Yuan n’est pas/plus nécessairement sous-évalué. C’est très nouveau, et c’est une précondition obligatoire pour entrer dans le DTS. Surtout, ce jugement contredit la doctrine américaine de manipulation de la devise. Le FMI note ensuite que le Yuan est encore trop peu utilisé dans le monde. Ce n’est pas une surprise, compte tenu de la place du dollar et de l’euro dans les échanges et les réserves. Son entrée dans le panier de devises est précisément faite pour réduire cette polarisation sur les deux devises des pays industrialisés. Le FMI ajoute qu’une monnaie internationale doit être flexible et liquide, ces deux aspects étant liés pour pouvoir entrer dans le panier. La flexibilité, la Chine a commencé. La liquidité est décisive pour être vraiment flexible, autrement dit la Chine doit internationaliser sa monnaie. C’est là un immense changement. La Chine va continuer à suivre ces demandes, même si cela sera chaotique. Il faudra s’y faire.

La Chine continue par la balance des paiements : les tensions monteront

La Chine qui se donne comme objectif monétaire central l’entrée du Yuan dans le DTS va donc faire encore plus de vagues. Aujourd’hui, elle est doublement excédentaire dans ses rapports avec l’extérieur : elle exporte plus de biens et services qu’elle n’en importe, elle importe plus de capitaux qu’elle n’en exporte. Pour que le Yuan devienne une monnaie mondiale, il faudrait que la Chine devienne déficitaire en biens et services – ce qui est politiquement et socialement impossible pour elle, donc elle sera moins excédentaire. Il faudra donc qu’elle soit moins excédentaire en capitaux – ce qui sera compliqué et passe par une politique en deux mouvements conjoints. D’abord, la Chine va faire en sorte de garder une balance commerciale positive. Elle lui permettra une baisse considérable de l’excédent de ses paiements courants. Les investisseurs en Chine reçoivent en effet de plus en plus de dividendes : la Chine est décidément rentable.

Les Chinois visitent de plus en plus le monde et ils en ont les moyens : 180 milliards de dollars en déficit touristique en 2015, contre 30 en 2007. L’excédent de la balance courante baisse ainsi de moitié, passant de 400 milliards de dollars en 2007 à 200 aujourd’hui. Pour « résister » à ce changement dans sa balance courante sans drame social, la Chine doit augmenter son excédent commercial. Il va vers 500 milliards, soit plus qu’avant la crise. Ceci sous-entend que la consommation interne reste encore réprimée mais moins qu’avant, et implique surtout que la Chine ne peut plus supporter un Yuan qui monterait encore. Un excédent de 200 milliards de dollars de balance courante peut paraître aux autorités un bon compromis interne et externe. L’internationalisation du Yuan ne passera donc pas par le déficit commercial extérieur, ce qui aurait des effets dramatiques sur l’emploi, mais par les sorties de capitaux.

Moralité : la Chine va acheter des entreprises hors de Chine, participer aux financements de projets, moins acheter de bons du trésor des pays industrialisés – américains d’abord. Pour que la monnaie chinoise soit acceptée dans le club des DTS, il faut qu’elle s’européanise et s’africanise plus, donc baisse plus. Ceci suscite des inquiétudes quand elle achète ici des vignobles, des hôtels ou des camps de vacances. Elle achète ainsi des quais du port du Pirée, son hub d’entrée en Europe, plus des quais au Portugal avec des ressources venant de Hongkong, qui n’est pas si loin de Macao, plus de l’immobilier à Londres, plus des entreprises industrielles en Allemagne (surtout) et en Italie. La dernière visite anglaise du Président Xi Jinping a dû « lui » coûter près de 80 milliards de dollars.

En France, le Premier ministre Manuel Valls a indiqué que les entrées de capitaux chinois étaient les bienvenues. Ce n’est que le début. Quant aux baisses des achats de bons du trésor américain, le processus est enclenché : les réserves chinoises ont baissé et devraient continuer à le faire, ce qui est le début d’un nouveau problème. La baisse du Yuan qui alarme tant est pour partie le souhait du FMI – qui n’en demandait pas forcément tant, quand il voit les effets systémiques d’une petite baisse du taux de change. Et pourtant, il faudra bien continuer pour réduire les déséquilibres ! Cette ouverture, qui permet l’internationalisation du Yuan, est la précondition pour permettre la mutation chinoise. Elle fera de la Chine le leader de sa région, non pas seulement le plus puissant – ce qui est déjà le cas, mais le leader dans son changement – ce qui ne l’est pas encore. La Chine apportera au monde émergent le modèle d’une économie de l’information-communication moins chère, centrée sur le développement de sa demande interne. En même temps, cette Chine qui change achètera moins de bons du trésor américain. Sauf à perdre la face, les États-Unis ne sauraient s’en plaindre, mais eux aussi devront changer.

Extrait de "La guerre des mondialisations" de Jean-Paul Betbeze, publié aux éditions Economica, 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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