Quelle est la vraie place des femmes dans la société indienne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestations ont lieu en Inde depuis plusieurs jours, suite au viol et au meurtre d'une étudiante à New-Delhi.
Des manifestations ont lieu en Inde depuis plusieurs jours, suite au viol et au meurtre d'une étudiante à New-Delhi.
©Reuters

Namaste

Le viol et le meurtre d'une étudiante à New Delhi ont provoqué des manifestations pour mettre fin à l'impunité des violences faites aux femmes. Pour y parvenir, c'est la mentalité de toute une société qu'il est nécessaire de changer.

Bénédicte  Manier

Bénédicte Manier

Bénédicte Manier est journaliste à l'AFP, spécialisée dans les questions sociales, et le développement. Elle est l'auteur de Quand les femmes auront disparu. L'élimination des filles en Inde et en Asie, aux éditions La Découverte (2008) et  Le travail des enfants dans le monde, La Découverte, 2011

 

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Atlantico : Des manifestations ont lieu en Inde depuis plusieurs jours, suite au viol et au meurtre d'une étudiante à New-Delhi. L'événement laisse penser que les violences faites aux femmes sont monnaie courante dans le pays. Qu'en est-il en réalité ?

Bénédicte Manier : Il ne faudrait pas généraliser, car le pays est très diversifié. Mais on peut dire qu'il existe en Inde un vieil héritage de domination des femmes, encore présent dans une grande partie du pays, surtout dans le nord-ouest, qui inclut New Delhi. Les femmes restent considérées comme inférieures, et beaucoup de filles ne sont pas nourries, scolarisées et considérées à égalité avec les garçons.

Cela se traduit aussi dans le fait qu'une partie du pays continue à éliminer les filles par l'avortement sélectif. Et les fréquentes violences contre les femmes – qu'elles soient sexuelles, conjugales ou liées à la dot – sont également une conséquence de cette culture patriarcale.

Mais les agressions sexuelles s'inscrivent aussi dans un contexte de castes, car dans les campagnes, elles sont souvent perpétrées par des hommes de haute caste sur des femmes Intouchables pauvres.

Ces dernières décennies, le viol s'est développé : il a plus que doublé entre 1990 et 2008. Et surtout, il a augmenté dans les villes, touchant la classe moyenne urbaine. Or, si le viol des femmes rurales pauvres a toujours fait l'objet d'un silence résigné, la classe moyenne, elle, se rebelle. C'est ce qui explique les manifestations actuelles. Ce viol a montré en quelque sorte le choc de deux Indes, l'une émancipée et l'autre plus traditionnelle.

Car les manifestant-e-s des rues de New Delhi sont des jeunes actifs, nés avec la mondialisation, financièrement autonomes, et qui ont intégré l'égalité filles-garçons dans les études et le travail (les protestations ont d'ailleurs rassemblé autant d'hommes que de femmes). Cette génération moderne rejette le vieil ordre patriarcal et veut pouvoir sortir sans crainte le soir.

D'après l'AFP, seuls 26% des 24 206 affaires de viol enregistrées en 2011 ont débouché sur une condamnation (chiffres du Bureau national de la criminalité). Le meurtre de la jeune étudiante peut-il faire avancer l'Inde dans la pénalisation des violences faites aux femmes ?

Ce que les manifestations expriment, c'est non seulement le rejet des violences à l'égard des femmes, mais c'est aussi une vraie crise de confiance envers la police et la justice, inefficaces dans ce domaine. Les victimes, souvent, ne portent pas plainte, parce qu'elles savent que les questions seront humiliantes, que les procédures vont traîner en longueur, que les coupables ne seront peut-être jamais arrêtés ou sanctionnés....

Alors bien sûr, il faut faire évoluer la police et améliorer les lois. Mais il faut aller au-delà de ces mesures conjoncturelles. Et réalité, c'est la mentalité de toute une société qu'il faut changer. A commencer par des discriminations séculaires, qu'il faut combattre dès la naissance, dès l'école. Mais ce sera long. L'évolution des sociétés est toujours lente. D'ailleurs, dans un contexte différent, les pays occidentaux, eux non plus, ne sont pas parvenus à éliminer tous leurs stéréotypes.

Le développement économique de l'Inde, qui fait partie des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), les pays économiquement prometteurs, contribuera-t-il à faire avancer l'égalité hommes-femmes ?

Le développement économique indien est une chance historique pour ce pays. Mais il reste très inégalitaire. Il n'a globalement pas permis de transformer les infrastructures du pays, comme l'accès à l'eau. Il n'a pas mis fin à la malnutrition. Il n'a pas non plus amélioré le statut de la majorité des femmes. Il laisse de côté des centaines de millions de pauvres et creuse même les écarts entre régions riches et pauvres, ainsi qu'entre villes et campagnes.

Il faut donc repenser ce mode de développement : il doit maintenant se traduire par autre chose que l'enrichissement d'une minorité urbaine et permettre plus d'égalité et de progrès social pour tous. Il doit donner une chance aux femmes comme aux hommes, aux hautes et aux basses castes, aux ruraux et aux urbains.

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

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