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Lorsque la même assiette fiscale sert à l’établissement de plusieurs impôts, il y a d’une certaine manière impôt sur l’impôt.
Lorsque la même assiette fiscale sert à l’établissement de plusieurs impôts, il y a d’une certaine manière impôt sur l’impôt.
©Reuters

Tour de passe-passe

Dans de nombreux cas, les contribuables doivent d'une certaine manière payer un nouvel impôt sur un impôt dont ils se sont déjà acquittés. Explications.

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Atlantico : Que ce soit par la limitation des charges déductibles du revenu imposable, ou l'imposition de revenus non disponibles, pouvez-nous nous rappeler les principaux cas de figures où le contribuable paie littéralement "des impôts sur l'impôt" ? 

Jean-Philippe Delsol : Lorsque la même assiette fiscale sert à l’établissement de plusieurs impôts, il y a d’une certaine manière impôt sur l’impôt.  Il en est ainsi pour le revenu qui donne lieu tout à la fois à l’impôt sur le revenu et à l’impôt déguisé en cotisation sociale que sont la CSG et la RDS. En effet, seule une partie de la CSG, 5,5%, est déductible du revenu assujetti à l’impôt sur le revenu ; le contribuable paye donc des impôts sur le revenu sur un revenu dont il n’a pas eu la disposition puisqu’il a déjà été amputé de la CSG à un taux de 8 ou 15,5% selon les cas, dont une partie seulement  a été déduite. Le patrimoine qui supporte successivement et tout à la fois des droits de succession, de donation ou d’acquisition, des taxes foncières et d’habitation, de l’impôt sur la fortune… paye aussi de l’impôt sur l’impôt, car aucun de ces impôts n’est déductible des autres impôts calculés sur la même base fiscale.

Quelles inégalités entre les contribuables cette situation peut-elle révéler ? Y a-t-il des profils plus soumis à cette imposition "opaque" ?

Il y a en effet des contribuables plus exposés que d’autres à ces situations injustes. De plus en plus de taxes ne sont pas déductibles  du bénéfice imposable des entreprises, comme la contribution des entreprises de préparation des médicaments, la cotisation sur les boissons alcoolisées, la participation pour voieries et réseaux, la taxe d’aménagement, la taxe de 3% sur les immeubles…

Mais beaucoup de ces taxes opaques touchent la masse des contribuables. C’est le cas en particulier des nouvelles règles concernant la non déductibilité des cotisations d’assurance complémentaire santé.

Le gouvernement a imaginé une double disposition diabolique pour tout à la fois réduire les charges de la Sécurité sociale en la transférant aux assurances de complémentaire santé et augmenter la base imposable des salariés tout en  faisant croire à ces derniers qu’il œuvrait dans leur intérêt.

En effet, à compter du 1er janvier 2016 et conformément à une loi du 14 juin 2013, tous les salariés du privé devront être couverts par une assurance complémentaire santé collective choisie au niveau de leur entreprise. Les cotisations afférentes seront sans doute partagées dans la plupart des cas entre employeurs et employés selon l’usage en France. S’agissant d’assurances complémentaires obligatoires, les cotisations salariales, retenues à la source, devraient normalement être déductibles du revenu imposable des intéressés. En effet, aux termes de l’article 83 du CGI : « Le montant net du revenu imposable est déterminé en déduisant du montant brut des sommes payées et des avantages en argent ou en nature accordés [...] Les cotisations ou primes versées aux régimes de prévoyance complémentaire auxquels le salarié est affilié à titre obligatoire... »

Mais désormais et selon les dispositions de la loi de finances pour 2014, la part patronale des cotisations de prévoyance complémentaire« frais de santé » constitue un complément de salaire imposable qui doit notamment être compris dans la rémunération brute servant à déterminer la limite de déduction des autres cotisations.  A partir de l'imposition des revenus de 2013, lesversements de l'employeur font donc l'objet d'une distinction. Ceux qui correspondent à des garanties portant sur les frais de maladie, maternité ou accident sont considérés comme des avantages imposables au nom des salariés, s'ajoutant à leur rémunération. Les autres sont exonérés mais pris en compte pour l'application de la limite annuelle de déduction. (Avant 2013, les versements de l'employeur étaient exonérés en totalité et inclus, également en totalité, dans la limite annuelle de déduction).  L'excédentde cotisations (parts patronale et salariale) par rapport au plafond constitue un élément de la rémunération du salarié, à titre de complément de salaire pour la part patronale et de cotisation non déductible pour la part salariale.

En prenant en compte les cas de figure les plus courants, combien un contribuable se retrouve-t-il à débourser chaque année pour ce type d'imposition ? 

Lorsque l’impôt sur le revenu a été institué, pour 1915, et jusqu’en 1945, l’impôt sur le revenu de l’année précédente payé au cours de l’année était déductible du revenu imposable de la dite année. Ce principe permettait d’éviter que les contribuables ne payent de l’impôt sur l’impôt. Désormais, en multipliant les cas de non déductibilité de l’impôt pour l’assiette des autres impôts, l’Etat augmente les impôts de manière sournoise, en élargissant la base imposable au détriment des contribuables qui à ce train pourraient avoir un jour plus d’impôts à payer que de revenus perçus. A ma connaissance, nous n’avons pas les moyens de connaître précisément le  nombre de contribuables concernés et la charge que cela représente pour eux. L’administration fiscale a certainement une évaluation précise de  ces éléments. Mai selle ne la publie pas. C’est le moyen pour elle de mieux dissimuler ce type d’impôts et c’est  évidemment regrettable.

Nous avons toutefois quelques éléments d’appréciation pour les mesures nouvelels qui maintenant font obligatoirement l’objet d’une évaluation dans la présentation du projet de loi. Ainsi, nous savons que le gouvernement espère retirer 1 milliard d’impôts supplémentaires de l’imposition des cotisations d’assurance complémentaire santé visées dans ma réponse précédente.

L'idée de payer des impôts sur des sommes déjà imposées, ou que le contribuable ne touchera jamais semble peu évidente à justifier, voire abusive, pour le grand public. Y a-t-il une légitimité réelle à ce système (indépendamment des montants prélevés) ? Est-on face à une simple curiosité fiscale ou à un réel abus des autorités ? 

Il ne s’agit pas d’une simple curiosité puisque comme je l’ai démontré ci-dessus, les cas d’imposition sur l’impôt sont très répandus.

Mais il existe des cas pathologiques d’imposition sur des revenus inexistants. Ces cas sont plus rares mais particulièrement choquants. Dans ce cas le contribuable est imposé sur un revenu qu’il n’a pas perçu. C’est le cas des impôts sur les signes extérieurs de richesse ou plus encore de  l’impôt sur les revenus rehaussés des travailleurs indépendants qui ne veulent pas passer par un centre de gestion ou par un expert comptable pour établir leur déclaration fiscale.

L’impôt sur les signes extérieurs de richesse

En cas de disproportion marquée entre le train de vie du contribuable et les revenus qu’il déclare, l’administration a, sous certains conditions, la possibilité de substituer au revenu déclaré une évaluation forfaitaire plus élevée, déterminée en appliquant à certains éléments de ce train de vie un barème fixé par la loi. C’est le système de la taxation d’après les « signes extérieurs » prévu à l’article 168 du CGI. L’administration évalue les « signes de richesse » selon un barème fixé pour douze éléments de train de vie : résidence principale ou secondaire, employé de maison, voiture automobile, motocyclette de plus de 450 cm3, bateau de plaisance, chevaux de course ou de selle, avion de tourisme, clubs de golf. S’il y a une disproportion entre le revenu forfaitaire ainsi évalué et le revenu déclaré du contribuable, celui-ci est imposé par voie de taxation forfaitaire, sauf pour lui à apporter la preuve que son train de vie réel a pu être assuré grâce à ses revenus, à l’utilisation de son capital, ou encore à des emprunts qu’il a contractés, y compris auprès de parents. Au contribuable donc de prouver qu’il n’a pas fraudé, ce qui n’est pas toujours facile.

L’impôt sur les revenus fictifs

Longtemps les revenus des salariés, du public ou du privé, ont bénéficié d’un abattement de 20% appliqué sur les salaires bruts pour déterminer le revenu imposable. Les professionnels indépendants, commerçants, membres de professions libérales, agriculteurs n’y avaient pas droit car leurs revenus étaient plus difficiles à contrôler ; ils étaient supposés ne déclarer qu’une partie de leurs revenus. Le législateur n’imaginait pas que les salariés puissent aussi travailler au noir, puisqu’ils étaient salariés ! La loi de finances pour 1974  a permis aux professionnels indépendants soumis au régime réel d’imposition (pas au forfait) de bénéficier du même abattement de 20% que les salariés en adhérant à un Centre ou une Association de Gestion Agréé. Ces Centres agréés, placés sous la tutelle de l’administration fiscale, devaient permettre à celle-ci de mieux connaître les revenus déclarés par les professionnels indépendants.

Le projet de loi de finances pour 2006 a proposé, pour déterminer les revenus imposables, de supprimer l’abattement de 20% applicable aux traitements, salaires, pensions et rentes viagères visés au a du 5 de l’article 158 du CGI, ainsi que l’abattement de 20% applicable aux revenus professionnels des adhérents d’un centre de gestion ou d’une association agréés figurant au 4 bis de l’article précité. Le barème proposé pour 2006 a enregistré pleinement l’effet de la suppression de l’abattement de 20% sur les revenus déclarés, car il a été construit à partir d’un barème 2005 dont les taux ont été diminués de 20% et les seuils des tranches majorés de 25 %. Dès lors, le mécanisme d’abattement réservé aux professionnels indépendants qui adhéraient à un centre ou une association agréés perdait tout son intérêt. Mais ni l’administration fiscale ni le législateur n’entendaient en rester là. Comment imaginer d’accorder le même régime fiscal à des « présumés fraudeurs » qu’aux salariés ? Le rapporteur du Sénat notait « la nécessité de corriger les situations où la réforme du barème s’effectuait sans contrepartie ».

Pour « neutraliser » l’intégration de l’abattement sur les revenus professionnels au nouveau barème, le projet de loi proposait de majorer artificiellement de 25% les revenus antérieurement exclus du bénéfice de l’abattement. Et malgré quelques vois qui se sont élevées à l’Assemblée nationale, et notamment celle de M. de Courson, Le régime a ainsi été adopté, majorant la base imposable des travailleurs indépendants non seulement pour le calcul de l’impôt mais aussi pour celui des charges sociales. Pour l’éviter, il faut que le travailleur indépendant adhère à un  centre (ou association pour les professions libérales) de gestion agréé ou passe par un expert comptable. 
 Le législateur maintient depuis lors ce régime inique qui consiste à taxer et soumettre à l’impôt et aux cotisations sociales des revenus fictifs pour punir ceux qui ne se conforment pas à la norme, ceux qui ne sont pas administrativement corrects. L’Etat se fait faux monnayeur en imposant un revenu inexistant pour qu’il lui rapporte des impôts et des cotisations sociales.

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