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Le Québec, dernier village gaulois à défendre le français ?
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Irréductibles !

Le premier Forum mondial de la langue française s'est ouvert jeudi à Québec. Entre managers, mails, smartphones, feedback, et autres WTF, les Français sont de grands adeptes des anglicismes. Faut-il compter sur le Québec pour sauver la langue française ?

Robert Vézina

Robert Vézina

Président du Conseil supérieur de la langue française à Québec.

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Atlantico : Le Forum mondial de la langue française s'est ouvert jeudi à Québec. Le Québec est-il le « dernier village gaulois » à soutenir le français ?

Robert Vézina : Absolument pas ! Il suffit, par exemple, d’observer ce qui se passe au premier Forum mondial de la langue française, qui se tient actuellement à Québec, pour constater à quel point les amants et les défenseurs du français et du multilinguisme viennent de partout dans le monde. Non seulement viennent-ils du Québec, des trois Amériques, de l’Europe et même de l’Asie, mais, soulignons-le, de l’Afrique, où le bassin de francophones, déjà fort important, est appelé à devenir le plus considérable de la francophonie au cours des prochaines décennies.

Sans être le « dernier village gaulois » à soutenir le français, le Québec, il est vrai, s’illustre particulièrement par son attachement majeur envers la langue française.

Pourquoi cet attachement ?

Rappelons d’abord que le Québec est situé sur un continent où vivent plus de 300 millions de locuteurs de langue anglaise. Il est certain que le fait qu’il soit le seul État d’Amérique du Nord où les francophones de langue maternelle forment la majorité de la population contribue à faire du français une caractéristique forte du Québec.

Le français constitue une assise fondamentale de la culture et de l’identité québécoises
. C’est l’un des principaux socles de son histoire, de son présent ainsi que de l’avenir vers lequel il se projette. D’ailleurs, dans une étude que le Conseil supérieur de la langue française vient de publier, on apprend que, pour la majorité des Québécois, le français est la langue la plus importante dans la vie collective au Québec et que toute personne qui y demeure, quelle que soit son origine, devrait être en mesure de le parler.

Comment expliquer le contraste avec les Français, amoureux des anglicismes ?

Ce contraste repose en bonne partie sur des perceptions. Les Québécois aussi emploient des emprunts à l’anglais, mais ceux-ci ont tendance à être plus fréquents dans la langue familière que dans la langue soignée et les raisons historiques ayant conduit à leur usage sont différentes de celles qui entraînent l’utilisation d’anglicismes en France. Traditionnellement, les francophones du Québec ont également eu tendance à traduire certaines expressions anglaises, par voie de calque, plutôt que de les employer directement en français; pensons à fin de semaine qui vient de weekend. L’emprunt est moins visible, mais il est là quand même.

Je crois cependant que les Québécois sont généralement très ouverts à la néologie française lorsqu’il est question de désigner de nouvelles réalités. Pour preuve l’adoption rapide de termes comme courriel, pourriel, clavarder, hameçonnage, tous créés au Québec, comme équivalents de e-mail, spam, to chat et phishing. Les mots nouveaux, créés à partir des ressources internes du français, ne sont pas sentis comme ridicules ou inutiles, bien au contraire.

Cela dit, il n’y a pas nécessairement de contradiction entre l’attachement au français et le fait d’employer des anglicismes pour exprimer telle ou telle chose. Le français emprunte à de nombreuses langues depuis fort longtemps; c’est une source d’enrichissement certaine. Il importe toutefois que le français conserve sa créativité et ne soit pas à la remorque de l’anglais pour nommer les nombreuses nouveautés que les avancées de la science et des technologies rendent disponibles.

Comment les Québécois défendent-ils concrètement le français ?

Ils le font de multiples façons. Il faut mentionner d’abord et avant tout le fait que le Québec a mis en place différentes mesures pour favoriser l’épanouissement de la langue française sur son territoire. Autrement dit, il pratique de l’aménagement linguistique plutôt que de laisser l’usage des langues évoluer uniquement selon les lois du « marché linguistique » nord-américain, ou mondial, lesquelles avantagent notablement l’anglais. La pièce maîtresse de la politique linguistique du Québec est la Charte de la langue française, adoptée par l’Assemblée nationale il y a 35 ans, en 1977.

Le but fondamental de cette charte est de faire en sorte que le français soit « la langue de l’État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires ». Le chantier envisagé était vaste à l’époque, mais il est indéniable que la Charte de la langue française a contribué fortement à redonner au français la place qui lui revient au Québec. Par exemple, au moins 80 % des élèves allophones (de langue maternelle autre que le français ou l’anglais) sont maintenant éduqués en français à l’enseignement primaire et secondaire, alors que la proportion était inversée dans les années 1970. Malgré les progrès importants qui ont été accomplis, bien des défis restent à relever et il importe de demeurer constamment vigilant. Par exemple, l’usage du français comme langue du travail sur l’île de Montréal par les immigrants allophones ne progresse pas aussi vite qu’on le souhaite.

En terminant, je dirais que pour défendre le français, il faut garder en tête des principes évidents : il faut apprendre à le maîtriser et ne pas hésiter à l’enrichir. Enfin, il faut simplement l’employer avec fierté et avec conviction.

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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