Quarantaines à l'hôtel : les leçons d’un succès australien contre le Covid-19<!-- --> | Atlantico.fr
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Australie restrictions sanitaires contre la Covid-19
Australie restrictions sanitaires contre la Covid-19
©William WEST / AFP

Endiguer l'épidémie

L’Australie a opté pour une stratégie agressive face à l’épidémie et sur la question des voyageurs en provenance de l'étranger. Des participants à l’Open d’Australie de tennis ont ainsi été confinés dans des hôtels pendant quatorze jours, sans possibilité de sortir, avant le début de la compétition. L'Australie a décidé d'appliquer cette quatorzaine pour les voyageurs arrivant sur le territoire australien ainsi que la fermeture des frontières entre les Etats. Est-ce le prix à payer pour endiguer l'épidémie ?

Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave est Biologiste médical, ancien Assistant Hospitalo-Universitaire en microbiologie et ancien Assistant Spécialiste en immunologie. 

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Atlantico.fr : Quelle est actuellement la situation en Australie ? Quelles mesures de restricition demeurent en place ?

Claude-Alexandre Gustave : L’Australie applique une stratégie d’élimination virale basée sur une gestion régionalisée (principe des « zones vertes »). Chaque région contrôle ses frontières et impose des restrictions de déplacements et quarantaines obligatoires en fonction de la provenance des voyageurs et de l’activité épidémique. Les déplacement entre « zones vertes » sont libres, tandis que les échanges entre une « zone verte » (absence de circulation virale) et une région où des cas ont été détectés sont, soit fortement restreints et contrôlés, soit interdits. Ce principe de découpage territorial permet une gestion localisée de l’épidémie.

Dans les régions en « zone verte », la vie peut reprendre son cours normal. L’objectif étant de faire passer l’ensemble du pays en « zone verte » en rétablissant progressivement les échanges entre « zones vertes » adjacentes. Cette gestion des échanges est également appliquée aux frontières nationales, de manière très stricte, en associant un dépistage obligatoire à l’arrivée, de façon à orienter le voyageur vers un isolement simple (test négatif) ou médicalisé (test positif). Cet isolement est obligatoire, au frais du voyageur, pour une durée de 14 jours dans un hôtel désigné par les autorités. L’Australie protège également son territoire en limitant les échanges internationaux. Les ressortissants australiens sont invités à ne sortir du territoire que pour un motif impérieux/urgent ; ils ne peuvent revenir sur le territoire national qu’après obtention d’une autorisation préalable par les autorités douanières. Les voyages vers ou depuis l’étranger sont globalement interdits jusqu’en 2022. Cependant, les autorités australiennes cherchent à établir des « bulles touristiques » avec d’autres pays engagés dans l’élimination virale, de façon à rétablir des corridors touristiques sans quarantaines. La première étape envisagée concerne la Nouvelle-Zélande, puis pourrait être étendue à d’autres pays d’Asie du Sud-Est comme Singapour, Taïwan…

Récemment, lors de l’Open d’Australie, un confinement local de 5 jours a été décrété à Melbourne suite à la détection de plusieurs cas dans un hôtel occupé par les joueurs. Le weekend dernier, un autre cluster a été détecté dans un hôtel utilisé pour la quarantaine de voyageurs (14 cas reliés à l’un des employés de l’hôtel). Le confinement a donc été étendu à tout l’état de Victoria. L’Open d’Australie se poursuit donc à huis clos ; les habitants étant invités à rester chez eux hormis pour pouvoir s’alimenter, recevoir des soins, se rendre à leur travail (pour les activités essentielles maintenues en présentiel), ou faire du sport dans un rayon de 5 km. Cette mesure peut paraître choquante aux yeux des européens, mais elle correspond à une réponse sanitaire visant à protéger la santé des citoyens tout en protégeant l’activité économique du pays. Elle permet une réponse pleinement efficace, rapide et facilement tolérable par la population. Comme le rappelait le Premier Ministre de l’état de Victoria , Daniel Andrews, « Je ne veux pas être là dans une semaine, après avoir esquivé la décision difficile d’aujourd’hui, qui ne dure que cinq jours, et annoncer quelque chose qui devrait durer beaucoup, beaucoup plus longtemps ». Cette réponse stricte, forte et précoce est d’autant plus nécessaire que les nouveaux variants hyper-contagieux se répandent et qu’ils ne font que rendre les simples mesures d’atténuation (modèle européen) encore moins efficaces qu’elles n’ont pu l’être en 2020.

Ce confinement localisé de 5 jours permet de rompre les chaînes de contamination localement ; d’éviter l’extension à d’autres régions ; de dépister la population ; et d’isoler les porteurs du virus. Ainsi, la vie peut rapidement reprendre son cours normal, tout en assurant la protection sanitaire, un impact psycho-social minime, et une restriction d’activité très brève.

Plusieurs témoignages sur la quatorzaine forcée en arrivant sur le territoire australien évoquent des restrictions drastiques dans les hôtels et des conditions parfois très strictes, est-ce le prix à payer pour endiguer la pandémie ?

Bien qu’il ait été répété, rappelé et rabâché depuis des mois, le triptyque « tester, tracer, isoler » ne semble toujours pas appliqué en France. Il a même été vidé de sa substance et remplacé par un slogan « tester, alerter, protéger ». Pourtant, il constitue la seule arme capable d’assurer un contrôle efficace de l’épidémie sur le modèle du Lazaret. Le dépistage est indispensable pour repérer les porteurs du virus, mais il ne constitue pas en lui-même une mesure de contrôle épidémique. Tout d’abord, il est impossible de dépister tout le monde. La comparaison des taux de séroprévalence (permettant d’estimer combien de personnes ont été infectées) et du nombre de cas effectivement comptabilisés, montre qu’on ne détecte que 30% des contaminations. Deuxièmement, les tests de dépistage peuvent être mis en défaut et conduire à des faux négatifs. Les tests antigéniques ratent 1 infecté sur 3. Les test RT-PCR peuvent perdre 30% de leur sensibilité si le prélèvement nasopharyngé est de mauvaise qualité. L’excrétion virale peut-être absente au niveau ORL, mais se poursuivre au niveau digestif. Ainsi un simple test de dépistage négatif à l’arrivée des voyageurs ne permet absolument pas de garantir l’absence du virus. Une simple attestation de dépistage négatif dans les 72h précédentes est encore moins utile ! D’autant plus quand des faux certificats de dépistage circulent sur internet…

Il faut également se rappeler que plus de 50% des contaminations sont le fait d’infectés asymptomatiques. Le contrôle des frontières par la recherche de patients fiévreux ou déclarant des symptômes n’est donc pas non plus une garantie de protection contre l’introduction du virus sur le territoire.

Seul l’isolement strict, d’une durée minimale de 14 jours, assorti d’un test de dépistage en fin d’isolement assure une protection suffisante. Cependant, ce n’est pas infaillible : le portage viral digestif peut se poursuivre plusieurs semaines et être associé à une contamination de l’environnement via les eaux usées, une transmission virale via le partage des sanitaires ou via des aérosols fécaux. L’excrétion virale prolongée peut aussi être observée chez des patients immunodéprimés.

Cet isolement ne peut reposer sur un simple « engagement » ou sur la responsabilité individuelle, mais doit être imposé dès l’arrivée sur le territoire et dans un lieu dédié à ces quarantaines, en milieu médicalisé ou non, selon que le test de dépistage à l’arrivée soit positif ou négatif. Cela permet également d’apporter un soutient logistique aux isolés (nourriture, lessive…), ce qui permet de renforcer leur adhésion aux mesures d’isolement.

Taïwan et la Corée du Sud imposent ce même type d’isolement obligatoire à l’arrivée sur le territoire, dans des hôtels désignés par les autorités, où les voyageurs disposent de tout le nécessaire pour s’alimenter, faire leurs lessives… pour ne pas avoir à sortir de leur chambre :

Suite à la diffusion des nouveaux variants hyper-contagieux, auxquels ont été régulièrement associés des tests positifs au-delà de 14 jours, certains pays d’Asie du sud-est, ou l’île de Man, ont allongé ces quarantaines à 21 jours.

Sans un tel contrôle des échanges internationaux, et plus largement de l’isolement des infectés et de leurs cas contacts, il est illusoire d’espérer un contrôle de l’épidémie, sauf à déployer des ressources humaines et logistiques massives que nous ne sommes pas parvenus à déployer en 2020, et qui devraient être encore plus massives désormais à cause des nouveaux variants hyper-contagieux.

Malgré des mesures mises en place après la première vague, l’Australie a tout de même connu une seconde vague, forçant à re-confiner la population dans certains états, qu’est ce qui a manqué à ce gouvernement pourtant très vigilant ?

Avec un virus aussi contagieux, la moindre faille dans le système de contrôle sanitaire peut suffire à amorcer un nouvel « incendie ». La deuxième vague australienne avait été rattachée à des relations sexuelles entre des personnes en isolement dans des hôtels et les personnels en charge de leur surveillance. En retournant dans leurs familles, ces personnels avaient alors propagé le virus dans d’autres zones et initié des chaînes de contaminations qui s’étaient étendues à tout le pays.

Durant l’été 2020, les recrudescences observées en Chine (Pékin) et en Nouvelle-Zélande avaient été rattachées à des contaminations via des denrées surgelées manipulées sans protection dans des centres de gestion des marchandises. En effet, les cas index identifiés alors n’avaient pas voyagé, n’étaient pas entré en contact avec des personnes en isolement, et aucune circulation active du virus n’était détectée localement. Depuis, la Chine assure une surveillance très stricte des denrées alimentaires importées, des colis postaux (systématiquement décontaminés) et suspend l’importation de produits surgelés dès qu’un produit contaminé par le virus est détecté (encore récemment pour des surgelés en provenance du Chili ou d’Indonésie).

La transmission par aérosols peut aussi mettre en défaut les procédures d’isolement. Comme c’est probablement le cas actuellement en Australie avec un cluster de 14 cas dans un hôtel de quarantaine qui aurait initié par l’utilisation d’un nébuliseur. Il aurait généré un aérosol contaminé par le patient zéro, se propageant via la ventilation et les joints de portes jusque dans les parties communes où les employés de l’hôtel ont été contaminés.

A ce propos, l’Australie et la Nouvelle-Zélande coopèrent pour développer de nouveaux centres de quarantaines dédiés au COVID, près des aéroports. Ceci devrait permettre de décupler les capacités d’accueil (en vue des réouvertures progressives des voyages internationaux, pas avant 2022), tout en permettant de centraliser les ressources actuellement éparpillées dans différents hôtels difficilement contrôlables et risquant d’initier des clusters dans différentes villes. En assurant la gestion des quarantaines dans des centres dédiés, l’objectif est ainsi d’améliorer leur sécurité, tout en rendant leur activité normale aux hôtels actuellement réquisitionnés.

Au commencement de la pandémie, l’Australie songeait à faire le choix d’une immunité collective puis a opté une stratégie “zéro cas”. Celle-ci semble porter ses fruits comme le montre les gradins remplis de l’Open d’Australie. Est-ce toujours le temps pour nous de faire un virage à 180 degrés et adopter une stratégie “à l’australienne” ?  

Le choix du « vivre avec » a été un échec depuis 1 an. Non seulement nous subissons un recul économique égal ou supérieur à celui des pays engagés dans la suppression virale, mais en plus nous déplorons un bilan sanitaire tragique ! En Europe le taux de mortalité moyen par COVID est d’environ 1300 décès / millions d’habitants, quand il est 10 fois plus faible dans des pays comme l’Islande, la Norvège, la Finlande, la Corée du Sud (engagés dans la suppression virale), et 100 fois plus faible dans des pays engagés dans l’élimination virale (Chine, Singapour, Taïwan, Vietnam, Australie, Nouvelle-Zélande). Sans même parler des COVID longs, des lésions organiques suite aux infections asymptomatiques, des lésions cardio-vasculaires décrites chez les enfants…

Les mesures d’atténuation appliquées en France depuis 1 an, ne sont pas parvenues à contrôler l’épidémie, ni à protéger la santé des citoyens, ni à protéger l’économie. Pour arriver à un simple ralentissement de la circulation virale, il a fallu maintenir à l’arrêt tout un pan de la vie économique et culturel du pays, sans perspective de réouverture, tout en laissant les hôpitaux dans un état de tension majeure avec un recours régulier aux déprogrammations de soins. Une telle gestion n’est pas tenable sur le moyen terme, et n’en sera que moins efficace encore face aux nouveaux variants.

Une simple renonciation par levée des mesures au prétexte qu’il faut bien « vivre avec le virus », ne règlerait pas la crise, ne ferait que provoquer une flambée épidémique majeure sans commune mesure avec ce que nous avons connu en 2020. Cela plongerait le système de soins dans le chaos, avec des retentissements sur toute la population, privant d’accès aux soins non seulement les malades de la COVID, mais aussi tous les autres. Ainsi des pathologies actuellement bénignes ou curables risqueraient de voir leur pronostic se dégrader fortement (infarctus, AVC, décompensations de diabète, asthme sévère, hypertension, cancer, accidents…). Il s’en suivrait alors une hausse importante de la morbi-mortalité globale, une désorganisation socio-professionnelle et une chute de la demande qui impacterait fortement l’activité économique. Ce serait la pire des solutions. Comme le déclarait le Pr. Yaneer Bar-Yam : « ce n’est pas parce que nous fermons les yeux que l’ennemi cessera de frapper ».

Une telle poursuite du « vivre avec » amènera également à l’émergence toujours plus forte de nouveaux variants, plus contagieux, et en échappement immunitaire. Pour rappel, l’étude réalisée par une équipe de l’Institut Weizmann sur l’évolution de l’infectiosité du virus, a montré que la mutation N501Y portée par les variants britannique, sud-africain et brésiliens leur conférait une infectiosité multipliée par 3,5 ou par 13 (quand elle est combinée à la mutation E484K). Cette même équipe a montré qu’il était possible d’obtenir un virus mutant dont l’infectiosité était multipliée par 600 !. Les variants actuels ne constituent donc pas le stade ultime de l’évolution du virus qui pourrait donc encore gagner fortement en transmissibilité. De même, l’extension des campagnes de vaccination alors que le virus circule activement vont inexorablement conduire à la sélection de nouveaux variants capables de contourner l’immunité vaccinale (échappement immunitaire). Ce danger a été récemment rappelé par les autorités sanitaires israéliennes.

 La stratégie de suppression virale est incontournable pour justement permettre un « retour à la vie » sous toutes ses facettes. Il est illusoire d’espérer une réouverture des activités actuellement à l’arrêt si la circulation virale active se maintient. Toutes les mesures de freinage ne parviennent qu’à maintenir les hôpitaux sous tension, ne parviennent pas à contenir les nouveaux variants. Sans stratégie de suppression virale, aucune reprise d’activité ne sera donc possible sans provoquer de nouvelles flambées épidémiques. Sur le moyen terme, l’acceptation de la population va s’étioler rapidement, ce qui réduira encore l’efficacité des mesures de freinage épidémique. Rester ainsi dans le « vivre avec » expose donc à un danger permanent et croissant de perte de contrôle, tant sanitaire, qu’économique, puis politique.

L’Allemagne semble s’orienter vers une stratégie de suppression virale avec un renforcement de ses mesures sanitaires malgré un recul épidémique significatif. L’objectif est de parvenir à une incidence la plus faible possible pour retrouver les pleines capacité de dépistage, de contact tracing et d’isolement des infectés/contacts. En parallèle, l’Allemagne annonce la fermeture de ses frontières avec la République Tchèque et l’Autriche où la circulation des variants britannique et sud-africain est au plus haut.

Une stratégie de suppression virale a déjà été proposée à l’échelon européen :

 La stratégie basée sur une gestion territorialisée (sur le principe des « zones vertes ») est également proposée par l’Allemagne avec une stratégie détaillée qui trouve un soutien jusqu’au conseil scientifique allemand :

Contrairement aux arguments « prémâchés » et régulièrement utilisés pour rejeter cette stratégie (« elle ne vaut que pour les îles », « elle ne vaut que pour les dictatures », « elle ne vaut que pour des populations asiatique dociles »…), cette stratégie peut tout à fait s’appliquer à des pays continentaux (la Chine, la Corée du Sud, le Vietnam, la Norvège, la Finlande, et désormais le Danemark et l’Allemagne l’appliquent) ; cette stratégie peut également s’appliquer à des pays densément peuplés (Chine, Corée du Sud, Singapour, Taïwan, Vietnam, Danemark, Allemagne) ; cette stratégie n’est pas limitée aux cultures asiatique ou aux pays dictatoriaux (Australie, Nouvelle-Zélande, Norvège, Finlande, Danemark, Allemagne…). Le journal britannique The Guardian, avait listé au moins 16 arguments justifiant l’application d’une telle stratégie de suppression virale partout.

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