Quand Salvini s’attaque à Renzi en lançant la Ligue du nord à l’assaut de l’ensemble de l’italie<!-- --> | Atlantico.fr
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La droite italienne peine à retrouver unité et stratégie.
La droite italienne peine à retrouver unité et stratégie.
©Reuters

D’un mattreo, l’autre

Avec le déclin de l’étoile de Silvio Berlusconi, la droite italienne peine à retrouver unité et stratégie. Divisée entre partisans minoritaires du gouvernement Renzi et opposition modérée et extrême, elle pourrait se retrouver sous la houlette de celui qui s’inspire ouvertement du Front National.

Giorgio Pedronetto

Giorgio Pedronetto

Giorgio Pedronetto, diplômé en Sciences Politiques (Université de Turin), a d’abord travaillé pour différents organismes parapublics italiens et français avant de rejoindre le secteur financier où il s’occupe de marketing. Historien passionné et très attentif aux évolutions politiques, il rédige depuis environ trois ans un blog d’opinion : « Un regard un peu conservateur ».

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Le nouvel homme du Nord

Qui fait virevolter la blonde Marine Le Pen ? Qui se pose comme rassembleur de la dispersée et désorganisée droite italienne ? Qui se permet de poser, torse nu et œil rigolard, à la une d’un hebdomadaire ? C’est lui, Matteo Salvini, "l’autre" Matteo, comme il est appelé pour le différencier de Matteo Renzi. Tout comme Renzi a occupé l’espace politique au centre-gauche, plutôt grâce à une présence médiatique massive et à l’insignifiance des autres acteurs politiques que par un solide programme, Matteo Salvini semble dominer le débat à droite, en pleine bourrasque après le déclin de Silvio Berlusconi.

Comme son rival et homonyme toscan, Matteo Salvini manie à la perfection le nouveau vocabulaire politique, mais à la différence de Renzi, il vient des files d’un mouvement, la Lega Nord (la Ligue du Nord) qui avait bâti à partir des années 80 son succès en cassant les codes et la dialectique du monde politique, en utilisant à loisir l’insulte et la grossièreté. Ensuite, la Lega Nord fut un allié souvent instable des gouvernements de Silvio Berlusconi, avant de sombrer dans des scandales financiers passablement grotesques : l’un parmi tous le faux diplôme du fils du fondateur. Renzo Bossi, fils du Sénateur Umberto (surnommé par ce dernier "il trota", "LE" truite, en réponse à ceux qui lui demandaient s’il s’agissait de son dauphin…), après avoir échoué lamentablement et à plusieurs reprise lors de son bac, se présenta peu de temps après arborant fièrement un diplôme d’une université… albanaise ! On découvrit par la suite que le susmentionné diplôme n’était qu’un vulgaire morceau de papier, bien que chèrement payé, et surtout avec l’argent que le parti avait obtenu à titre des financements publics, car le rejeton siégeait même au conseil régional lombard...

La Lega Nord semblait destinée à se marginaliser, peut-être disparaitre. La vague du vote protestataire et chargé de virulence contre la classe dirigeante trouvait dans Beppe Grillo un nouveau champion ; la Lega perdait plusieurs administrations locales, son rêve utopique d’indépendance du Nord de l’Italie (la "Padania") se vidait chaque jour un peu plus de son sens…

Et puis, la droite italienne, jusqu’à alors compacte derrière Berlusconi, se brisa en octobre 2013. Le Partito Democratico (gauche) connut une véritable révolution de palais, avec la défenestration des anciens leaders dans un premier temps et celle d’Enrico Letta de la tête du gouvernement ensuite, par la main de Matteo Renzi. Arrivé au pouvoir de façon peu orthodoxe, ce dernier vivait une sorte de sacre lors des élections européennes du mois de mai, avec un résultat d’environ 40 %. Hélas pour lui, son programme annoncé de reformes accélérés s’embourbait dans les batailles parlementaires et n’enrayait pas le mécontentement d’une large partie de la population. Et alors Matteo Salvini entra véritablement un jeu…

A la conquête de l’Italie

Matteo Renzi et Matteo Salvini, opposés sur tout, mais tellement proches dans la réalité… Même âge (respectivement nés en 1974 et 1973), même moment de gloire juvénile dans les années 90 (un passage à des jeux télévisés sur les chaînes d’un certain Silvio Berlusconi), même langage direct et en rupture avec les codes de la politesse parlementaire, même air bravache et look affligeant (si Renzi se pavane en blouson de cuir et jeans savamment déchirés, Monsieur Salvini affectionne les sweet-shirts avec les noms des lieux qu’il visite et il a même été aperçu en pantacourt à la sortie d’un bureau de vote milanais…). Tous les deux apôtres du "parler-vrai", ils poursuivent, des deux fronts opposés, le même objectif : guider le grand parti national. Si Matteo Renzi semble parfois vouloir ressusciter, sans le dire, un parti-nation comme le fut la Democrazia Cristiana (synthèse de la société italienne dans toutes ces facettes), Matteo Salvini refuse le discours universaliste de la politique bien-pensante européenne et épouse sans complexe les tenants du néonationalisme, avec comme modèle déclaré le Front National de Marine Le Pen. De plus, l’homme du Nord a compris que pour gagner il faut abandonner pour toujours les vieux habits régionalistes et parler même au Sud de l’Italie, jadis exécrée et maintenant perçue comme un allié contre l’euro et la globalisation.

La désastreuse politique de gestion de l’immigration et son lot de débarquements quotidiens par milliers sur les côtes italiennes méridionales, s’unissant à une fiscalité de plus en plus lourde, favorisent les thèses de Matteo Salvini et lui permettent sa percée vers le Sud. Paradoxalement pour un lombard, il va tenter d’une certaine façon de reproduire l’exploit de Garibaldi (personnage honni par les vieux ligueurs de jadis…) et conquérir l’autre partie de l’Italie, depuis toujours grand réservoir de voix pour la droite berlusconienne. Matteo Salvini veut donc exporter les principes de la Lega Nord à l’ensemble de l’Italie : défense du territoire face aux invasions venant d’ailleurs, lutte contre le pouvoir central romain, les élites et l’euro. Si auparavant la ligne du front était représentée par les rives du Pô, maintenant la défense s’organise sur les plages de Calabre et de Sicile ; si le projet de Matteo Salvini réussira, la Lega Nord deviendra la Lega Nazionale (la Ligue Nationale).

Des nouveaux mots, un nouveau genre de politique

Il est intéressant de constater à quel point l’adjectif "national" revient en force dans le langage politique italien. Longtemps, à partir de la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, il fut ostracisé. Symbolisant l’Italie fasciste (le parti mussolinien était le Partito Nazionale Fascista), conspuée par une classe intellectuelle inféodée au Parti Communiste, personne ne songeait à l’utiliser dans le cadre d’un discours politique. Mais le mot semblerait s’être purgé de ses anciennes significations et a conquis une nouvelle vie. Après la grande opération marketing de 2011, lorsque l’Italie fêta ses 150 années comme Etat unitaire, "national" sort des limbes, et Matteo Renzi l’a publiquement invoqué dernièrement, souhaitant la transformation du Partito Democratico en "partito della nazione" (parti de la nation).

Sur le front opposé, Matteo Salvini rêve donc d’une Lega Nazionale : tous ensemble des Alpes à la Sicile, contre Bruxelles, l’euro, l’immigration sauvage… Quel changement réciproque de perspective ! Le centre-gauche, qui se voulait jadis globalisé, mondialiste, sans frontières, redécouvre les charmes de la nationalité, alors que la Lega s’aperçoit soudain que son costume septentrional est bien trop serré et que pour gagner il lui faut une dimension nationale. Si les problèmes et les aspirations de la Lombardie et de la Vénétie sont devenus les mêmes que ceux du reste de la Péninsule, qui donc, sinon la Lega peut se lever et parler au nom de tous ? Et surtout, dans un panorama à droite où les partis grands et petits pullulent et se déchirent, il y a une place de leader charismatique à prendre…

Matteo Salvini nouvel homme fort de la droite ? Il pourrait l’être, si le déclin de Silvio Berlusconi venait à se confirmer.

Une chose par ailleurs est certaine : MM. Salvini et Renzi incarnent une façon de faire de la politique en complète rupture avec les schémas du passé. Les vieilles règles du parlementarisme classique, de type britannique, qui a influencé la plupart des démocraties au XXème siècle, semblent surpassées, quant aux nouvelles règles, nous ne les connaissons pas encore. Les apprentis sorciers de la politique ont de beaux jours devant eux.

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