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Quand les dépenses publiques en viennent à être vues comme seul ciment des territoires : les racines d’un mal français
©Reuters

Pompier pyromane

Dans une interview donnée le 19 novembre au Figaro, François Baroin, président de l'Association des Maires de France déclare : "La dépense publique des collectivités locales est utile parce qu'elle tient les territoires, assure de la commande publique, crée de l'emploi et investit. Cela tire tout le monde vers le haut." Ce dernier doit rencontrer Emmanuel Macron mercredi . 22 novembre.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Ne peut-on pas voir ici un symptôme d'un mal français, indiquant que la grande majorité de ses responsables politiques jugent "utiles" leurs dépenses publiques, notamment au sein des collectivités locales ? 

Jacques Bichot : Le propos de François Baroin est en partie une vérité de La Palice : si les dépenses engagées par les collectivités locales étaient en totalité inutiles, cela voudrait dire que nous vivrions aussi bien avec des rues remplies d’immondices (pas de service de collecte des ordures), défoncées (pas de travaux de voirie), où les eaux usées déborderaient (pas d’entretien des réseaux d’évacuation des eaux usées), etc. La question est de savoir si les services utiles sont de bonne qualité et sont rendus à des prix convenables, et si, depuis les municipalités jusqu’aux régions, il n’existe pas trop de dépenses nocives, inutiles, ou dont l’utilité est faible par rapport à la dépense engagée. Elle est aussi de savoir si tous les services dont sont chargées les collectivités locales sont vraiment de leur ressort.

Pour les services typiquement administratifs, il se pose un problème de productivité. L’absentéisme est souvent exagéré, et l’ardeur au travail n’est pas toujours au rendez-vous. Le livre de Zoé Shepard, Absolument dé-bor-dée (Albin Michel, 2010), a mis très utilement les pieds dans le plat : il existe des services où travailler normalement est mal vu, ou « glander » est la norme, et où ceux qui s’en écartent se font taper sur les doigts – surtout s’ils ont le mauvais goût de  dévoiler le pot aux roses. Faut-il vraiment 1,9 millions d’agents dans la fonction publique territoriale, sans compter les emplois aidés ?

Il existe aussi des postes destinés à rémunérer des personnes qui travaillent en fait pour une bonne part au service d’associations que les élus veulent favoriser. Les mêmes associations bénéficient souvent de subventions discutables, pour des raisons d’affinités idéologiques, par clientélisme, ou par simple laxisme.

Et puis les collectivités – particulièrement les départements, avec le RSA – sont en charge de prestations qui ne correspondent pas vraiment à leur rôle, et dont la gestion partagée entre les collectivités et la sécurité sociale engendre des doublons – donc du gaspillage.

Un dernier exemple, car il faudrait plus d’un livre pour tout citer, est la mauvaise gestion financière. La façon dont bon nombre de collectivités d’assez grande taille se sont laissées « refiler » des emprunts toxiques par des banquiers soit malhonnêtes, soit incompétents, est le signe d’un grave manque de compétence.

Il est rare qu’un responsable territorial, élu ou fonctionnaire, reconnaisse qu’il a contribué à dépenser trop, à mauvais escient ou de façon inefficace. François Baroin, vu sa position, ne peut guère dire qu’on pourrait faire plus et mieux avec moins de personnel et moins d’argent ; il lui faut défendre « ses troupes » et dire en substance « touche pas à nos dépenses ». Mais il est probable que, dans son for intérieur, il sait parfaitement qu’il existe hélas des exemples de gabegie, et d’autres beaucoup plus nombreux de gestion nettement améliorable.

En quoi le processus de décentralisation à la française a pu être un moteur des excès de dépenses des collectivités territoriales ? En quoi ce processus a-t-il pu soutenir des politiques clientélistes en lieu et place d'une responsabilisation des acteurs, aussi bien du point de vue des électeurs que des élus ? 

Le grand défaut de la décentralisation « à la française » est la dilution des responsabilités. Prenons l’exemple de l’enseignement supérieur : la construction d’un nouvel établissement va presque systématiquement être co-financée par l’État, la Région, le département et la ville. Les surcoûts et les malfaçons qui résultent de cette collaboration potentiellement conflictuelle (chacun veut payer le moins possible mais pouvoir faire savoir que ce grand projet se réalise grâce à lui) sont conséquents.

L’insuffisance de responsabilité tient aussi à l’imbroglio des financements. Une région, un département, une commune, ne vit pas seulement de ses propres ressources, à savoir principalement les impôts locaux, mais aussi de transferts en provenance de l’État. Les gouvernements croient sans doute que cette dépendance financière des « barons » locaux permet de les contrôler. Malheureusement, elle permet surtout aux édiles d’avoir un coupable tout trouvé quand elles n’ont pas agi avec assez d’efficacité : c’est l’État qui n’a pas fait ce qu’il aurait dû. La situation serait beaucoup plus saine si, hormis quelques cas particuliers où des partages de la dépense sont logiques, l’intégralité du budget communal venait d’impôts communaux ; la totalité du budget départemental, d’impôts départementaux ; et tout l’argent des Régions, de taxes régionales. C’est cela qui rendrait les édiles véritablement tenus de bien gérer : ils auraient face à eux des contribuables qui voudraient en avoir pour leur argent.

Quelles sont les pistes pouvant être envisagées permettant de rétablir "structurellement" le problème des dépenses liées aux collectivités locales ? 

Une de ces pistes vient d’être signalée : instaurer des impôts locaux rendant les élus responsables devant leurs électeurs-contribuables. Ajoutons simplement, à ce propos, une variante de ce qui vient d’être proposé pour que le citoyen-contribuable contrôle la dépense territoriale : il serait envisageable de faire remonter l’argent de bas en haut.Les communes collecteraient la totalité des impôts locaux, les départements devraient se faire financer par les communes, et les régions par les départements. Ainsi le citoyen demanderait des comptes à l’élu de proximité – le maire – dont une des fonctions serait d’en exiger de l’échelon supérieur. L’Union européenne tient statutairement au principe de subsidiarité (traiter au niveau local tout ce qui peut l’être convenablement sans passer à l’échelon supérieur) : belle occasion de le mettre en pratique.

Une autre piste serait la mise en extinction de la fonction publique territoriale. Des salariés ordinaires feraient parfaitement l’affaire, et il serait plus facile de les manager que des fonctionnaires inamovibles. Actuellement, quelqu’un qui ne fait pas l’affaire est simplement mis au placard : il n’avance qu’à l’ancienneté, mais son traitement tombe chaque fin de mois sans qu’il ait grand-chose à faire. C’est désespérant pour les hommes et les femmes ainsi « placardisés », même s’ils ont la sécurité du revenu, car l’être humain a besoin de faire des choses utiles – et c’est aussi un gâchis de l’argent du contribuable.

Troisième piste, qui sera la dernière dans cette interview même s’il en existe bien d’autres :recruter une proportion assez importante de personnes ayant une expérience du travail en entreprise. Une commune n’est certes pas la même chose qu’une compagnie d’assurance, une imprimerie ou une agence immobilière, mais elle a besoin de compétences qui se forgent plus facilement dans le secteur privé. Quand une personne est anémiée, des transfusions peuvent améliorer son état ; pourquoi ne pas faire bénéficier nos administrations territoriales de davantagede sang neuf ?

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