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Le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, lors d'une conférence de presse. Le thème du grand remplacement commence à investir le champ économique.
Le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, lors d'une conférence de presse. Le thème du grand remplacement commence à investir le champ économique.
©Thomas COEX / POOL / AFP

Monde économique

Le thème du grand remplacement commence à investir le champ économique.

Michel Keyah

Michel Keyah

Michel Keyah est économiste.

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Le thème du « grand remplacement » est-il, petit à petit en train de devenir si central qu’il déborde la sphère des questions migratoires dont il est issu pour atteindre d’autres sphères, et en l’occurrence la sphère économique ? La question pourrait paraître doublement saugrenue.

Saugrenue parce que ce thème, quoi que l’on puisse en penser sur le fond, et pour autant que les mots ont un sens, entend désigner une chose bien précise : un écart de flux démographique entre les français dits « de souche » d’une part, et les immigrés issus d’Afrique et du Moyen-Orient d’autre part, devenus français ou non, écart qui mécaniquement signifierait qu’en stock ces derniers deviendraient progressivement majoritaires. Il est bien ici question de natalité et de flux migratoires, non d’économie.

Saugrenue parce que les questions économiques, si elles sont traversées par des débats, se fondent – du moins en principe - sur des instruments de mesure pointus, des débats nourris, de nature à épargner à ce champ de réflexion l’outrance que charrie le thème du grand remplacement.

Force est cependant de constater que le thème du grand remplacement, hélas, tel un mauvais génie, s’est échappé de sa lampe et commence à investir le champ économique. En voici quelques exemples, dans un domaine que l’on sait politiquement sensible : les questions numériques. Premier exemple : le cloud. Deux annonces de partenariat visant à mettre en œuvre la stratégie nationale en la matière ont été puissamment critiquées. La raison ? Dans les deux cas, en plus d’acteurs « bien de chez nous », les autorités ont accepté que deux acteurs américains (Google et Microsoft) s’y associent. Deuxième exemple : l’on a vu le secrétaire d’État au numérique stigmatisé sous prétexte que dans un match à objectif caritatif, il a revêtu un tee-shirt portant logo d’un sponsor se trouvant être une grande entreprise américaine du digital. Dans ces deux cas, les critiques ont fusé, et des termes tels qu’« occupant » ou « remplacement » ont été échangés.

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Qu’il soit permis de considérer ici qu’il ne s’agit pas de points anecdotiques, mais qu’encore une fois, les mots ayant un sens, ces débordements doivent nous inquiéter. Pour au moins deux raisons.

La première raison, c’est qu’en matière économique, les défis sont immenses et nécessitent des débats construits et des analyses au fond. Dans le domaine numérique, il est vrai que des mots excessifs sont souvent utilisés, y compris par ceux qui pourtant savent tout leur poids, pour camoufler un retard européen qui doit plus aux erreurs commises ici qu’à des entreprises américaines qui ont su développer des services que les gens plébiscitent. Que l’on songe ici aux déclarations récentes du ministère des finances évoquant les « empires du numérique ». Dans le domaine énergétique également. Si chacun a compris la nécessité d’opérer la transition énergétique, la façon dont la question de la place du nucléaire dans l’équation générale tourne trop souvent à l’idéologie et à l’invective.

La seconde raison, qui englobe la première, c’est que céder à la facilité des outrances langagières est bien au cœur de la crise de nos systèmes démocratiques. Dans nos démocraties blessées, l’on ne s’écoute plus. L’art de la conversation, si français, le gout de la nuance, l’obligation de courtoisie et de respect que tout un chacun doit à autrui s’efface progressivement devant une violence terminologique que l’instantanéité du net renforce.

Ne nous y trompons pas : nos systèmes démocratiques, nos économies ne sont pas si solides qu’ils puissent se permettre des dérapages et des raccourcis qui nous empêchent de voir la réalité de nos erreurs et de nos limites. La recherche de bouc émissaires, dans le domaine économique ou numérique, n’est pas moins nocive qu’elle ne l’est dans le domaine migratoire. Et il serait avisé de considérer l’image que nous renvoyons au reste du monde, par exemple à la Chine, que précisément nous critiquons pour la violence des politiques qu’elle mène, alors même que nous prêtons le flan à de telles facilités.

Michel Keyah, économiste

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