Quand le Covid-19 vient chambouler les recherches sur les maladies du cerveau <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Quand le Covid-19 vient chambouler les recherches sur les maladies du cerveau
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Santé

Le Covid-19 affecte durablement le fonctionnement cérébral, y compris l’aggravation de certaines pathologies neurodégénératives.

André  Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est Professeur de Neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, membre de la Society for Neurosciences US et membre de la Société française des Neurosciences dont il a été le Président.

 

Voir la bio »

Atlantico.fr : Quel impact a eu la Covid-19 pour la recherche sur les maladies mentales ?

André Nieoullon : Votre question est tout à fait pertinente, en ce sens notamment que la plupart des études visant à montrer l’impact de la COVID-19 sur le cerveau ont été centrées sur les aspects neurologiques et encore assez peu sur les aspects psychiatriques de la pandémie. Qui plus est, ce sont les effets à court terme qui ont été principalement signalés et ce n’est que relativement récemment que les cliniciens se sont penchés sur des conséquences à long terme de cette infection. C’est le cas notamment des troubles de l’odorat et du goût dont la persistance bien après l’infection par le virus SARS-CoV-2, plusieurs mois, voire maintenant dans quelques cas plus d’une année après, a signé une atteinte durable encore mal comprise du fonctionnement cérébral.

Pour ce qui concerne la sphère psychiatrique, les premières alertes ont été, certes, précoces, mais il a fallu attendre une étude américaine publiée dans The Lancet Psychiatry en novembre 2020 pour que la communauté des chercheurs et des soignants prenne une première mesure de l’atteinte de l’humeur et des fonctions cognitives. Ainsi, si des modifications du comportement de certains malades et, plus encore, de nombreux signes d’anxiété associés ou non à des troubles du sommeil, étaient notés, la tendance générale était d’imputer principalement ces signes cliniques au climat anxiogène généré par la maladie et aux contraintes (confinement, couvre-feu, etc.) liées aussi aux incertitudes quant à la possibilité de se relever d’une maladie susceptible de s’avérer mortelle. Mais ces signes étaient aussi présents dans la population générale, non affectée par la maladie, et nous en mesurons d’ailleurs toujours les conséquences dans de nombreuses populations fragilisées par le contexte ; telle, à titre d’illustration, celle des étudiants que l’on évoque beaucoup actuellement. L’étude a été focalisée sur les malades atteints de la COVID-19 et a analysé, rétrospectivement, les dossiers médicaux de plus de 60.000 d’entre eux. Les résultats ont été comparés à ceux d’autres populations de patients, dont ceux ayant souffert soit d’une simple grippe, soit de troubles respiratoires sévères mais hors COVID-19.

Les résultats ont montré, et cela a depuis été confirmé par de nombreuses équipes, qu’il existait en fait une incidence plus forte de la COVID-19 sur les troubles anxieux, les troubles de l’humeur ou encore les troubles du sommeil mesurés dans les 3 mois ayant suivi le rétablissement des patients. Ainsi, 18,5% des malades présentaient des troubles persistants parfois jusqu’à plus de 6 mois, majoritairement des troubles anxieux. Cette sur-représentation de patients présentant un tableau psychiatrique quelquefois aggravé de confusion mentale, de troubles de la mémoire et jusqu’à des signes de démence, s’avérait dans cette étude bien spécifique. Elle n’était pas observée ni chez les patients atteints de grippe, ni chez ceux ayant eu une forme d’atteinte respiratoire hors COVID-19.

La conclusion était alors que l’infection par le virus SARS-CoV-2 était à même d’être à l’origine de ces signes psychiatriques et cognitifs, rejoignant un constat plus large selon lequel l’infection COVID-19 affecte durablement le fonctionnement cérébral comme cela est invoqué pour d’autres tableaux neurologiques, y compris l’aggravation de certaines pathologies neurodégénératives. Mais, dans le cas des pathologies psychiatriques comme dans celui des signes neurologiques, il reste à démontrer l’impact direct de l’infection sur le cerveau. Les hypothèses privilégient actuellement plutôt un effet « indirect » de l’infection par le truchement de la sévère réponse inflammatoire de l’organisme, et du cerveau en particulier, qu’elle peut induire.

Cette étude souligne par ailleurs un point particulièrement intéressant : les chercheurs se sont intéressés à la mesure de l’incidence de la maladie dans la population générale US en 2020 et se sont posé la question de savoir si, comme dans le cas du diabète, de l’âge ou encore de l’obésité, les antécédents psychiatriques pouvaient être considérés comme des facteurs de co-morbidité prédisposant à une infection par le SARS-CoV-19 ? Les résultats nécessitent d’être vérifiés par de nouvelles études mais il est édifiant de constater à partir de ces travaux que, dans la population générale, et pour des raisons encore totalement obscures, le fait d’avoir préalablement à l’infection un diagnostic psychiatrique au moins dans l’année qui a précédé, augmente le risque de contracter la COVID-19 de 65%. Ce résultat est majeur et pose de nombreuses questions dont se sont emparés les chercheurs. De nouvelles publications devraient rapidement nous dire ce qu’il en est mais cette donnée est particulièrement intéressante.

Atlantico.fr : Les recherches liées au Covid-19 ont-elles fait avancer notre compréhension du cerveau humain ?

André Nieoullon : Assurément, l’un des enseignements que l’on peut tirer à ce stade de cette pandémie est que son impact sur le cerveau et son fonctionnement est beaucoup plus important qu’il a été estimé au tout début de cette maladie, tant en termes de signes neurologiques (impact sur les fonctions sensorielles, sensitives, les fonctions cognitives, les troubles de l’attention, du sommeil, les AVC, les maladies neurodégénératives, etc.) que de symptômes psychiatriques (troubles de l’humeur et des comportements, anxiété, dépression, etc.). La question de la vulnérabilité du cerveau aux maladies infectieuses avait déjà été soulevée par des observations relatives à d’autres pathologies infectieuses à grande échelle, notamment la grippe espagnole en 1918, mais la COVID-19 nous donne l’opportunité de revenir dans cette sphère, finalement assez peu étudiée jusque-là, de la vulnérabilité du cerveau aux infections virales, qu’elle soit directe par des virus dits « neurotropes » dont nous connaissons quelques exemples (virus herpès, virus de la rage, etc.) ou, possiblement, dans le cas du SARS-CoV-19, plutôt indirecte par le biais de la réponse inflammatoire massive que l’infection elle-même produit dans l’organisme. Et c’est plutôt là que pourrait se trouver l’origine des signes cliniques neurologiques et psychiatriques persistants « à long terme » après l’infection.

Atlantico.fr : Alors que s'ouvre la Semaine du cerveau(du 15 au 21 mars), quels champs reste-t-il à explorer ?

André Nieoullon : Merci de mentionner cet évènement qui, cette année encore et dans ce contexte sanitaire très particulier, après plus de 20 années, permet une fois de plus aux chercheurs d’aller à la rencontre de nos concitoyens. La Semaine du Cerveau est une manifestation internationale dans plus de 100 pays, organisée en France simultanément dans plus de 120 villes, sous l’égide de la très active Société des Neurosciences qui rassemble chercheurs fondamentalistes et cliniciens. Les travaux de très haut niveau sont ainsi présentés de façon directe et toujours très didactique, y compris à un public scolaire afin de le sensibiliser à cette recherche, pour informer sur les avancées des recherches et échanger, plus généralement, sur les enjeux de la recherche sur le cerveau, dans ce domaine si particulier des sciences de la vie. Mieux apprendre comment fonctionne le cerveau et comment nous abordons les grandes questions sociétales du monde dans lequel nous évoluons constitue assurément un enjeu que les chercheurs se doivent d’expliquer. Cet évènement est majeur et sa fréquentation de plus de 60.000 personnes en moyenne au cours de ces dernières années, atteste de l’engouement du public. 

Faire de la recherche dans le domaine des Neurosciences, n’est pas trivial. Les chercheurs ont conscience que cet engouement du public pour leurs travaux représente moins une soif de connaissances, de façon générale, qu’une réponse aux angoisses des patients et de leur famille, comme cela est vécu face au virus dans la période actuelle. Mais il est indéniable que se surajoute un sentiment de crainte de ne pouvoir faire la part de ce qu’il faut réellement attendre de la recherche dans un moment où celle-ci est parfois sévèrement mise en doute par des allégations irrationnelles allant jusqu’à prétendre que tout un chacun est victime d’une instrumentalisation des scientifiques, ce qui se traduit parfois par un sentiment de perte de son libre arbitre. Les rencontres avec les chercheurs servent aussi, de de point de vue, à promouvoir l’éthique de nos recherches et montrer notre déontologie face à ces mouvements visant quelque peu à décrédibiliser la science, en général, et les Neurosciences en particulier.

Philosophiquement, les Neurosciences produisent une certaine représentation de l’homme et elles contribuent aussi à élaborer une forme de représentation du monde où chacun se situe, au même titre que le philosophe lorsqu’il évoque le statut de la conscience et de la pensée. De ce point de vue, les Neurosciences, interfaces de nombreuses disciplines qui se rencontrent sur leur objet d’étude (mathématiques, informatique, biologie, neurologie, psychiatrie, sciences du comportement, etc.) ont maintenant l’ambition de devenir à part entière des « Neurosciences sociales ». Et si la pensée est bien une émergence de la matière, elle ne saurait cependant s’y résoudre et correspond plutôt à une propriété des réseaux neuronaux qu’il nous reste à tenter de comprendre, pour rejoindre l’un de nos maîtres à penser, Jean-Pierre Changeux. Mais le fait que nous le sachions ne garantit pas que cela nous soit accessible…

Au total, pour tous ceux qui souhaiteraient bénéficier de cette opportunité unique de s’informer et de débattre, le plus souvent cette année à distance du fait du contexte sanitaire, nous vous invitons à consulter le programme de cette manifestation faites de plusieurs centaines d’évènements,  et de contribuer, si vous le souhaitez, à cette manifestation bénévole et gratuite au travers d’un don (défiscalisé) au Fonds de dotation « NeuroCitoyen » dont l’objectif premier est de rapprocher les chercheurs en Neurosciences de la société civile, économique et politique, afin d’apporter un éclairage d’experts sur les grands questionnements de la société.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !