Quand la culture remplace la foi ou la malédiction du catholicisme occidental <!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme prend en photo un tableau du XVIe siècle de l'artiste italien Lorenzo Lotto "Le Christ et la femme adultère" au Musée national du Château Saint-Ange à Rome.
Une femme prend en photo un tableau du XVIe siècle de l'artiste italien Lorenzo Lotto "Le Christ et la femme adultère" au Musée national du Château Saint-Ange à Rome.
©FILIPPO MONTEFORTE / AFP

Bonnes feuilles

Chantal Delsol publie « La fin de la chrétienté » aux Editions Débats Lexio. Après seize siècles de chrétienté, notre société connaît une véritable inversion normative et philosophique. Ce changement brutal est, pour certains, difficile à accepter. Le christianisme d'aujourd'hui doit bâtir un nouveau mode d'existence. Extrait 1/2.

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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La question qui revient sans cesse est la suivante : peut‑il y avoir un christianisme sans chrétienté ? Le christianisme n’est‑il pas établi sur la mission, sur l’extension sans fin ? Et finalement, en général, on conclut : Nous serons bientôt comme les premiers chrétiens… Une sorte de retour en arrière, en somme, mais plus que cela : une renaissance, avec ce que cela suppose d’espérance (retrouver la ferveur des débuts ? Voire faire mieux que la première fois ?).

Il y a cependant bien des différences entre notre maigre petit peuple repoussé aux marges et les premiers chrétiens. Et cette comparaison appelle une réflexion sur ce que nous sommes, nous qui formons ce maigre petit peuple, ce « petit reste ». Au‑delà des questions purement sociologiques, on est bien obligé, alors que la chrétienté est passée, de s’interroger sur le devenir du christianisme lui‑même –  en Occident j’entends, car dans d’autres continents, la situation n’est pas du tout la même.

Dans notre mythe originel, il y a le « petit reste » qui permet de tout faire revivre, dans la continuité et dans la nouveauté à la fois. Cela se passe toujours après un désastre, par exemple avec l’histoire de Noé. Le prophète Amos est le premier à employer l’idée de « reste », dans un contexte de guerre. Pour Jérémie, le seul avenir se trouve entre les mains de ce « reste », à présent exilé –  Dieu fera une nouvelle alliance avec le reste, les bons fruits. Le prophète Sophonie, avant l’exil, livre une description attrayante de ce « reste » : il sera humble et modeste, et ne men‑ tira plus. Les chrétiens sans chrétienté seront‑ils ce « petit reste » décrit par l’Ancien Testament ? On peut l’imaginer. Selon notre tradition, c’est grâce à ces quelques‑uns, des esseulés, que finalement tout renaît. Mais aujourd’hui, qui sont‑ ils ? Ressemblent‑ils aux premiers chrétiens ?

Le christianisme en Occident a subi une transformation importante, quoique peu visible parce qu’elle touche à l’intime. Il s’agit d’un efface‑ ment de la foi derrière la culture.

Un sondage CSA déjà vieux de plus de dix ans montre que parmi les catholiques déclarés, qui représentent aujourd’hui 50 % de la population française (ils étaient 70 % en 2000), la moitié dit ne pas croire en la résurrection (qui, je le rappelle, représente la clé et la pierre angulaire de cette religion). Seulement un sur cinq déclare croire en un dieu personnel, et pour la plupart ils voient Dieu comme un esprit ou une force. Un tiers d’entre eux seulement croit en la Sainte Trinité et en la virginité de Marie. Seul un très petit pourcentage des catholiques qui se disent croyants pense que le catholicisme est la seule religion vraie. Par ailleurs, la plupart de ces catholiques avoués approuvent des réformes que l’Église refuse : 80 % d’entre eux réclament l’ordination des hommes mariés et l’ordination des femmes. Tous les sondages réalisés depuis confirment la tendance. Ces chiffres recueillis en France ne signifient pas que les croyants catholiques seraient différents ailleurs en Occident : en 2019, une étude menée par le Pew Research Center a montré que seul un catholique américain sur trois croyait à la doctrine de l’Église sur l’Eucharistie et la transsubstantiation.

On va penser : mais que signifie cela ? Qui sont ces esprits qui se disent catholiques croyants et qui ne croient plus aux vérités dont le catholicisme est dépositaire ?

Cela révèle un catholicisme qui a cessé d’être dogmatique et même cultuel (la moitié de ceux qui se disent catholiques ne se rend à l’Église qu’en de grandes occasions) pour devenir essentiellement culturel.

Il est impossible, et même obscène, de tenter de mesurer la foi. C’est pourquoi les avancées du scepticisme, dans les siècles précédents, ont été impossibles à mesurer et même à observer. Peu d’auteurs en parlent. Au début du xixe  siècle déjà, Théodore Jouffroy disait qu’une incrédu‑ lité devant les dogmes commençait à émerger et à se développer au moins depuis le xve  siècle, sans doute avant, avec une acmé au xviiie  siècle, et à partir du xixe  un sentiment qui ressemble davantage à de l’indifférence qu’à du scepticisme – c’est bien cette indifférence qui règne aujourd’hui.

Cependant, c’est une chose de voir nombre de catholiques se détourner de leur religion et devenir agnostiques –  voire, parfois, athées  – et de voir nombre de catholiques demeurer catholiques tout en disant ne plus croire aux dogmes essentiels… Qui croit encore à l’enfer aujourd’hui, parmi les catholiques ?

Probablement sommes‑nous témoins et acteurs d’un processus historiquement bien connu : l’affaiblissement progressif de la croyance, qui laisse les esprits toujours pratiquants mais dès lors sceptiques. Il est probable que, dans la Grèce du ve  siècle avant J.‑C., Socrate ait représenté cet esprit dubitatif devant les dieux, et il l’a d’ail‑ leurs payé de sa vie. Dans la Rome de la fin de la République, Cicéron disait que deux augures ne pouvaient se rencontrer sans sourire l’un de l’autre – parce que leur tâche consistait à « faire semblant ». On ne peut pas, naturellement, comparer terme à terme les mythes des Anciens et les vérités des chrétiens, qui sont de nature différente. L’un et l’autre ne traduisent pas le même type de croyance, puisque les mythes ne sont que des histoires « ni‑vraies‑ni‑fausses », tan‑ dis que les vérités sont des réalités (Achille est un personnage de conte, tandis que le Christ a réellement existé). Néanmoins on décèle, au fil des siècles, le même effacement progressif de la ferveur à croire : à la fin, chez les Anciens, « le mythe n’était plus qu’une superstition de demi‑lettrés », écrit Paul Veyne.

Nous sommes témoins et acteurs de ce processus que Guillaume Cuchet appelle « la plausibilité décroissante de la foi ». Tout se passe comme si la sophistication d’une culture et sa rationalisation entraînaient historiquement un déficit dans la croyance commune – les dogmes sont de moins en moins crédibles. Emmanuel Mounier, dans ses Notes scandinaves de 1959, décrivait ainsi l’esprit religieux des Suédois, la nation la plus heureuse de l’Europe : « […] une religion qui complète heureusement la sécurité sociale : en Suède on ne parle plus de « mystères » que dans les romans policiers, il y a des cultes mais plus de foi … »

Alors, la croyance –  ici la foi, qui est une croyance supérieure et même d’un autre ordre –, quand elle s’efface, ne laisse pas derrière elle le vide, mais plutôt la culture qu’elle avait créée. Nombre de personnes qui se disent catholiques croyantes sont en réalité catholiques de culture et non plus de foi. La culture serait l’écume qui demeure quand la mer s’est retirée. 

Extrait du livre de Chantal Delsol, « La fin de la chrétienté », publié aux Editions Débats Lexio

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