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Quand la Belgique n’en peut plus de servir d’asile aux orphelins de l’université française
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Sans famille

Les autorités belges envisagent de nouvelles mesures pour limiter ces étudiants français qui affluent en Belgique parce qu'ils ne réussissent pas à intégrer les filières de leur choix dans notre pays, comme l'orthophonie, où les Français représentent jusqu'à 90% des effectifs. Doit-on vraiment se satisfaire de la sélectivité de nos filières ?

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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La presse belge se fait largement l’écho d’une invasion dont le pays est victime: celle des étudiants français, dans les filières paramédicales, qui contournent les concours d’entrée dans les universités françaises en s’inscrivant en Belgique, où ces concours n’existent pas. À Bruxelles, 800 Français se sont inscrits en orthophonie (appelée logopédie au plat pays) pour quelques Belges seulement. À Liège, 200 Français ont campé devant les portes de l’institut qui dispense cette formation la nuit précédant l’ouverture des inscriptions.

Globalement, près de 10 000 jeunes Français émigrent chaque année en Belgique pour accéder à des formations qui leur sont fermées en France. La Belgique a bien tenté d’instaurer des quotas de Français, mais la Cour Européenne de Justice les a interdits en 2011. Et il ne reste au ministre belge de l’Enseignement Supérieur, M. Marcourt, qu’à proposer leur instauration à nouveau, pour 2013, selon un sens confondant du respect du droit communautaire.

Il existe deux lectures possibles de ces épiphénomènes comiques.

Dans la lecture optimiste, les Français peuvent se féliciter du niveau de leurs études universitaires qui instaure une sélection telle qu’une partie de la jeunesse tente sa chance à l’étranger faute de pouvoir réussir dans son propre pays. Ceux qui contestent les rigueurs du fameux classement de Shangai des universités du monde où la France, avec à peine 3 établissements classés parmi les 100 premiers établissements mondiaux, se ridiculise, trouveront dans l’exportation de nos étudiants vers la Belgique un motif à se rassurer.

Dans la lecture pessimiste, au contraire, l’invasion des universités belges par les étudiants français constitue un double signal d’alarme qui corrobore les conclusions du classement de Shangai: l’université française ressemble de plus en plus à une baleine échouée sur les plages académiques mondiales.

Première raison à l’appui de cette lecture: la France n’a pas de politique claire de mobilité internationale pour ses étudiants, en-dehors de ceux des grandes écoles. Seuls 75 000 Français environ partent à l’étranger chaque année pour suivre tout ou partie de leurs études: 25 000 avec le programme Erasmus, 50 000 en dehors d’Erasmus. Un tiers seulement de ce petit noyau se dirige vers un pays anglophone, et un dixième vers l’Allemagne, soit moins que vers la Belgique, comme le montre l’excellent document de Campus France.

Autrement dit, la mobilité des étudiants français n’est ni un vecteur d’apprentissage de l’anglais, ni un trait d’union avec notre principal partenaire économique.

Plus inquiétant, l’université française est en train de passer à côté du développement mondial de la mobilité étudiante.

Certes, la France accueille environ 250 000 étudiants étrangers chaque année, ce qui fait d’elle la 4è destination mondiale. Mais, depuis 2006, le nombre d’étudiants étrangers attirés par la France stagne ou recule, alors que 700 000 étudiants de plus qu’en 2006 font une mobilité internationale.

Autrement dit, alors que le nombre d’étudiants étrangers a augmenté de 30% en 5 ans, la France perd des «parts de marché». Elle a d’ailleurs perdu une place au classement mondial de l’attractivité, puisqu’elle était encore troisième destination mondiale en 2006.

Pire encore, les 250 000 étudiants que la France reçoit ne peuvent guère donner l’illusion que l’université française soit réellement attractive. En effet, la grande majorité de ces étudiants provient de nos anciennes colonies pour qui la France continue à constituer une sorte de débouché naturel. Près de 25% des étudiants étrangers qui viennent en France sont marocains, tunisiens, algériens ou sénégalais.

La France reçoit plus de 100.000 étudiants étrangers chaque année, et l’inepte politique de Claude Guéant en la matière n’a pas entraîné de baisse de plus de 2 ou 3%. À elle seule, l’université française accueille plus d’étudiants africains que les universités américaines, britanniques et allemandes réunies.

En revanche, les universités françaises se révèlent extraordinairement peu attractives pour les étudiants des pays émergents. Elle n’est par exemple que le 7è pays d’accueil des étudiants asiatiques, à égalité avec l’Allemagne, avec à peine 3% des flux captés, quand la Grande-Bretagne en capte le quadruple.

D’une certaine façon, l’université française s’est spécialisée de façon outrancière dans l’accueil des étudiants africains, qui représentent près de 40% de la masse de ses étudiants étrangers.

Hors Afrique, l’université française accueille environ 140 000 étudiants étrangers. L’université allemande, hors Afrique, en accueille 180 000. Hors Afrique, l’université française n’est que la 5è destination mondiale d’étudiants étrangers, une place en chute libre depuis près de 10 ans.

Si l’on admet que l’enseignement supérieur constitue une voie durable d’influence sur les étudiants étrangers qui sont accueillis dans un pays, ce désintérêt de l’université française pour son influence à l’extérieur, joint à son absence de vision pour une internationalisation réussie de ses étudiants ne manque pas d’alarmer sur ce que sera la place de la France dans le monde pour les quarante ans à venir. Là encore, nous paierons cher l’abandon consenti des grands piliers de notre politique de puissance et d’influence à deux corps de fonctionnaires totalement dépassés par ces questions: les universitaires et les préfets. 

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