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Quand François Hollande fait la tournée des capitales de l’Union : ce que peut vraiment espérer le chef de l'Etat de son nouveau plan pour changer l’Europe
©Reuters

Le changement, c’est pour quand ?

François Hollande entamera à compter du mardi 19 juillet une tournée européenne dans le but de donner une "nouvelle impulsion" à l'UE, après la déflagration politique suscitée par le résultat du référendum du Brexit. Cinq pays seront visités par le chef d'Etat : la Slovaquie, la République Tchèque, l'Autriche, l'Irlande et le Portugal.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : Ces déplacements pourraient-ils être l'occasion pour la France de trouver de nouveaux soutiens en vue du sommet européen de Bratislava en septembre prochain ? Quelles sont ses chances d'y arriver ?

Christophe Bouillaud : Cette démarche présidentielle vise à créer les conditions d’un meilleur rapport de force dans les discussions qui vont venir assez rapidement entre dirigeants européens. Il y a en fait quatre pays à direction socialiste ou assimilé : l’Autriche, la République tchèque, la Slovaquie et le Portugal, qui ont chacun des raisons différentes d’en vouloir à la direction qu’Angela Merkel a fait prendre à l’Union européenne. Un autre pays, l’Irlande, dirigé par la droite, est bien sûr particulièrement concerné par les conséquences du "Brexit", mais aussi fait partie du groupe de pays ayant subi les conséquences de l’austérité à compter de 2011. Cette tentative peut avoir quelques succès, parce qu'Angela Merkel a fait l’erreur en 2015 de se montrer bien trop ouverte à l’arrivée de réfugiés sur le sol européen, ce que n’acceptent pas en pratique les gouvernements autrichien, slovaque et tchèque. C’est, rappelons-le, le gouvernement autrichien à direction socialiste, qui a mis un terme à la "route des Balkans".  A. Merkel a certes essayé de se rattraper depuis en négociant un accord pour le moins léonin avec la Turquie, mais cette erreur stratégique majeure a sans doute largement réduit son crédit auprès des dirigeants de ces pays d’Europe centrale, pourtant généralement des bons soutiens de l’Allemagne. Le Portugal n’a bien sûr pas les mêmes raisons d’en vouloir au "merkélisme", puisqu’il s’agit pour ce pays de sortir des rets de l’austérité. Au total, F. Holande semble vouloir rassembler contre A. Merkel une coalition des mécontents.

Roland HureauxCurieux choix : pris tous ensemble, ces pays ne pèsent pas beaucoup. Seule l'Autriche importe mais on connait sa situation politique : la possible élection d'un candidat nationaliste à la tête de l'Etat. Je serais étonné que ce pays appuie très fort un processus de concentration des pouvoirs européens.On a assez dit au cours des derniers mois que Hollande était un mou, toujours à la remorque d'Angela Merkel. Ce sentiment qu'à cause de lui la France n'existe plus sur la scène internationale est sans doute une des raisons de sa très faible popularité. A mois d'un an d'une élection présidentielle à laquelle il compte visiblement se présenter et même gagner, on peut penser qu'en prenant cette initiative sans l'appui allemand, il tente de montrer qu'il existe sur la scène européenne. Pour ce qui est d'une relace d'l'Europe institutionnelle à la suite du Brexit, il est vrai que les partisans de Bruxelles, commission en tête, ont ressenti le Brexit comme un affront et qu'ils cherchent à rebondir. C'est ce que compte proposer Hollande.

Or si l'Italie suit, l'Allemagne est plus réservée. D'abord , il y a encore un reste de bon sens à Berlin où on n'a vraiment jamais considéré l'Europe de Bruxelles sous l'angle idéologique, comme un grand dessein à réaliser, à l'instar de ce que nous faisons, nous, en France, y compris au dépens des intérêts de la France, mais comme une occasion d'avancer sournoisement les intérêts de l'Allemagne.

Or sur le plan des intérêts stricts, Berlin a de quoi être satisfait : l'Allemagne exerce une hégémonie économique de fait, elle inspire presque toutes décisions, y compris les plus aventureuses comme l'accueil d'un million de refugiés ou l'accord désastreux avec la Turquie ; une plus grande "démocratisation" de l'Europe, comme certains pays méditerranées le demandent, ne lui apporterait rien, au contraire.

En outre, il se peut qu'on comprenne mieux à Berlin cette évidence : les peuples, le dernier étant le peuple britannique, se révoltant contre des pouvoirs excessifs de Bruxelles, la solution n'est pas d'en rajouter encore une couche : armée européenne, force de police européenne, politique fiscale unifiée, ministre des fiances de la zone euro, tout ce dont il est question actuellement. C'est là une évidence mais pour les idéologiques, ça a été toujours le contraire : quand un système idéologique connait des dysfonctionnements, il n'a d'autre remède que toujours et encore plus d'idéologie et de centralisme. C'était le syndrome de l'agriculture soviétique : très mal en point en raison de la collectivisation, on ne lui proposait jamais d'autre remède que plus de collectivisation. Jusqu'à la "chute finale". J'évoquais les motivations électoralistes de Hollande mais il ne faut pas négliger non plus ses motivations idéologiques : il est un enfant de Delors , plus encore que de Mitterrand et , pour lui, l'Europe est plus importante que le socialisme ; il fait donc tout à fait sienne cette démanche idéologique qui ne se résigne pas au Brexit et cherche, de manière absurde, à surmonter le traumatisme "vers le haut", par plus d'intégration. Or il n'est pas sûr que tous nos partenaires soient à cet égard sur la même longueur d'onde, notamment, nous l'avons dit, l'Allemagne.

Quelle forme cette "impulsion" pourrait-elle d'ailleurs prendre en l'état actuel des choses, entre un gouvernement allemand qui voit l'Union européenne comme une structure optimale, et ceux qui réclament un fléchissement de la règle des 3% de déficit pour relancer l'économie européenne ?

Christophe Bouillaud : Il me parait difficile de déconstruire officiellement tout l’édifice institutionnel qui a visé depuis 2010 sous l’impulsion allemande à contraindre tous les pays à respecter les paramètres dictés à Maastricht. Il est impossible de revenir à court terme sur un traité comme le TSCG. Par contre, il est possible de rendre inopérants tous ces dispositifs inspirés par l’ordo-libéralisme allemand. Une première occasion peut être la validation ou non par le Conseil de l’Union européenne des mesures demandées par la Commission à l’encontre du Portugal et de l’Espagne. Obtenir une majorité qualifiée pour bloquer ces mesures sera difficile, mais cela pourrait être un premier pas. Une autre façon d’en sortir, sans doute moins humiliante pour A. Merkel, serait de donner une toute autre dimension au "plan Juncker" d’investissement. Cela pourrait être l’occasion pour l’Allemagne de relancer massivement son investissement public sans avoir à dégrader ses comptes publics. 

Roland Hureaux : J'avoue que j'ai du mal à comprendre cette logique ; les Britanniques ne se sont pas du tout révoltés parce qu'on les empêchait d'avoir 3 % de déficit. Il est clair que ceux qui soulèvent cette question sont en dehors du sujet. Sur le fond, Berlin a, depuis quelques années, toujours le dernier mot. Quand il ne l'a pas, c'est que d'autres acteurs extra-européens interviennent par exemple Goldman Sachs qui, avec le Trésor américain, a imposé à l'Allemagne le maintien absurde de la Grèce dans l'euro et, malgré le mécontentement allemand, permet à Draghi, son ancien employé à la tête de la BCE, de poursuivre une course inflationniste folle (qu'on appelle quantitative easing), seul moyen de donner un moratoire à l'euro. Dans le cas d'espèce, je ne vois pas ce qui pourrait forcer la main à l'Allemagne qui craint comme la peste toute forme de laxisme budgétaire.

Le Brexit pourrait-il donner lieu à une recomposition des différentes positions en Europe, ou plutôt à un affermissement de chacun sur ses positions ? La position d'Angela Merkel n'est elle pas fortement contrainte par les prochaines échéances électorales ?

Christophe Bouillaud : Le Brexit signale à tout le monde, s’il en était encore besoin, que l’Union européenne ne profite pas à tous ses citoyens. Il n’est que d’entendre le premières déclarations de la nouvelle leader du Parti conservateur britannique, Theresa May, pour comprendre que certains dirigeants ont bien compris le message. La situation sociale des "perdants" de la globalisation vient de rattraper l’Union européenne. Il y a donc urgence à réagir, surtout pour les dirigeants européens qui sont les plus fragilisés par cette situation, dont François Hollande, mais aussi un Matteo Renzi qui, à mon avis, à un intérêt politique vital à ce que l’Union européenne fonctionne enfin en faveur des Italiens ordinaires. De son côté, Angela Merkel représente le seul grand pays de l’Union européenne, où la situation économique est favorable, où la satisfaction de l’électorat est majoritaire. Elle a donc du mal à tenir compte de l’urgence qu’expriment les autres dirigeants, et cela d’autant plus que les Allemands ne veulent visiblement pas payer pour les autres Européens. Chacun aura donc plutôt tendance à se raidir sur ses positions. 

Roland Hureaux : Et pas seulement celle d'Angela Merkel.  Ceci dit, je ne pense pas que l'Allemagne serait plus souple si elle n'était pas en période pré-électorale. Recomposition ? Raffermissement ? Ni l'un ni l'autre. Aucun intérêt vital n'est en jeu, en tous les cas à ce niveau. Hollande va faire des propositions pour une relance européenne.

Si elles sont suivies d'effet, tant mieux pour lui. Sinon, il changera d'idées. Il est clair que dans cette tournée, il ne défend nullement les intérêts propres de la France : seulement une conception idéologique de l'Europe. C'est là aujourd'hui un grand dilemme de la politique extérieure : ou bien je défends mes intérêts et rien d'autre ou bien je défends une vision idéologique du monde qui ne correspond pas forcement à mes intérêts. La France, depuis quelques années est dans cette deuxième conception. Mais c'est un peu de la pause: si elle n'est pas écoutée, elle rentrera dans le rang. Il semble que Trump soit sur la première ligne et Clinton sur la seconde. En tous les cas, il n'y aurait aucune cristallisation de positions des uns et des autres.

Outre le trio France-Allemagne-Italie, quelles positions peut-on voir émerger parmi les membres de l'Union européenne pour répondre à la sortie du Royaume-Uni ?

Christophe Bouillaud : Pour l’instant, pas grand-chose, parce que tous les dirigeants européens voient midi à leur porte et semblent tous incapables ou presque d’adopter une vision d’ensemble. C’est d’ailleurs tout à fait logique : faute d’avoir eu les moyens de compenser réellement les effets de centralité qui profitent à certains et pas à d’autres, l’existence de l’Union européenne et celle de la zone Euro en particulier ont eu des effets de divergence nette sur les conjonctures économiques et sociales des différents pays. Des pays comme le Luxembourg, la Suède, la Pologne ou la République tchèque ont profité à plein de l’UE pour changer de dimension économique, alors que l’Italie par exemple a accentué sa tendance à la stagnation visible depuis 1980. La crise économique engagée en 2007-08 n’a rien arrangé, bien au contraire.

Il n’est d’ailleurs même pas sûr que certains dégâts, comme ceux commis sur l’Italie du sud ou la Grèce, ne soient pas désormais irréversibles : le sous-développement y est inscrit pour des générations dans le sous-investissement humain des dernières années. Normalement, cela devrait être le rôle de la Commission européenne d’avoir cette stratégie d’ensemble, la "Commission politique" que voulait Jean-Claude Juncker lors de son investiture, mais il se trouve que les dirigeants des Etats n’entendent absolument pas lui laisser ce rôle, qu’ils soient à tête d’un grand pays ou d’un petit d’ailleurs. On va même avoir en octobre en Hongrie à l’instigation de son gouvernement le premier référendum destiné à permettre à un peuple de dénoncer une politique de la Commission ! Il est possible que V. Orban recule d’ici là, mais cela en dit long sur l’incapacité des dirigeants nationaux à admettre la primauté de l’intérêt général européen. 

Roland Hureaux
Je m'étonne que l'Espagne ne soit pas de la partie : c'est un grand pays européen et ses dirigeants ont toujours voulu plus d'Europe, au moins en paroles.

Tout cela est éminemment précaire car ce que chacun de ces gouvernements promeut, surtout celui de la France, de pair avec la commission de Bruxelles encore plus motivée, ce ne sont pas leurs intérêts fondamentaux mais un système idéologique confronté à une crise profonde. Le fond du débat, ce n'est pas tel gouvernement contre tel autre, ce sont tous les gouvernements contre la plupart des peuples. Et ne sont pas ces manœuvres, à vrai dire un peu dérisoires, qui vont régler le problème. D'ailleurs d'une façon ou d'une autre, tous les gouvernements que vous citez sont confrontés à des échéances électorales prochaines. Qu'ils n'aient rien d'autre à proposer que "plus d'Europe", en dit long sur le leur aveuglement.

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