Quand facebook profile vos “amis” pour déterminer votre capacité de remboursement et vous donner une note de crédit<!-- --> | Atlantico.fr
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Facebook vient de breveter une technologie permettant d'évaluer le risque de crédit d'une personne.
Facebook vient de breveter une technologie permettant d'évaluer le risque de crédit d'une personne.
©Reuters

Le prix de l'amitié

Aux Etats-Unis, Facebook vient de breveter une technologie permettant d'évaluer le risque de crédit d'une personne en fonction de la qualité et du passif financier de ses "amis".

Michaël Dandrieux

Michaël Dandrieux

Michaël V. Dandrieux, Ph.D, est sociologue. Il appartient à la tradition de la sociologie de l’imaginaire. Il est le co-fondateur de la société d'études Eranos où il a en charge le développement des activités d'études des mutations sociétales. Il est directeur du Lab de l'agence digitale Hands et directeur éditorial des Cahiers européens de l'imaginaire. En 2016, il a publié Le rêve et la métaphore (CNRS éditions). 

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Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » du « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).

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Atlantico : Un tel rapprochement entre vie virtuelle et démarches bancaires est-il réaliste et vous surprend-il ?

Franck DeCloquement : Rien ne me surprend plus à titre personnel. Il est en effet possible aujourd’hui - grâce à la technologie du net et les collectes de données de masse - d’établir des corrélations signifiantes et vérifiables, entre les affinités amicales que partagent une personne sur les réseaux sociaux, et ses comportements de consommation attendus en matière de remboursement… C’est une réalité. Nous entrons ici de plein pied dans le diktat de la solvabilité et son hybridation avec l’univers du "Big Data" prédictif.

Ainsi, Facebook vient en effet de déposer un brevet le 4 aout dernier, au Bureau américain des brevets et des marques (United States Patent and Trademark Office), qui pourra permettre aux prêteurs d’évaluer un client en fonction de la qualité de ses "amis" supposés sur le réseau et s’assurer ainsi que son "environnement social" est globalement bon payeur. Autrement-dit, un accord de prêt pourra bientôt vous être virtuellement consenti, entre autre chose, en fonction de la qualité de vos amis sur Facebook…  

Tout cela pose bien évidemment le problème des liens qu’il est possible désormais d’établir à l’avance ("scientifiquement" pourrions nous dire) et d’extraire  -  par l’usage d’algorithmes intelligents et apprenants -  entre un utilisateur lambda des réseaux sociaux comme Facebook, et son environnement amical direct.

Ainsi, certaines relations amicales peuvent "dire quelque chose" sur le souscripteur potentiel d’une offre de crédit et "prédire" ses comportements, dés lors quelles passent par le tamis de l’analyse mathématique, et le filtre du traitement statistique des données de masse. Autrement dit, le fameux "Big Data". L’objectif final recherché (EFR) pour le prêteur étant comme toujours d’évaluer par "effet d’affinité", la solvabilité individuelle du demandeur et le risque que représente pour lui une souscription de prêt en fonction des comportements objectifs et observables de consommation de son client, via le truchement de ses relations sociales… Dès demain donc, des sociétés privées de prêts et des établissements de crédits bancaires seront donc en mesure de scanner les listes d'amis de leurs clients et de connaître ainis leurs historiques financiers, afin de savoir s'ils se sont toujours correctement acquittés de leurs mensualités de remboursement. Magnifique perspective…

Un "meilleur des mondes" en quelques sortes qui pourra très bientôt être agrémenté d’analyses génétiques complémentaires de leurs prospects, sur lesquels certains GAFA du web se sont d’ores et déjà positionnés…  Nous ne sommes plus très loin des extrapolations fictives du film d’anticipation : "Bienvenue à Gattaca" d’Andrew Niccol.

Michaël Dandrieux : Personne ne sait véritablement à quoi pourront servir toutes les données qui sont, chaque jour, emmagasinées par ceux qui ont la patience et l’ambition de le faire. Leur modèle est de provisionner ces données — le plus de données possible sur le plus de choses possibles — afin de ne pas rater une lecture possible du monde. Il y a un consensus sur la question de la data qui est de croire que le sens naîtra lorsque nous trouverons les bonnes liaisons, les bonnes corrélations, et les schémas qui se répètent au sein des configurations sociales (les patterns). Si vous possédez un pattern, rien ne vous empêche de croire que vous avez une fenêtre sur le futur. Vous resserrez le faisceau de présomption, vous réduisez les chances que l’avenir vous surprenne.

Ce n’est pas du tout surprenant que Facebook tente d’aller dans la direction des banques avec le montage dont vous parlez. Le principe de la croissance bancaire est de produire de la dette, et donc de minimiser le risque du défaut de remboursement. On vous fait moins de bon coeur un prêt si vous êtes à l’article de la mort. L’espoir de Facebook est de trouver un pattern, dans l’ensemble immense des données que nous partageons, permettant d’établir notre solvabilité. C’est l’une des manières de valoriser leur trésor, qui sont les traces que nous leur laissons chaque jour. Ce projet suppose que notre comportement social et nos amis sont liés à notre solvabilité. Il suppose qu’il y a, par exemple, une corrélation entre la solvabilité de nos amis et notre solvabilité, donc que nous sommes liés à notre environnement immédiat. Ce qui suppose encore que les gens que nous fréquentons sur Facebook soient un environnement immédiat...

Comment cela marcherait-il au juste ?

Franck DeCloquement : Très classiquement, quand une personne lambda sollicitera un prêt, l’organisme prêteur pourra examiner alors les scores de crédit les membres du réseau social Facebook de cette personne qui sont connectés avec lui, via un nœud autorisé. Autrement dit, "l’environnement" de la cible. Si le score de crédit moyen de ces membres atteint un score minimum de crédit, l’organisme prêteur poursuivra alors l'examen de la demande de prêt de l’individu. Sinon, la demande sera impitoyablement rejetée. En définitive, ce score de crédit déterminera le taux. Cette note de crédit sera classiquement calculée par des agences qui évaluent la solvabilité des clients potentiels, selon les revenus, les autres emprunts contractés, les charges pesant sur le ménage, et bien d’autres critères encore. L’ingénierie financière n’est jamais à court d’idées en la matière…

Cette note de crédit influera en définitive grandement sur le taux d'emprunt qu’il sera possible de décrocher, selon le risque que présente le client pour l’organisme prêteur. A priori, cette nouvelle "fonctionnalité" offerte par les développeurs de Facebook serait envisagée de manière "positive" par ses promoteurs... Chacun pourrait ainsi choisir "d'activer" ou non cette "option" spécifique à destination des établissements financiers, dans le but avoué de soutenir sa demande personnelle initiale auprès d’eux, en prouvant à contrario qu’il évolue dans un milieu social de proches "solvables" et "bien sous tous rapports"...

De la même manière, il sera également parfaitement possible de choisir de ne pas voir apparaitre son profil Facebook dans les résultats des moteurs de recherche du web, auxquelles pourraient accéder de possibles évaluateurs. Mais également, des demandes d’ajouts amicaux "gênants", pouvant apparaitre comme "indigents" aux yeux d’organismes prêteurs... Réputation oblige ! De quoi soulever d’ores et déjà pour chacun de nous de très sérieuses questions éthiques, sur le prix de l’amitié selon Facebook.

Une telle exploitation des données virtuelles afin de "rassurer" un acteur économique a-t-elle déjà été observée par ailleurs ? Si oui, pouvez-vous en donner quelques exemples ? 

Franck DeCloquement : D’autres startups s'appuient en effet déjà sur les réseaux sociaux pour évaluer le potentiel de leurs clients respectifs, comme NEO Finance, une jeune entreprise californienne qui se base sur les profils et les réseaux Linkedin de leurs prospects.

Au Brésil par exemple, CETELEM (une filiale du groupe BNP Paribas) partenaire de SUBMARINO - le leader brésilien de l’e-commerce - se base également sur le comportement d’achat de ses clients pour octroyer des prêts et affiner ses critères traditionnels de "scoring" en usage dans les banques traditionnelles. Cela n’est donc pas nouveau. Mais cette nouvelle solution prédictive représente une alternative et un outil de mesure de plus, en matière de décision d’octroie.

En définitive, la montée en puissance des réseaux sociaux et la rapide progression des ressources qu’offre la généralisation du Big Data viennent bousculer les méthodologies traditionnelles des poids lourds européens du secteur en la matière, obligés d’adapter prestement leurs processus de décisions.

Ainsi CETELEM ne demande pas à connaître les revenus de ses clients, mais délivre ses cartes de crédit en se basant sur leurs comportements d’achat. Ce qui d’ailleurs n’a pas fait progresser les impayés semble-t-il. Certes, l’examen de la capacité financière de remboursement des emprunteurs reste un modèle dominant dans toute l’Europe. Et ceci, sur la base d’une péréquation de critères objectifs tels que l’âge, le nombre d’enfants ou le salaire. Néanmoins, des technologies "innovantes", "alternatives" et "complémentaires" parfois très surprenantes émergent très rapidement. C’est le cas dans l’exemple qui nous occupe ici.

Dans la lignée des techniques de neuromarketing classiques, les technologies du "web prédictif" en matière de traitement des données de masse – autrement dit, le "Big Data" – permettent d’extraire des relations complexes entre les parties prenantes, et certains comportements individuels spécifiques que l’on peut ainsi évaluer et qualifier à l’avance... Voila l’enjeu. C’est en outre le cas de ces nouvelles approches qui permettent de maitriser au plus juste, le risque pour le prêteur d’accorder ses crédits.

Un autre GAFA du web (GoogleAppleFacebookAmazon qui sont les quatre grandes firmes américaines auxquels on peu ajouter aussi Microsoft), aborde le crédit avec sa propre "codification" au Japon, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis. Mais aussi très bientôt, dans sept autres pays du globe, dont la France. La firme Amazon propose d’ores et déjà un service de prêts à la carte à sa clientèle de petites et moyennes entreprises. Son point fort réside dans une procédure simplifiée et des prêts accordés le jour même ; pour la grande moitié d’entre eux ; grâce à un système de "scoring" très novateur et performant. Numéro un mondial du commerce en ligne, Amazon ne demande pas de détail sur les résultats financiers des entreprises qui transitent par sa plate-forme, et qui souhaitent souscrire un prêt. La firme se contente essentiellement des informations qu’elle possède déjà sur elles. Et pour le remboursement, "Amazon Lending" prélève directement des mensualités sur les ventes réalisées par ces entreprises.

Michaël Dandrieux : Il s’agit ici d’un brevet que Facebook a racheté, et ce brevet se compose de use-cases, proposant de multiples applications imaginées pour la technologie en question. L’une d’entre elles mentionne un acteur de prêt. Nous sommes encore assez éloignés de la mise en pratique, ou de la légalisation. Surtout en France.

Ce qui est nouveau, ce n’est pas que des organismes dont le but est de réduire le risque cherchent de nouvelles manières de réduire le risque… Mais ces organismes viennent piocher dans un vivier d’indicateurs qu’il leur avait été, jusqu’alors, impossible d’atteindre : des données qui n’ont pas été fournies par l’administration, l’Etat, ou les organismes avec lesquels nous imaginons être en contrat. Ces données qui, d’habitude, ont un caractère solennel, ou officiel. Au contraire, Facebook imagine mettre au service des organismes de prêt des données issues de notre vie quotidienne, pas des données que nous déclarons : des données qui ont été recueillies, observées, la chronique de notre vie de tous les jours. Cela parait choquant parce que nous avons oublié que sommes aussi en contrat avec Facebook, et que l’exploitation de cette vie de tous les jours que nous leur racontons est leur commerce.

Nous peuplons les réseaux sociaux avec un tout un tas de vérités approximatives (et souvent théâtrales) sur ce que nous aimons, ce que nous écoutons et ce que nous lisons... Facebook pense que cet ensemble cohérent représente plus fidèlement la réalité que ce que nous déclarons solennellement, à froid. C’est à dire qu’il y aurait une personnalité un peu officielle, celle qui s’insurge contre la vanité des contenus que partagent nos amis ; et puis un fait social plus secret au cours duquel, par exemple, nous regardons quand même les vidéos des petits chats. La vérité est que nous regardons les petits chats, et Facebook le sait, au même titre que la liste des gens avec qui nous déclarons ne plus avoir de lien, et que nous suivons tout de même. Tout cela se cumule et permet de resserrer une approximation de la personne que vous avez en face de vous lorsque vous allez prêter de l’argent.

Une idée peut être faussée cependant, c’est l’idée que la personne que nous sommes sur les réseaux est “plus vraie” que notre figure civile, que ce modèle de calcul du risque est plus fiable que les autres, parce qu’il se base sur “ce que nous faisons vraiment”. Mais ce que nous faisons sur Facebook ne nous ressemble pas toujours. Il n’est pas dit que Facebook le pense, ni que les banques le croient.

Les citoyens peuvent-ils se prémunir contre une telle utilisation de leurs données personnelles enregistrées en ligne ?

Franck DeCloquement : Comme chacun le sait, les moteurs de recherches sont déjà capables de guider individuellement chaque utilisateur dans ses pérégrinations sur le web – et corrélativement de le "pister" en retour – afin de le mener tout droit vers ses préférences personnelles, en fonction de ses inclinaisons propres. Les habitudes de navigation des internautes n’ont donc plus aucun secret pour les grands opérateurs du web. Et cela pose naturellement pour chacun de nous, le problème de la confidentialité de nos données ainsi que leur traçabilité.

Néanmoins, si le fondateur de Facebook et ses équipes de développeurs décidaient à l’avenir d’activer cette nouvelle fonctionnalité, il reste encore aujourd’hui très difficile d’évaluer à ce stade quels en seraient les contours exactes et les ressorts réels de déploiement. "L’accord éclairé" des demandeurs de crédits et de leurs "amis" Facebook mis involontairement à contribution dans cette quête de prêt, pourrait être en effet nécessaire…   Car cette fonctionnalité pousserait les établissements financiers à enquêter sur la situation bancaire de très nombreuses personnes non concernées par une demande de prêt, effectuée par l’un de leur contact. Contact qu'elles pourraient en effet à peine connaître sur Facebook.

Enfin, certains se posent tout naturellement la question de la pertinence du lien entre les "amis souvent virtuels" que l’on côtoie sur Facebook, et la solvabilité corrélative de chacun d’entre nous.

Le fait que des contacts aient pu avoir des difficultés à rembourser leurs mensualités dans le passé, indiquerait-il à coup sur qu’une personne qui sollicite un prêt pour elle-même aura "statistiquement" les mêmes soucis de remboursements, et sera donc indubitablement "suspecte" ? Rien n’est moins sur… Et ceci reste encore à démontrer.

Dans un premier temps, la technologie devait être implémentée, testée et approuvée sur la plateforme Facebook, mais à destination des seuls abonnés américains. Pour autant, qu’en sera-t-il très bientôt pour tous les consommateurs dans l’espace européen ?  La question reste posée…

Michaël Dandrieux : Cela dépend des lieux, des lois qui évoluent, des données en question. Plusieurs des articles qui relaient ce dépôt de brevet sont a tonalité alarmiste. Ils mettent en garde les citoyens contre l’usage qui est fait de leur data. C’est un problème très actuel, qui préoccupe tout le monde, car c’est le problème de l’intimité.

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