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Qu'est-ce que le conservatisme ? La monnaie, bien universel et responsabilité nationale
©Reuters

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 

Le 20 mai 2018

Mon cher ami, 

Le Mezzogiorno européen 

Dix ans après le déclenchement de la terrible crise économique et financière, les pays d’Europe du Sud ne sont pas véritablement rétablis, au-delà des apparences. Certes l’Espagne a connu trois années de suite de croissance supérieure à 3%; mais le chômage y est encore de 16,7% de la population active. Le Portugal a redressé ses exportations et les investissements étrangers sur son territoire mais son chômage reste aussi à deux chiffres. Un peu plus à l’est de la Méditerranée, l’Italie connaît encore une croissance faible (1,5% en 2017) et les contrats précaires y sont légion. Quant à la Grèce, elle ne sort pas de l’endettement, le chômage y reste supérieur à 20% et 1,5 millions de personnes y vivent avec moins de 500 euros par mois.  

Vous savez tout cela et je n’ai pas besoin de vous rappeler que cette terrible situation de « mezzogiornification » de l’Europe du Sud, que les analystes anglophones ont résumée en désignant, par dérision, le groupe des PIGS (Portugal, Italy, Greece, Spain), est le produit d’une politique monétaire inadaptée, dogmatique, concoctée par la Bundesbank avec la complicité du Ministère des Finances français dès le début des années 1990. Innombrables sont les avertissements de grands économistes sur l’impossibilité de faire réussir l’euro: Le travail théorique le plus cohérent à opposer à l’euro est celui du prix Nobel d’économie Robert Mundell, qui, le premier, a essayé d’identifier une « zone monétaire optimale ».  L’économiste canadien est plus réaliste que bien des experts: il souligne combien il est important de s’assurer, avant de créer une monnaie unique dans une zone donnée, de ce qu’on y retrouverait la capacité d’adaptation que l’on observe, habituellement, dans une nation. Par exemple, la mobilité de la main d’oeuvre jouera-t-elle au cas où une monnaie unique rendrait le facteur travail trop cher dans tellle ou telle région? Le degré de diversification d’un sous-ensemble à l’autre de la zone monétaire considérée est-il suffisant, de manière à pouvoir tenir le temps d’un choc externe? 

Mundell, qui a formulé sa théorie dans les années 1960, avait averti dans les années 1990 et 2000, sur le fait que la zone euro n’était pas une zone monétaire optimale. Les experts de Paris, de Bruxelles, de Francfort n’en ont pas tenu compte. Les asymétries propres à la zone euro ont été immédiatement évidentes même si le discours officiel les camouflait derrière l’apparence des chiffres. La France, l’Italie, le Portugal se sont droguées au déficit public tandis que l’Espagne stimulait son économie par un boom de l’immobilier et la Grèce se mettait à la merci des banques allemandes et françaises. La crise de 2008 est venue remettre les pendules à l’heure, de manière terrible: Nicolas Sarkozy et François Hoillande n’ont pas pu être réélus; l’Espagne a mis en place une cure d’austérité telle que le pays est passé à deux doigts de l’éclatement; l’Italie s’est désindustrialisée de manère accélérée et connaît un terrible exode des cerveaux, en particulier des plus jeunes. Quant à la Grèce, elle présente le cas d’une société asphyxiée par ses créanciers dans l’indifférence générale des partenaires européens.  

Le redressement de l’Europe passera par le retour au réalisme monétaire

Peut-on s’en sortir rapidement? Le problème tient pricnipalement à ce que, dans la classe politique,  ni les partisans ni les adversaires de l’euro, ne comprennent bien de quoi ils parlent. De ce point de vue, le débat présidentiel entre Madame Le Pen et Monsieur Macron fut caricatural. Tandis que le futuir président français assenait des certitudes non démontrées sur les vertus de l’euro et se trompait en prétendant que le chômage était plus fort avant l’euro, son adversaire n’a pas été capable d’expliquer son idée de monnaie commune: les entreprises font tous les jours des transactions dans d’autres monnaies que celles du pays où elles sont implantées; rien donc n’empêcherait que les transactions entre entreprises et banques continuent à être effectuées en euros tandis que les transactions de la vie quotidienne seraient effectuées dans une monnaie locale; c’est très précisément un des mécanismes qui avait été proposé lors de la crise grecque de 2015: réintroduction d’une monnaie grecque permettant une dévaluation de fait tout en restant liée à l’euro comme étalon monétaire. C’est une situation qui ressemble furieusement à l’étalon-or de la grande époque, à l’échelle de la zone euro. Je ne crois pas, pour ma part, que ce soit la solution, ou en tout cas une solution durable car elle ne résout pas la question du change entre l’euro et les autres monnaies au niveau mondial. Cela pourrait être une solution intermédiaire, le temps de négocier la mise en place d’un étalon monétaire international. 

Adversaires comme partisans de l’euro se trompent: le débat n’est pas entre une monnaie nationale et une monnaie européenne. Ou plutôt, ils l’ont mené dans ces termes et se sont complètement fourvoyés. La monnaie tend à être un bien universel. On n’a rien inventé de mieux depuis Aristote qui a défini les trois fonctions de la monnaie: instrument de l’échange, étalon de la valeur, conservatoire de cette même valeur. Potentiellement ou réellement, les échanges sont universels et les instruments de mesure doivent l’être. Ce qu’on appelle la monnaie, au sens strict, doit être universel trandis que chaque pays peut développer ses propres instruments de paiement et de crédit. C’est la raison pour laquelle Charles de Gaulle, défenseur intransigeant de la souveraineté nationale, était partisan de l’étalon-or. Il voulait revenir à une monnaie étalon universel et instrument neutre de l’échange, qui ne puisse être manipulé par telle ou telle puissance, à commencer les Etats-Unis. De Gaulle ne voyait pas un point: l’étalon-or, malgré tous ses mérites, est déflationniste. Les grandes crises du capitalisme, depuis 1825, ont été des crises de liquidité suite à l’introduction de l’étalon-or en lieu et place de la multiplicité des référents métalliques qui avait carctérisé le monde jusque-là. Ce que De Gaulle sentait intuitivement, c’était le rsque de dérapage si le dollar devenait l’instrument arbitraire des échanges internationaux. Le Général serait horrifié par l’actuelle surabondance de liquidités et les multiples dysfonctionnments qu’elle engendre, à commencer par la montée des inégalités (pour maintenir la valeur d’une monnaie inflationniste, le seul moyen est de la concentrer entre quelques mains)

L’avenir monétaire du monde passe bien, comme le sentent la Russie et la Chine aujourd’hui, par le retour à des référents métalliques mais il faut le faire de manière très souple. La meilleure solution consisterait à créer une « unité de compte international » qui soit un panier des grandes monnaies du monde (dollar, yuan, yen, euro) auxquelles on adjoindrait par exemple l’or, l’argent et le platine. Cette unité de compte deviendrait la monnaie des grandes transactions internationales. Parallèlement, on reviendrait e,n douceur au pilotage national des instruments de paiement et de crédit. Au lieu de rester dans cet entre-deux-deux mortifère qu’est l’euro, on pousserait jusqu’au bout la logique de reconstitution de la monnaie comme bien universel après laquelle le monde court depuis la rupture du lien entre l’or et le dollar (1971); et l’on reviendrait à un pilotage sensé du crédit, adapté aux exigences de chaque nation. 

La conservation et la transmission de la valeur, premier objectif

La description de l’univers monétaire des prochaines décennies ne sera pas complète, d’ailleurs, si l’on ne fait pas de place à tout le potentiel de création d’instruments de paiement et de crédit que permet l’ère numérique. Le bitcoin est l’arbre qui cache la forêt. L’autonomisation des indfividus et des entreprises que permet l’ère numérique est  telle qu’il serait absurde de ne pas laisser des communautés, des régions, des banques, imaginer des moyens propres de paiement, au plus près des besoins des acteurs économiques. Ce à quoi doivent veiller les Etats, c’est que la convertibilité des moyens de paiement soit toujours assurée et l’impôt puisse être levé. 

Voilà, mon cher ami, trop rapidement formulés, les contours d’un nouvel environnement monétaire pour l’économie à la fois mondialisée et relocalisée que nous appelons de nos voeux. La période actuelle est caractérisée par un profond dysfontionnement monétaire: liquidités surabondantes liées au quantitative easing et aux taux bas, voire négatifs; absence de régulation des taux de change au niveau international; contrôle toujours renforcé et inefficace à la fois des Etats, qui ne veulent pas des cryptomonnaies mais sont incapables de connaître la part de marché noir et de troc sur leur propre territoire etc.... La monnaie fonctionne de plus en plus mal comme instrument d’échange et comme étalon de la valeur; et la troisième mission que lui assigne Aristote, la conservation de la valeur, est la plus malmenée. C’est aussi celle, évidemment, à laquelle nous autres conservateurs sommes le plus attachés. Lorsque nous pourrons à nouveau influencer les affaires du gouvernement autant que nous l’entendons, cela passera à la fois par l’encouragement aux instruments privés, numériques, de crédit et de paiement; par une diminution et une lisibilité de l’impôt; et par la réinstauration d’un système monétaire international stable dans la durée. Vaste programme! 

Je reste votre fidèle et dévoué

Benjamin Disraëli

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