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Qatar, Suède, États-Unis... Ces pays étrangers qui investissent dans les banlieues françaises
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Nouvel eldorado

Après les Américains et les Qataris, c'est au tour des Suédois de venir investir en Seine-Saint-Denis. Alors que les banlieues françaises continuent de faire peur aux investisseurs tricolores, les étrangers semblent porter un autre regard sur ce qui leur rappelle la Californie naissante. Regard sur un drôle de pari que les banquiers français hésitent à relever.

Majid El Jarroudi

Majid El Jarroudi

Majid El Jarroudi est délégué général de l'Agence pour la diversité entrepreneuriale (Adive).

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Atlantico : Après les Qataris, ce sont les Suédois qui s’intéressent à la Seine-Saint-Denis. Dès cet été, au travers de l’initiative « Yump », ils devraient offrir formation et financements à de jeunes entrepreneurs du célèbre « 9.3. ». Qu’est ce qui attire ces investisseurs étrangers dans notre banlieue ?

Majid El Jarroudi : Plus que la Seine-Saint-Denis, je pense que ce sont les quartiers d’une manière générale qui les intéressent. Ce département cristallise l’attention de tout le monde, aussi bien du fait de son effervescence que de sa proximité avec Paris.

Je pense que depuis les émeutes de 2005, le monde entier s’est interrogé sur ce qui se passait en France. Dans tous les pays, on s’intéresse naturellement à la France. Alors quand des émeutes urbaines éclatent, forcément, tout le monde se demande ce qu’il s’y passe. Les Suédois font un parallèle entre les talents qu’ils ont identifiés dans leurs propres quartiers et la situation chez nous. A l’ambassade de Suède, lors de la présentation de leur projet, ils ont évoqué l’exemple du footballeur Zlatan Ibrahimovic. D’origine étrangère, il a grandi dans les quartiers défavorisés de Malmö avant de devenir une véritable icône en Suède. Dans la continuité, les Suédois ont découvert d’autres sportifs et entrepreneurs issus de l’immigration très actifs dans ces quartiers. Dans l’imaginaire de beaucoup d’étranger, les quartiers français, c’est aussi la naissance de Zinedine Zidane, plus grand joueur de football au monde.

A partir de 2005, le monde entier s’est intéressé à nos quartiers. Mais pas forcément de la même manière qu’en France. Alors que nous regardons ce sujet sous les spectres de la délinquance et de l’immigration, un étranger va voir d’autres éléments : la création d’entreprise, la jeunesse de la population, le vivier possible de créativité. Les étrangers ont un regard parfaitement dépassionné : ils voient des talents qui ne trouvent pas les moyens de mener leurs projets.

Lorsque ces investisseurs viennent en France, ils n’ont donc aucune crainte quant au contexte de nos banlieues ?

Evidemment, il ne faut pas sombrer dans l’angélisme. Tout le monde est conscient des difficultés sociales qui règnent dans les quartiers en France. Pourtant, il ne faut pas oublier que 10% de la population y vit. Ce sont 4 millions de personnes qui sont concernées, l’équivalent d’un pays comme la Belgique.

Les Qataris, les Suédois, mais aussi les Américains avec qui nous échangeons beaucoup, s’intéressent à ces quartiers pour une raison pragmatique : ils estiment que pour être au plus près des tendances des consommateurs, il faut interagir avec des entrepreneurs issus de ces milieux. En France, nous n’avons pas cette approche, nous distinguons deux univers parfaitement distincts.

Toute la difficulté, c’est de faire comprendre que dans ces quartiers, il y a des entrepreneurs semblables à ceux de tout le pays. Ils sont pourtant confrontés à des problématiques très spécifiques,  notamment en termes d’accès au crédit. Les banques ne leur font pas confiance. Elles se dédouanent en proposant des programmes de micro-crédits alors que les autres pays, la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou encore la Suède, mettent en place des fonds d’investissement dédiés. Or on le sait parfaitement aujourd’hui, beaucoup de nouvelles tendances sont nées dans des quartiers populaires. C’est notamment le cas de Google.

Autre problème : le réseau. Comment faire pour que ces entreprises se développent en absence de réseau ? Pour des entrepreneurs de Seine-Saint-Denis, il reste difficile d’entrer en contacts avec les grandes sociétés dont les sièges sont à la Défense. Tout est très compartimenté et il faut trouver des moyens de casser ces murailles. Les investisseurs étrangers sont persuadés qu’il y a un intérêt économique à miser sur ces populations.

Comment se positionnent les investisseurs français par rapport à cette tendance ?

Il y a deux catégories. Il y a des avant-gardistes : des entreprises françaises qui souhaitent réellement mettre en place des actions positives en faveur de la diversité et des quartiers. Ils vont s’engager par exemple au travers de programmes d’achat responsable en confiant des sous-traitances à des sociétés montées dans les quartiers. Ces grands groupes communiquent peu là-dessus car elles ne souhaitent pas en faire des actions de communications mais bien des actions de business. Ces avant-gardistes sont peu nombreux.

Derrière, on trouve des suivistes. Ils observent les tendances et n’ont pas forcément les moyens et les ressources en interne de se lancer dans ce type d’actions. Ils restent hésitant et tiennent toujours le même discours : « oui, ça nous intéresse mais on n’est pas prêts, on ne sait pas trop comment faire ». Ils attendent que d’autres fassent la preuve du potentiel de retombées économiques découlant de partenariats avec ces territoires.

Justement, si la Seine-Saint-Denis a vu son nombre de sociétés augmenter ces dernières années (+9,5% entre 2009 et 2010, auto-entrepreneurs compris), beaucoup continuent de péricliter très rapidement. Quelles certitudes a-t-on sur ce potentiel ?

C’est effectivement une réalité. On sait qu’en France, en moyenne, une entreprise sur deux disparait au bout de cinq ans. Dans les zones urbaines sensibles, c’est une entreprise sur deux qui disparait au bout de trois ans. Le phénomène va beaucoup plus vite. Les chiffres se compensent grâce à un taux de créations d’entreprise beaucoup plus élevé que la moyenne nationale : parfois quatre fois plus que dans le reste de la France. Le chômage reste élevé aussi car beaucoup des créateurs ne sont pas des gens en recherche d’emploi. Ce sont majoritairement des gens qui ont le sentiment de ne pas avoir un emploi à la hauteur de leur potentiel et qui choisissent de quitter leur entreprise pour monter leur propre société.

C’est aussi une difficulté : comment faire pour permettre à ces entreprises de pouvoir embaucher à l’échelle locale ? L’accès au crédit est si difficile qu’elles peinent à pouvoir investir. Faute de débouchés commerciaux, il n’y a ni contrats en conséquence ni possibilité d’employer des personnes supplémentaires.

Il y a enfin une problématique de formation : comment former tous ces jeunes aux spécificités de l’entrepreneuriat ? Pour revenir à la Seine-Saint-Denis, il y a des tentatives de mise en place de passerelles avec les universités du département pour favoriser ce type de formations professionnelles.

A partir de là, pourquoi focaliser toutes ces initiatives sur la Seine-Saint-Denis ? Les jeunes de ce département doivent-ils recevoir plus de soutiens dans leurs démarches entrepreneuriales que d’autres jeunes du reste de la France ?

Je pense que la Seine-Saint-Denis joue actuellement le rôle de « showroom ». Ce département, très proche de Paris, bénéficie de moyens dont ne bénéficient pas encore d’autres territoires peut-être plus enclavés. Il y a un accès important aux transports : deux autoroutes et deux aéroports. Il faut aussi compter sur la présence de deux universités et sur celle des sièges de quelques-unes des plus grandes entreprises françaises. La population, enfin, est la plus jeune de France.

Des Américains m’ont fait remarqué que la Seine-Saint-Denis avait le même potentiel que la Californie avant la création de la Silicon Valley : forte population immigrée, jeunesse, universités, infrastructures, sièges de grandes entreprises. La seule différence, c’est que la Silicon Valley s’est spécialisée dans les nouvelles technologies. La Seine-Saint-Denis, elle, est une ancienne région industrialisée qui n’a pas su faire sa reconversion, faute d’investissement de la part des pouvoirs publics.

Il ne faut pas oublier l’anecdote du fondateur d’Ebay. Son fondateur, franco-iranien, n’a jamais trouvé de financements en France. Il a dû partir aux Etats-Unis pour trouver les soutiens nécessaires et devenir l’un des hommes les plus riches qui soient aujourd’hui. C’est toute la problématique en France : on ne sait pas faire confiance à la différence. Nous voyons dans l’immigration une source de peur là où les Américains, par exemple, y voient un moyen de conquérir des marchés dans les pays d’origine des personnes concernées. Or lorsque l’on est ouvert sur l’Afrique, un continent qui a 8% de croissance, il y a un potentiel non négligeable que nous avons du mal à saisir.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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