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Qatar-France : nouveau monde macronien ou pas, rien ne change vraiment
©FAYEZ NURELDINE / AFP

Visite prévue

Petits cadeaux, avantages fiscaux... Les relations entre la France et le Qatar sont parfois discutables sur le plan éthique. Peu de chance que cela soit différent sous la présidence Macron et toutes les lois de moralisation n'y changeront rien !

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Emmanuel Macron se rend aujourd'hui au Qatar et n'y restera que quelques heures.  Les relations entre nos deux pays sont souvent décriées dans la presse à cause de pratiques pouvant susciter des polémiques (diplomatie du portefeuille...) Quelles sont les chances pour que ces pratiques perdurent sous la présidence Macron ? 

Michael Lambert : Les pratiques vont perdurer pendant la Présidence d'Emmanuel Macron car celles-ci ne desservent pas les intérêts du président et en raison du potentiel militaire et économique que représente le Qatar. La France affiche d'excellent résultats dans le secteur militaire avec la vente de plusieurs produits comme le Rafale. Le Qatar est un pays avec des enjeux pétroliers conséquents et supporte la France dans la région, ce qui incite à une certaine prudence pour sécuriser les importations de gaz dans un contexte parfois difficile et dans une région instable. Les expatriés français sont nombreux à travailler dans le pays et le Qatar pourrait renforcer sa législation, ce qui ne serait pas dans l'intérêt du Président Macron au regard de sa politique économique dont les résultats se font attendre depuis plusieurs mois.

Lutter contre les petits avantages reviendrait donc à afficher une rupture des pratiques diplomatiques qui pourrait entraver les bonnes relations entre les deux pays et mener à la perte d'un pays ami et prospère (le seule raison pour laquelle la France apprécie celui-ci). 

Une autre conséquence du changement des pratiques diplomatiques serait la perde d'influence de la France qui est ancré culturellement dans les "petits États"du Golf (eg. Louvre et Sorbonne à Abu Dabi) au profit d'autres comme les États-Unis et surtout la Chine. Dans le contexte de la New Silk Road qui passe par la région, la France à intérêt à conserver autant d'amis que possible.

Quels sont les grands enjeux économiques de cette visite que l'Elysée promet "dense"?

La vente d'armes sera le point central de cette visite. Avec le conflit en Syrie et l'implication de la Russie ainsi que la nouvelle base militaire chinoise à Djibouti, le Qatar souhaite renforcer sa défense pour faire face à des armées modernes dans sa périphérie (Russie et Chine). Le pays se retrouve dans l'urgence à devoir acheter des système anti-missiles haut-de-gamme et moderniser son Armée de l'Air avec des avions capables de lutter contre des modèles de 4ème générations. Le Rafale français, l'Eurofighter, le Saab, et le F35 semblent les plus à même de remplir ce rôle pour protéger le pays contre une menace emergente. 

D'une manière assez naïve, la France souhaite également vendre des produits comme un nouveau Métro. Cette possibilité semble faible en raison de l'excellence de l'Allemagne dans ce domaine et de l'expertise grandissante de la Chine pour la technologie de pointe. L'influence de la France devrait ainsi se limiter au domaine militaire et culturel ou elle affiche un véritable soft power contrairement aux domaines mécaniques et informatique. 

D'un point de vue plus diplomatique, quels sont là encore les enjeux ?

Sur un plan diplomatique, la France doit rester présente dans la région au risque de perdre son influence militaire, économique et culturelle face à la Chine et le projet de Nouvelle route de la soie. La Chine devrait devenir l'acteur principal et supplanter la France et les États-Unis d'ici la prochaine décennie. La France et les experts du MAE n'ont pas pour ambition de lutter contre l'influence chinoise, mais de devenir la puissance juste après la Chine pour conserver une importance moindre mais sans pour autant disparaître (une stratégie similaire à celle dans les pays d'Europe de l'Est ou elle apparaît en toile de fond mais jamais comme acteur principal). 

La France est un pays qui dispose d'un soft power faible en Amérique, en Asie et Eurasie (Russie et Asie Centrale) mais autrement plus forte au Moyen-Orient. Cette influence française l'amène à concentrer son attention au détriment de l'Europe de l'Est. Un situation paradoxale car un conflit au Moyen-Orient n'aurait qu'une influence moindre et n'impliquerait pas de puissances nucléaires (contrairement à la Russie en Ukraine). 

On constate un effritement de la France dans la région ou elle s'efface progressivement face à la Chine. La Présidence de Macron sera donc sans aucun doute celle de la transition de la France vers la Chine au Moyen-Orient. Dans une perspective historique, les Empires ne disparaissent économiquement et culturellement qu'après quelques décennies (à l'image de la Russie qui reste influente dans l'espace post-Soviétique). Nous subissons donc les effets de la chute de l'Empire colonial français dans les années 1960 en nous faisant progressivement remplacer par des pays comme la Chine. Cela incite la France à tenter de conserver une influence moindre mais avec une refus de disparaître compréhensible. 

Pour résumer, la France est en train d'adopter les stratégies d'un petit pays ou le Moyen-Orient se divise désormais entre Grandes puissances que sont les États-Unis avec l'influence culturelle, la Chine avec la Nouvelle route de la soie, et la Russie avec son armée en Syrie.

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