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Purge, dénonciation, favoritisme : quand l'ex directeur de Sciences Po Richard Descoings et sa femme faisaient régner la terreur sur la célèbre école
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Bonnes feuilles

RICHIE. C’est ainsi que ses étudiants le surnommaient, Richard Descoings, scandant ce prénom, brandissant sa photo, comme s’il s’agissait d’une rock star ou d’un gourou. Le soir de sa mort énigmatique dans un hôtel de New-York, une foule de jeunes gens se retrouva, une bougie à la main, devant le temple de la nomenklatura française, Sciences Po. Extrait de "Richie", de Raphaëlle Bacqué, publié chez Grasset (2/2).

Raphaëlle  Bacqué

Raphaëlle Bacqué

Raphaëlle Bacqué est grand reporter au Monde. Elle est l’auteur de plusieurs livres, parmi lesquels La femme fatale (avec Ariane Chemin), sous la couverture jaune : Le dernier mort de Mitterrand (Prix Aujourd’hui).

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Il est le « roi Richard », elle la « tsarine ». Lorsqu’on veut être moins aimable, ils deviennent « Nicolae et Elena », le couple Ceausescu de sinistre mémoire. C’est la revanche des troupes malmenées sur leurs dirigeants.

Depuis que leur directeur s’est marié, beaucoup de ses supporters des débuts font porter à Nadia le chapeau trop grand de sa propre tyrannie. « Elle est son soleil noir », jurent-ils dans les couloirs. Il est vrai qu’elle contrôle les agendas de son mari, impose son comportement erratique et ses interventions constantes dans les réunions. Elle peut débouler dans le bureau d’un collaborateur en hurlant, afin que tout le monde entende la scène à travers les cloisons. Beaucoup se sont mis à détester cette femme passionnée et colérique.

Richard peut bien vouvoyer sa femme, ils gouvernent à deux. Elle a pour lui un amour et une admiration qui dépassent parfois l’entendement. Il a pour elle une estime et une confiance dont la principale démonstration réside dans l’absolue liberté qu’il lui laisse.

Une fois tous les quinze jours, on réunit les chefs des services pour une séance désignée depuis toujours sous le nom de « bobinette ». La réunion est devenue un long monologue du directeur, entrecoupé d’appréciations de son épouse et, plus rarement, des précisions du directeur des études Laurent Bigorgne qui s’épuise à satisfaire les exigences du couple. C’est là que se mesurent les grâces et les disgrâces. Si Richard y assassine un collaborateur de son ironie mordante, on peut parier que le malheureux aura disparu de la bobinette quinze jours plus tard. Il est devenu impossible de les contredire. La cour a fabriqué un slogan maison résumant tout : « Avec Richard, t’es pour ou t’es con. »

Le souverain a décrété : « Tant que je serai là, il n’y aura pas d’organigramme. » Nadia renchérit : « Un organigramme, cela fige et nous, nous voulons une dynamique. » Un jour, il est arrivé en demandant tranquillement à ses troupes : « Vous allez me désigner chacun le nom de la personne qui serait susceptible de vous remplacer au cas où vous devriez partir. » Autant dire que plus personne n’est sûr de sa position.(...)

Tout un régime de faveurs et de défaveurs est venu se substituer aux moeurs académiques. Des professeurs se voient déchargés de leurs enseignements. Les non-titulaires ont peur de perdre leur job, les autres d’être exclus du cercle des favoris. Lorsque l’un d’entre eux se retrouve placardisé, gare à celui qui le fréquente. «  ourquoi faire cours avec lui, c’est un opposant ? » s’insurge le monarque. Des chargés de mission peuvent dénoncer un enseignant qui a pris un café avec un banni. Nadia téléphone alors à l’imprudent pour le rappeler violemment à l’ordre.

Chaque matin, Laurent Bigorgne écoute avec déférence les lubies de Nadia puis s’efforce de contourner ses ordres les moins rationnels. Il a fini par développer un ulcère, à force de courir partout pour faire marcher cette folle entreprise. Richard Descoings, lui, n’écoute que d’une oreille distraite les plaintes contre sa femme. Il a accepté de faire venir à Sciences Po un cabinet de consulting, spécialisé dans la gestion du stress, où officie l’un de ses anciens condisciples du lycée Montaigne devenu psychiatre. La conclusion des consultants a été rapide et sans appel : « le rôle de Nadia Marik, l’épouse du directeur », est le point nodal de toutes les difficultés de gouvernance. Richard a bien voulu réagir. Désormais, Nadia ne sera plus numéro deux mais chargée du « fundraising ». En pratique, rien n’a changé.

Les professeurs se sont mis à observer en experts ce tourbillon qui emporte tout. Les politologues de la maison constatent régulièrement des « purges ». Lorsqu’ils entendent la langue de bois des chargés de mission, ils évoquent « un phénomène à la Lyssenko », en référence à cet ingénieur qui réinventait la réalité pour plaire à son maître Staline. Une historienne, qui a dû faire antichambre pendant des heures pour voir le directeur avant d’être reçue par l’un de ses collaborateurs, a décrété tout de go : « Ce sont les écuries d’Augias et le Bas-Empire réunis ! » L’historien Patrick Weil, qui a quitté l’école après des années d’orages, s’est mis à distribuer aux journalistes un petit fascicule sur les pervers narcissiques : « Tout Descoings est là ! »

Extrait de "Richie", de Raphaëlle Bacqué, publié chez Grasset, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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