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Prostitution : l’appropriation politique française de l’abolitionnisme
©Reuters

Bonnes feuilles

La prostitution est un objet social double. Il s’agit bien sûr d’une pratique singulière qui articule sexualité et économie et qui implique divers protagonistes (femmes et hommes prostitués, clients, proxénètes). Mais elle est aussi un « problème social » à la définition et au traitement desquels participent entrepreneurs de morale, législateurs, policiers ou encore travailleurs sociaux, dont l’action exerce en retour de considérables effets sur la pratique et le quotidien des personnes prostituées. Extrait de "Sociologie de la prostitution", de Lilian Mathieu, publié aux Editions La Découverte (2/2).

Lilian Mathieu

Lilian Mathieu

Lilian Mathieu est sociologue, directeur de recherche au CNRS (Centre Max-Weber, ENS de Lyon). Il a publié de nombreux ouvrages sur la prostitution, dont il est l’un des principaux spécialistes français, parmi lesquels Prostitution et sida (L’Harmattan, 2000), Mobilisations de prostituées (Belin, 2001), La Condition prostituée (Textuel, 2007) et La Fin du tapin. Sociologie de la croisade pour l’abolition de la prostitution (François Bourin, 2014).

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La remobilisation abolitionniste a enfin bénéficié de la politisation du thème de la prostitution à partir de la fin des années 1990. La préparation de la ratification du protocole de Palerme, mais surtout, au niveau local, l’émergence d’une prostitution visible de migrantes ont imposé la prostitution dans l’agenda des autorités publiques. L’appropriation par le champ politique des conceptions et arguments abolitionnistes a en outre été favorisée, à la suite du débat sur la parité, par l’institutionnalisation d’un féminisme d’État. Une de ses principales expressions est la mise en place, en 1999, des délégations parlementaires au droit des femmes, en charge de l’examen de tout texte législatif en rapport avec l’égalité hommes-femmes. Celle du Sénat, présidée par la socialiste Dinah Dericke, a consacré en 1999 une part importante de son rapport d’activité à la prostitution après avoir auditionné un ensemble d’associations et de personnalités à dominante abolitionniste. Les rapports parlementaires successivement consacrés à l’esclavage moderne (rapport Lazerges- Vidalies, 2001), à la prostitution (rapport Bousquet-Geoffroy, 2011), à la situation sanitaire et sociale des prostituées (rapport Godefroy-Jouanno, 2013) et à la lutte contre le système prostitutionnel (rapport Olivier, 2013) défendent tous une approche fondée sur les principes abolitionnistes, auxquels les députés ont réaffirmé leur attachement par une résolution votée à l’unanimité en décembre 2011.

Le champ politique français s’est ainsi, et en quelques années seulement, converti à l’abolitionnisme dans sa quasi-totalité ; seuls le Front national (favorable à la restauration du réglementarisme) et certaines fractions des écologistes et de l’extrême gauche (réticents devant les approches répressives) s’en tiennent aujourd’hui à l’écart. Qu’il s’agisse de la pénalisation du racolage ou de celle des clients, les dispositions défendues au sein des arènes politiques ont donné lieu à de vifs débats dans l’espace public, reproduisant à chaque fois un clivage entre « travailleurs du sexe » et abolitionnistes, qui accorde peu d’audience aux options alternatives. La polémique sur ce que serait, en soi, la prostitution ne laisse en effet guère de place à une critique, exprimée notamment par les associations de santé publique, de dispositions pénales qui visent à moraliser les espaces urbains par une clandestinité accrue de la pratique prostitutionnelle, tout en légitimant le rapatriement forcé des migrantes.

Extrait de "Sociologie de la prostitution", de Lilian Mathieu, publié aux Editions La Découverte, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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