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Propriétaire ou locataire, qui vote quoi ?
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Vote de droite ?

L’accession à la propriété est l’un des pivots stratégiques de la politique du logement depuis 2007 vers l’idée d’une France de propriétaires. A la veille du scrutin de 2012, il est intéressant de savoir s’il existe un clivage propriétaire/locataire sur le vote. Quels sont les caractéristiques de cette variable ? Varie-t-elle selon les différentes catégories sociales ? Selon le lieu de résidence ?

Laure Bonneval et Jérôme Fourquet

Laure Bonneval et Jérôme Fourquet

Laure Bonneval est chargée d’études senior au Département Opinion et Stratégies d’Entreprise à l'IFOP.

Jérôme Fourquet est directeur adjoint du Département Opinion publique à l'IFOP.

Voir la bio »

Ce texte est une étude réalisée par l'IFOP pour le CEVIPOF.

L’accession à la propriété, en progression lente mais constante depuis plusieurs décennies (52,2% en 1984, près de 58%aujourd’hui), est l’un des pivots stratégiques de la politique du logement depuis 2007. Prêt à taux zéro, déductibilité des intérêts d’emprunts, nombreux dispositifs de défiscalisation immobilière, le cap fixé pour le quinquennat qui vient de s’écouler fut clairement celui de faire de la France un pays de propriétaires. D’un point de vue électoral, cette stratégie d’incitation à l’accession à la propriété est sous-tendue par le postulat selon lequel le vote des propriétaires penche davantage à droite que celui des locataires, postulat ayant également inspiré la politique de vente de très nombreux logements sociaux à leurs occupants menée par Margaret Thatcher en son temps. À l’heure où la thématique du logement s’est invitée dans la campagne, qu’en est-il aujourd’hui de l’influence du clivage propriétaire/locataire sur le vote ?

Le statut d’occupation du logement, une variable structurante

La comparaison des intentions de vote (sur la base d’un échantillon de 1 917 personnes interrogées par internet et représentatif de la population françaiseâgée de 18 ans (méthode des quotas, terrain du 17 au 24 janvier 2012) des propriétaires et des locataires apporte un premier élément de réponse : à la veille du scrutin de 2012, le vote de droite présente, sans surprise, un ancrage plus fort chez les propriétaires quand les locataires penchent plus nettement à gauche.

Ainsi, ces résultats permettent de valider la persistance du clivage propriétaire/locataire : auprès des propriétaires, toutes les gauches sont sous-représentées (avec un écart de 10 points si l’on considère les candidatures allant de LO à EELV) tandis que Nicolas Sarkozy est majoré de 12 points d’intentions de vote auprès des propriétaires au sein de cette catégorie (28% contre 16% chez les locataires). Second enseignement : cette inclinaison du vote propriétaire vers la droite se fait uniquement au profit de la droite parlementaire puisque le vote Le Pen apparaît relativement homogène selon le statut d’occupation.

Au second tour, cet ancrage du vote de droite parmi les propriétaires et celui du vote de gauche chez les locataires se confirme : en l’état actuel du rapport de forces, Nicolas Sarkozy obtiendrait 48% des suffrages des propriétaires et seulement 35% de ceux des locataires.Toutefois, s‘il résiste mieux auprès des propriétaires, il y serait tout de même battu, certes de justesse, par François Hollande : ce dernier, outre le soutien massif des locataires (65%), emporte également la préférence des propriétaires à hauteur de 52%.Si l’on se contente d’une lecture d’ensemble, la stratégie à adopter serait donc simple : médiatisation de mesures favorables aux propriétaires à droite afin de remobiliser ce socle électoral traditionnel contre une attention toute particulière de la gauche portée à l’égard des locataires et notamment de ceux résidant ou aspirant au logement social. Néanmoins, cette dichotomie doit être considérée avec prudence. En effet, ne renvoie-t-elle pas simplement à un clivage sociologique sous-jacent, notamment en termes de catégories socioprofessionnelles ?

Une variable dont l’influence fluctue néanmoins selon la catégorie socioprofessionnelle...

Le taux de propriétaires ayant tendance à progresser au fur et à mesure de l’élévation dans l’échelle sociale, il convient de neutraliser autant que possible cette corrélation. Pour ce faire, il s’impose donc d’analyser les intentions de vote des propriétaires et locataires au sein d’une même catégorie socio-professionnelle. Ce deuxième niveau de lecture permet de nuancer, ou plutôt de préciser la manière dont le statut d’occupation du logement influence les choix électoraux. Quasi sans effet chez les ouvriers et les employés (CSP-), le fait d’être propriétaire ou locataire s’avère en revanche prégnant parmi les cadres supérieurs (CSP+) et apparaît particulièrement décisif auprès des professions intermédiaires.

Un clivage quasi-inopérant chez les catégories populaires

Qu’ils soient propriétaires (31%) ou locataires (28%), près d’un tiers des employés/ouvriers voteraient pour François Hollande. Particulièrement installé au sein des catégories populaires, le vote pour Marine le Pen obtient lui aussi la préférence de près d’un tiers des employés/ouvriers, avec une légère prime accordée par les propriétaires (+4 points par rapport aux locataires). Et ce dernier résultat laisse à voir l’état du rapport de forces au sein de l’électorat populaire de droite : même auprès des CSP- propriétaires de leur logement, Nicolas Sarkozy ne dépasse pas les 17% (soit une prime de seulement 4 points par rapport aux locataires), là où sa rivale d’extrême-droite en engrange quasiment le double (32%).

Ainsi, les mesures visant à favoriser l’accession à la propriété n’ont pas permis à la droite de réduire l’écart, ni même de conserver cet électorat si l’on considère que le vote populaire a été l’une des clefs de l’issue du scrutin de 2007. Le seul clivage observable, et d’ailleurs caractéristique du vote des ouvriers/employés, concerne le vote d’extrême-gauche. À la différence du vote d’extrême-droite (dont on a vu la relative homogénéité), les ouvriers/employés locataires accordent, en cumulé, une prime de 9 points aux candidatures Arthaud, Poutou et Mélenchon (13%contre 4% chez les propriétaires CSP-).

Au second tour, le vote Hollande en milieu populaire oscille entre 66% chez les propriétaires et 69% chez les locataires, ce qui permet de conclure une nouvelle fois au caractère relativement inopérant de la variable du statut d’occupation du logement chez les seulsemployés/ouvriers, cette différence de statut n’engendrant apparemment pas de différences de conditions suffisamment fortes pour créer des comportements électoraux divergents dans cette catégorie de la population. Plus largement, qu’ils soient locataires ou propriétaires, les employés/ouvriers laissent à voir un rejet homogène de la droite de gouvernement, rejet d’autant plus spectaculaire aujourd’hui que ces derniers ont constitué l’une des clefs de la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007.

Un impact majeur au sein des catégories intermédiaires

En revanche, l’hétérogénéité des intentions de vote entre propriétaires et locataires apparaît très marquée au sein des catégories intermédiaires ainsi que, dans une moindre mesure nous le verrons, parmi les cadres supérieurs.

Si, au global, le vote Hollande au premier tour est équivalent chez les CSP- et les professions intermédiaires (29%), il apparaît en revanche dans le détail des intentions de vote  exprimées par les professions intermédiaires des variations très importantes selon le statut d’occupation : 39% des locataires accorderaient leur vote au candidat socialiste contre 25% des propriétaires, soit un écart de 14 points au sein de cette même catégorie socio-professionnelle. Et ce différentiel bénéficie entièrement à Nicolas Sarkozy chez les propriétaires des « classes moyennes » : 21% (2e position toutefois) contre seulement 7% chez les locataires. Au second tour, l’écart entre les deux groupes atteint même 19 points, François Hollande parvenant à dépasser la barre des 80% (!) chez les locataires appartenant à ces classes moyennes. Dans cette population assez hétérogène, l’accession ou non au statut de propriétaire est très lourdement investie idéologiquement et psychologiquement et donc très structurante des comportementsélectoraux.

Un effet réel mais mesuré au sein des catégories supérieures

Quant aux catégories socio-professionnelles dites supérieures, la structuration du vote selon le statut d’occupation du logement apparaît plus nuancée mais toujours bien perceptible :

Au premier tour, Nicolas Sarkozy obtiendrait 10 points de plus chez les CSP+ propriétaires (seule catégorie de la population active au sein de laquelle son score égale celui du socialiste). À l’inverse, auprès des locataires,la prime à la gauche se fait essentiellement au profit de François Hollande (+7 points) mais également sur les candidats centristes de gauche comme de droite (+3 pts pour Eva Joly et François Bayrou). Enfin, au second tour, le fossé observé n’est « que » de 8 points et François Hollande ne l’emporterait plus que d’une très courte majorité chez les propriétaires CSP+ (51% contre 59% pour les locataires).

... et selon le lieu de résidence

L’influence du statut d’occupation du logement apparaît donc variable selon le niveau social, mais il l’est également selon le lieu de résidence, c’est-à-dire selon le degré de tension du marché foncier comme on peut le voir dans le tableau suivant.

Une nouvelle fois et comme pour les CSP, le différentiel le plus net s’observe au sein de la catégorie intermédiaire en termes de taille d’agglomération. Il atteint en effet 21 points entre propriétaires et locataires sur le vote Hollande au deuxième tour dans les agglomérations de province de plus de 20 000 habitants où le marché de l’immobilier est très segmenté et engendre des stratégies résidentielles nécessitant efforts et sacrifices financiers importants. En revanche, cette variable ne joue quasiment pas en milieu rural et dans les petites villes, moins soumises à la flambée des prix de l’immobilier et où les différences de niveau de vie entre propriétaires et locataires sont peu marquées. Enfin en région parisienne,le clivage propriétaires/locataires influe sur le rapport de force gauche/droite mais de manière moins prononcée qu’en province. Compte-tenu du niveau élevé des loyers, la composition de la population des locataires y est structurellement moins favorables à la gauche qu’en province, ce qui explique que ce sur-vote en faveur d’Hollande y soit moins puissant.

Ainsi, le statut d’occupation du logement demeure une variable d’analyse valide mais nécessite d’être maniée avec prudence dans la mesure où son influence sur les comportements électoraux ne se fait pas ressentir avec la même intensité selon les différentes catégories sociales et selon le lieu de résidence.

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